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Le Maître (de musique.) La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes ?

M. Jour. Cela est vrai.

Le Maître (de musique.) Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ?

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Le Maître (à danser.) Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un Etat, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours, un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire ?

M. Jour. Oui, on dit cela.

Le Maître (à danser.) Et faire un mauvais pas, peutil procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser ? M. Jour. Cela est vrai, et vous avez raison tous deux. Le Maître (à danser.) C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique. M. Jour. Je comprends cela à cette heure. Enter the Maître d'armes.

Le Maitre (d'armes, après avoir pris les deux fleurets de la main du Laquais, et en avoir présenté un à M. Jourdain.) ALLONS, monsieur, la révérence. Votre corps droit, un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout-à-fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus carrée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez. Le corps ferme. Touchez-moi l'épée de quarte, et achevez de même. Une, deux. Un saut en arrière. Quand vous portez la botte, monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Une, deux. Un saut en arrière. En garde, monsieur, en garde. (Le Maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant en garde.)

M. Jour. Hé!

Le Maître (de musique.) Vous faites des merveilles. Le Maître (d'armes.) Je vous l'ai déjà dit; tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner et à ne point recevoir; et, comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez si vous savez détourner l'épée de votre corps; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet, ou en dedans, ou en dehors.

M. Jour. De cette façon donc un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué?

pas

Le Maître (d'armes.) Sans doute. N'en vîtes-vous la démonstration ?

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Le Maître (d'armes.) Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un Etat; et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la...

Le Maître (à danser.) Tout beau, monsieur le tireur d'armes. Ne parlez de la danse qu'avec respect.

Le Maître (de musique.) Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique.

Le Maître (d'armes.) Vous êtes de plaisantes gens de vouloir comparer vos sciences à la mienne.

Le Maître (de musique.) Voyez un peu l'homme d'importance !

Le Maître (à danser.) Voilà un plaisant animal, avec son plastron.

Le Maître (d'armes.) Mon petit maître à danser, je vous ferai danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferai chanter de la belle manière.

Le Maître (à danser.) Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.

M. Jour. (au Maître à danser.) Etes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ?

Le Maître (à danser.) Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce et de sa quarte.

M. Jour. (au Maître à danser.) Tout doux, vous dis-je.

Le Maître (d'armes au Maître à danser.)

petit impertinent?

M. Jour. Hé, mon Maître d'armes.

Comment

Le Maître (à danser au Maître d'armes.) Comment,

grand cheval de carrosse !

M. Jour.

Hé, mon Maitre à danser.

Le Maître (de musique.)

apprendre à parler. M. Jour.

vous !

M. Jour.

Laissez-nous un peu lui

(au Maître de musique.) Mon Dieu, arrêtez

Enter the Maître de Philosophie.

Holà, Monsieur le philosophe, vous arrivez tous à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes-ci.

Le Maître (de philosophie.) Qu'est-ce donc ? qu'y a-t-il, messieurs ?

M. Jour. Ils se sont mis en colère pour la préférence de leur professions, jusqu'à se dire des injures, et en vouloir venir aux mains.

Le Maître (de philosophie.) Hé quoi, messieurs, fautil s'emporter de la sorte? Et n'avez-vous point lu le docte traité que Sénèque a composé de la colère ? Y a-til rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d'un homme une bête féroce? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvemens ?

Le Maître (à danser.) Comment, monsieur Il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse que j'exerce, et la musique dont il fait profession.

Le Maître (de philosophie.) Un homme sage est audessus de toutes les injures qu'on peut lui dire; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération et la patience.

Le Maître (d'armes.) Ils ont tous deux l'audace de vouloir comparer leurs professions à la mienne.

Le Maître (de philosophie.) Faut-il que cela vous émeuve ? Ce n'est pas de vaine gloire et de condition, que les hommes doivent disputer entre eux; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la sagesse et la vertu.

Le Maître (à danser.) Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d'hon

neur.

Le Maître (de musique.) Et moi, que la musique en est une que tous les siècles ont révérée.

Le Maître (d'armes.) Et moi je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences.

Le Maître (de philosophie.) Et que sera donc la philosophie? Je vous trouve tous trois bien impertinens de parler devant moi avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur et de baladin.

Le Maître (d'armes.) Allez, philosophe de chien.
Le Maître (de musique.) Allez, bélître de pédant.
Le Maître (à danser.) Allez, cuistre fieffé.

Le Maître (de philosophie.) Comment, marauds que vous êtes? (le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups.)

M. Jour. Monsieur le philosophe.

Le Maître (de philosophie.)

lens.

Infâmes, coquins, inso

Le Maître (d'armes.) La peste de l'animal!
Messieurs.

M. Jour.

Le Maître (de philosophie.) Impudens.

M. Jour. Monsieur le philosophe.

Le Maître (à danser.) Diantre soit de l'âne bâté !
M. Jour. Messieurs.

Le Maître (de philosophie.) Scélérats.

M. Jour. Monsieur le philosophe.

Le Maître (de musique.) Au diable l'impertinent.
Messieurs.

M. Jour.

Le Maître (de philosophie.) Fripons, gueux, traîtres, imposteurs.

M. Jour. Monsieur le philosophe. Messieurs. Monsieur le philosophe. Messieurs. Monsieur le philosophe.

(Ils sortent en se battant.)

SCENE SECOND.

Begin at the Beginning.

M. JOURDAIN, The would-be Gentleman.
UN MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Le Maître (de philosophie.) QUE voulez-vous apprendre? M. Jour. Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant; et j'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas bien fait étudier dans toutes les sciences quand j'étois jeune.

Le Maître (de philosophie.) Ce sentiment est raisonnable; nam sine doctrinâ, vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin, sans doute ?

M. Jour. Oui; mais faites comme si je ne le savais. Expliquez-moi ce que cela veut dire.

Le Maître (de philosophie.) Cela veut dire que, sans la science, la vie est presque une image de la mort. M. Jour. Ce latin-là a raison.

Le Maitre (de philosophie.) N'avez-vous point quelques principes, quelques commencemens des sciences ? M. Jour. Oh, oui. Je sais lire et écrire.

Le Maître (de philosophie.) Par où vous plaît-il que nous commençions? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?

M. Jour. Qu'est-ce que c'est que cette logique ?

Le Maître (de philosophie.) C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit.

M. Jour. Qui sont-elles ces trois opérations de l'esprit ?

Le Maître (de philosophie.) La première, la seconde, et la troisième. La première, est de bien concevoir, par le moyen des universaux. La seconde, de bien juger, par le moyen des catégories. Et la troisième, de bien tirer une conséquence, par le moyen des figures, Barbara, celarent, Darii, ferio, baralipton, etc.

M. Jour. Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point Apprenons autre chose qui soit plus joli.

Le Maître (de philosophie.)

la morale?-M. Jour.

Voulez-vous apprendre

La morale ?

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