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entrelacés d'une grande quantité de lianes. Enfin nous arrivâmes de nouveau dans la plaine, où nous eûmes la vue libre et un chemin plus ouvert : la forêt longeait environ une portée de fusil à côté de nous sur la droite, et par-ci par-là se montraient aussi quelques arbres d'une espèce particulière. Fritz, qui jetait continuellement son regard à la découverte, en remarqua bientôt qui lui parurent si extraordinaires, qu'il voulut les voir de plus près. «O mon père, s'écria-t-il, quel singulier arbre est-ce donc là, avec ces gros goitres au tronc? Examinons-les plus attentivement; » et il y courut.

Je m'en approchai aussi, et je trouvai, avec un joyeux étonnement, une quantité d'arbres à calebasses (1), qui portent à leur tronc de gros fruits assez semblables à de grosses courges. Fritz, qui n'en avait jamais entendu parler, ne concevait pas ce que ce pouvait être; il me demanda si c'étaient des éponges. « Nous allons bientôt découvrir ce mystère, lui dis-je; tâche d'en abattre une

(1) Le calebassier ou l'arbre à calebasse, arbre d'Amérique, dont les fruits charnus, qui ont jusqu'à un pied de diamètre, ressemblent, pour la forme, aux courges d'Europe. Les sauvages font des ustensiles assez commodes

ou deux, alors nous les examinerons de plus

près.

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En voilà une, dit Fritz; elle a parfaitement l'air d'une courge, seulement la coque paraît plus dure.

LE PERE. Sûrement elle l'est, et on s'en sert, comme des courges à gourde, pour des ustensiles : on en fait des assiettes, des écuelles, des plats et des flacons; on peut donc les nommer arbres à courges. »

Fritz sautait de joie : « Des plats, des assiettes disait-il: ma bonne mère sera bien contente; elle saura dans quoi nous servir notre soupe.

LE PERE. Pourquoi penses-tu, Fritz, que cet arbre ne porte ses fruits qu'au tronc et aux plus fortes branches?

FRITZ. Parce que les petites branches inférieures se casseraient par la pesanteur de leurs fruits.

LE PÈRE. Bien deviné.

FRITZ. Mais ces courges sont-elles bonnes à manger?

avec l'écorce, qui est dure: la chair est molle, jaunâtre, et d'un goût désagréable. ob no

LE PÈRE. Du moins je ne les crois pas nuisibles; mais elles ne sont pas d'un goût exquis. Les sauvages, les nègres, font grand cas de la coque, qui leur vaut de l'or, et leur est presque indispensable: c'est là qu'ils conservent leur manger, leur boisson; ils font même cuire dedans leurs alimens.

FRITZ. Oh oui, cuire ! c'est impossible ! cette coque s'enflammerait bien vite si on la mettait sur le feu.

LE PERE. Je ne te dis pas qu'on mette la coque sur le feu.

FRITZ. Ha, ha! et comment peut-on faire cuire quelque chose sans feu?

LE PERE. Je n'ai pas dit non plus que cela fût possible; mais on n'a pas besoin de mettre sur le feu le vase dans lequel on fait cuire les alimens.

FRITZ. Je n'y comprends rien; c'est un miracle.

LE PÈRE. Oui, oui, un peu d'enchantement; c'est le sort de l'homme : lorsque ses lumières ne suffisent pas, ou qu'il ne veut pas se donner la peine de réfléchir, alors il suppose des miracles ou de la sorcellerie.

.[

FRITZ. Allons, je veux le croire, 'puisque, vous le dites.

:

LE PERE. Ainsi, pour abréger,' tu veux donc jurer sur la parole d'autrui ? C'est un' bon moyen pour laisser ta raison en friche.' Je veux t'aider à découvrir ce phénomène. Écoute lorsqu'on voudra faire cuire quelque chose dans ces courges, il faudra les couper en deux, ôter la moelle des deux moitiés; dans une de ces écuelles, on met de l'eau, et dans cette eau des poissons; des crabes, enfin ce qu'on veut faire cuire : alors on jette peu à peu dans cette eau des pierres qu'on a fait rougir au feu, et qui communiquent à l'eau assez de chaleur pour cuiré ce qui est dedans sans que la coque en souffre.

FRITZ. Mais cette manière de cuire doit gâter les mets par les cendres et par les morceaux qui se détachent des pierres rougies qu'on jette dans l'eau?

LE PERE. Sans doute, on ne peut pas faire de cette manière des sauces ou des ragoûts bien fins, mais enfin c'est toujours cuire; et les nègres et les sauvages, qui en font usage, ne sont pas bien délicats: mais on peut encore mettre les mets à part dans un plus petit

vase, qu'on pose sur un plus grand où il n'y a que l'eau que l'on fait bouillir avec les pierres rougies : c'est ce qu'on appelle cuire au bainmarie. On en fait un grand usage en chimie; et ce qui se cuit de cette manière a l'avantage de ne jamais s'attacher au vase. »

Nous procédâmes ensuite à notre fabrication de plats et d'assiettes; je montrai à Fritz à couper la courge avec une ficelle, bien mieux et bien plus droit qu'avec un couteau : j'attachai la ficelle autour de la calebasse aussi fort que possible; je la fis entrer un peu avant dans la peau tendre, en la frappant tout autour avec le manche de mon couteau, puis je la serrai davantage, jusqu'à ce qu'elle eût traversé tout l'intérieur de la courge, et formé ainsi deux écuelles fort régulières; tandis que mon fils, qui avait voulu essayer de partager une calebasse avec son couteau, l'avait complètement gâtée, parce que son couteau avait glissé, tantôt trop haut et tantôt trop bas. Je lui conseillai de fabriquer des cuillères avec les morceaux qu'il avait faits, et qui ne pou vaient lui servir à autre chose. Je fis ainsi deux plats assez grands, et d'autres plus petits pour servir d'assiettes.

Fritz était émerveillé. « Comment l'idée de

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