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FRITZ. Prêtez-moi un moment votre canne, mon père.

LE PÈRE. Point du tout, il n'y aurait pas alors grand mérite; il faut que tu trouves toimême le moyen.

FRITZ. Voyons.... Je pense qu'il n'y a qu'à faire un petit trou au-dessus du premier anneau, alors l'air peut y entrer.

LE PÈRE. Fort bien pensé; mais pourquoi fais-tu ce trou au premier anneau, et comment l'air fait-il entrer ce jus dans ta bouche?

FRITZ. La canne étant fermée à chaque anneau, le trou que je ferais en dessous ne servirait à rien pour la partie supérieure. En suçant j'aspire mon haleine, et je fais un vide d'air dans ma bouche; l'air extérieur pénètre alors par le trou pour remplir ce vide; il est arrêté par le jus, et le presse jusque dans ma bouche. Mais comment m'y prendrai – je, quand cette partie sera vidée, pour en venir, à la seconde ?

LE PÈRE. Comment! grand physicien, qui viens de raisonner si juste sur la force et la fluidité de l'air, tu n'imagines pas de couper la partie vidée jusqu'au-dessous de l'anneau,

de faire une nouvelle ouverture au bas, et ainsi de suite.... ?

FRITZ, Oui, oui, j'y suis, cela va bien; mais à présent que nous savons la bonne manière, j'ai grand peur que nous n'en apportions pas beaucoup à nos amis.

LE PÈRE. Je crains fort aussi que nous ne leur apportions que des bâtons qui seront bons à brûler; d'ailleurs, le jus s'aigrit facilement dans les cannes coupées, et par ce soleil brûlant ne t'afflige donc pas trop si leur nombre diminue.

FRITZ. Eh bien, si le sucre se gâte, je leur porterai au moins une bonne provision de lait de coco, que j'ai dans mon flacon de ferblanc; nous en ferons tous en famille un joli régal.

LE PÈRE. Pauvre petit! comme tu te charges! et peut-être à la fin tu n'auras que du vinaigre; car le jus de coco, sorti de son vase naturel, se gâte encore plus vite que le sucre dans les cannes; peut-être l'est-il déjà maintenant; le vase de fer-blanc où tu l'as mis s'échauffe excessivement aux rayons du soleil.

FRITZ. Cela serait bien fatal; il faut que je le goûte. Le flacon fut vite ôté de dessus son

dos, et il essaya de tirer avec force le bouchon, qui sortit tout-à-coup avec un grand fracas, et le jus aussi, en écumant comme du vin de Champagne.

LE PERE. Bravo! M. Fritz, vous avez fait là du bon vin mousseux, à ce qu'il me paraît; prenez garde à présent de vous enivrer.

FRITZ. Papa, papa, goûtez, goûtez, c'est délicieux; et, bien loin d'être du vinaigre, ceci ressemble tout-à-fait à de l'excellent vin nouveau; c'est doux et piquant; goûtez, N'est-ce pas que c'est bon? Si cela reste ainsi, ils vont bien se régaler.

LE PERE. Je le désire; mais j'ai grand peur qu'il ne se dénature encore; ceci est le premier degré de fermentation; la même chose arrive lorsque le miel est dissous dans de l'eau, dont on fait de l'hydromel. Quand cette première fermentation est passée, et que le fluide s'est épuré, on obtient du vin ou quelque liqueur fermentée plus ou moins bonne, suivant le jus qu'on a ; ensuite par la chaleur il résulte une nouvelle fermentation plus lente, qui fait tourner le fluide en vinaigre; mais elle peut être prévenue par les soins et la fraîcheur : enfin il s'établit dans le vinaigre même une troisième fermentation, qui le dénature, lui

ôte toute sa force et le corrompt. Sous la température brûlante où nous sommes actuel, lement, cette triple fermentation peut s'opérer très-rapidement, et tu pourrais fort bien n'apporter à la maison que du vinaigre, ou peut-être une eau sale et puante : nous pouvons donc boire chacun un peu de ta nouvelle boisson, pour en profiter pendant qu'elle est encore bonne, et nous restaurer. Donne, mon fils à ta santé et à celle de nos bien-aimés!

:

En effet, cette liqueur est excellente, mais assez forte et montante; et il faut en être sobre si nous ne voulons qu'elle porte à la tête. »

Cette boisson nous redonna des forces et de la gaîté; nous cheminâmes avec courage jusqu'à l'endroit où nous avions enfermé dans le sable nos ustensiles d'écorce de calebassse nous les trouvâmes très-secs, point déformés, et durs comme de l'os; nous pûmes donc les prendre dans nos gibecières sans en être incommodés : cela fait, nous continuâmes notre route. A peine avions-nous traversé le petit bois où nous avions déjeûné, que Turc nous quitta, tout furieux, pour fondre sur une troupe de singes qui, au bout du bois, jouaient et folâtraient dans la plaine, sans nous remar, quer; ils furent donc complètement surpris,

et, avant que nous eussions pu accourir, le dogue sanguinaire avait déjà attrapé une grande guenon, ou singe femelle, qui tenait son petit dans ses bras et le caressait comme si elle voulait l'étouffer, ce qui l'empêcha de se sauver et causa sa perte : elle fut d'abord tuée et dévorée; le petit s'était caché dans l'herbe, et regardait cet affreux spectacle en grinçant les dents. Fritz avait couru de toutes ses forces pour prévenir cette triste scène; il perdit son chapeau, jeta flacon, cannes, etc., etc., le tout en vain; il arriva trop tard pour empêcher le meurtre de la pauvre mère, mais assez tôt pour une scène comique et qui m'amusa beaucoup.

A peine le petit singe l'eut-il aperçu, qu'il sauta lestement sur ses épaules; il se tint si ferme avec ses pattes dans les cheveux crépus du pauvre Fritz, que ni cris, ni menaces, ni secousses, ne purent le faire descendre: j'accourus en riant, car je voyais bien que l'animal était trop jeune pour qu'il y eût le moindre danger, et la terreur panique du pauvre garçon contrastait risiblement avec les grimaces de la petite bête. Je tâchai de le dégager sans pouvoir en venir à bout. Je crois, dis-je à Fritz, que tu seras obligé de le porter

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