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chemin fuyait sous nos pieds, et nous nous trouvâmes au bord du grand ruisseau, et près des nôtres, sans presque nous en être aperçus. La grande danoise Bill nous annonça par ses aboiemens, et l'anglais Turc lui répondit si fortement, que son petit cavalier singe, tout effrayé, sauta de dessus son dos sur celui de Fritz, et ne voulut plus en descendre. Turc, qui commença à reconnaître la contrée, lai échappa, prit les devans pour rejoindre son camarade et annoncer notre arrivée ! bientôt aussi nos bien-aimés parurent sur le rivage opposé, jetant des cris de joie de notre heureux retour, et remontèrent le ruisseau vis-àvis de nous, jusqu'à ce que, des deux côtés, nous parvinmes à la même place où nous l'avions traversé le matin : nous arrivâmes heureusement sur la rive opposée, et courûmes nous jeter dans les bras les uns des autres. A peine les petits furent-ils près de leur frère, qu'ils recommencèrent leurs cris de joie : Un singe, un singe en vie! Papa, maman, un singe en vie! ah, que c'est délicieux! que nous sommes contens! Comment l'as-tu attrapé ? quelle drôle de mine! Il est bien laid, dit le petit François, qui en avait presque peur. Il est plus joli que toi, dit Jack; voyez

comme il rit: que je voudrais le voir manger!

Si nous avions seulement des noix de coco, dit Ernest; en avez-vous trouvé? sont-elles bonnes ? M'apportes-tu du bon lait d'a mande? disait François. - N'avez-vous fait aucune rencontre fâcheuse ? demandait ma femme. » Ainsi les questions, les acclamations se succédaient pêle-mêle, et si rapidement, que nous ne pouvions y répondre.

Enfin, quand on commença à se calmer un peu, je pris la parole, et je dis : « Je vous salue encore une fois de tout mon cœur, mes bien-aimés; nous arrivons, Dieu soit loué, sans avoir rien rencontré de fâcheux, et nous vous apportons toutes sortes de bonnes choses; mais je n'ai pas réussi dans ce qui me tenait le plus au cœur, nous n'avons rencontré aucun de nos compagnons d'infortune. J'espérais être plus heureux.

-Puisque Dieu le veut ainsi, dit la mère, soyons contens, et remercions-le de nous avoir sauvés tous ensemble et réunis encore une fois combien je l'ai prié toute la journée, pour vous retrouver en bonne santé, et combien de malheurs je redoutais pour vous! Cette journée m'a paru un siècle. Raconteznous maintenant votre petit voyage et quittez

yos fardeaux; quant à nous, nous sommes reposés, quoique nous n'ayons pas été toutà-fait oisifs. Mes enfans, débarrassez votre père et votre frère de ce qu'ils ont porté si long-temps,>

Jack prit mon fusil, Ernest les noix de coco, François les coques de courges, et ma femme ma gibecière. Fritz distribua les cannes à sucre, mit son singe sur le dos de Turc, au grand plaisir des enfans, et pria son frère Ernest de prendre encore son fusil; mais Ernest n'aimait pas s'incommoder plus qu'il ne fallait, et prétendit que les grosses boules qu'il portait étaient assez pesantes pour ses forces: sa mère, très-disposée à le gâter, les lui prit, et nous nous acheminâmes ainsi vers notre maison de toile.

« Ah! dit Fritz, si Ernest connaissait ce qu'il trouvait si pesant, il l'aurait bien gardé ; ce sont des noix de coco, Ernest, de tes chères noix de coco, dont tu as tant d'envie.

ERNEST. Dis-tu vrai? des noix de coco? Maman, vite, rendez-les-moi, s'il vous plaît, je les porterai bien, et le fusil aussi.

LA MERE. Non, non, je ne veux pas entendre tes plaintes sur ta fatigue, et tu les re

commencerais bientôt. » Il l'aurait volontiers priée de prendre en échange le fusil, mais il -n'osa pas : « Je n'ai, dit-il, qu'à jeter ces bâtons, et porter le fusil à la main.

FRITZ. Je ne te le conseille pas, tu t'en repentirais aussi bientôt; ces bâtons sont des cannes à sucre.

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Des cannes à sucre ! s'écrièrent-ils tous, des cannes à sucre ! » Ils entourèrent Fritz, lui firent raconter sa découverte, et demandèrent des instructions sur le grand art de sucer.

Ma femme aussi, qui avait toujours eu dans son ménage un grand respect pour le sucre, était tout émerveillée, et me demandait des explications: je lui en 'donnai avec grand plaisir, ainsi que sur la marche successive de nos découvertes, en les lui montrant tour à tour; rien ne lui fit plus de plaisir que nos plats et nos assiettes, parce que nous en avions le besoin le plus urgent. Nous arrivâmes à la place de la cuisine, et nous y trouvâmes avec grande joie les préparatifs d'un excellent repas; d'un côté du feu il y avait un tourne-broche de bois sur deux fourches plantées en terre, où toutes sortes de poissons se rôtissaient, attachés tout du long avec une baguette que François s'était chargé de tour

ner de temps en temps; de l'autre côté, une oie était enfilée dans une autre baguette, et sa graisse fondante tombait dans des coquilles d'huîtres rangées dessous et serrées les unes contre les autres : au-dessus de la flamme était un pot de fer, d'où s'évaporait l'odeur restaurante d'un bouillon savoureux. Derrière le foyer, un des tonneaux repêchés était ouvert, et nous montrait dans son intérieur les plus beaux fromages de Hollande renfermés dans des cercles de plomb. Tout cela était fait pour exciter l'appétit de deux voyageurs qui n'avaient fait qu'un mauvais repas, et n'avait pas du tout l'air d'un dîner d'île déserte.

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« Non, en vérité, mes chers amis, vous n'avez pas été oisifs pendant notre absence, m'écriai-je; je vois ici l'utile résultat de vos tràvaux; je suis seulement fàché que vous ayez déjà tué une oie; il faut être plus économe de notre volaille, et la garder pour les mauvais

momens.

-Que cela ne te tourmente pas, me dit ma femme; ce rôti ne vient pas de notre bassecour; c'est une espèce d'oie sauvage, et un butin de ton fils Ernest, qui lui donne un nom singulier, et m'assure qu'elle est bonne à manger,

ERNEST. Oui, mon père; je crois que mon

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