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Mais le lendemain, dès sept heures du matin, on vit arriver sa majesté à l'Arsenal avec cinq ou six personnes qu'elle avait dans son carrosse. Le prince monta à l'appartement de Sully, sans permettre qu'on l'avertit, et frappa lui-même à la porte de son cabinet.

Sully ayant demandé : qui est là? ne fut pas peu surpris d'entendre répondre: c'est le roi, qu'il reconnut aussitôt au son de sa voix ; et ayant ouvert: Eh bien! que faites-vous là, mon ami? lui dit le roi, en entrant avec Roquelaure et quelques autres seigneurs. Sully lui répondit qu'il écrivait des lettres, et qu'il préparait du travail à ses secrétaires. Et depuis quand êtes-vons là? "Dès trois heures du matin," répliqua Sully. Eh bien! Roquelaure, repartit le prince, en se tournant vers lui, pour combien voudriez-vous mener cette vie-là ?

Le roi fit ensuite sortir tout le monde, et commença à entretenir Sully; mais voyant qu'il lui parlait froidement: "Oh! oh! vous faites le réservé, lui dit-il en souriant, et lui donnant un petit coup sur la joue; vous êtes encore en colère d'hier? Je n'y suis plus, moi, et vivons ensemble avec la même liberté que vous aviez accoutumé ; car je vous connais bien, si vous faisiez autrement, ce serait signe que vous ne vous soucieriez plus de mes affaires.

"Quoique je me fâche quelquefois, ajouta-t-il (avec cette candeur qui lui était naturelle), je veux que vous le souffriez, car je ne vous en aime pas moins au contraire, dès l'heure que vous ne me contredirez plus dans les choses que je sais bien qui ne sont pas de votre goût, je croirai que vous ne m'aimez plus."

Après un entretien qui fut assez long, le roi sortit. En quittant Sully, il l'embrassa et dit à ceux qui l'attendaient: "Il y en a d'assez sots pour croire que quand je me mets en colère contre M. de Sully, c'est à bon escient, et pour long-temps: mais tout au contraire; car quand je viens à considérer qu'il ne me remontre, ou ne me contredit que pour mon honneur, ma grandeur et le bien de mes affaires, et jamais pour les siennes, je l'en aime mieux, et je suis impatient de le lui dire."

LXX. Duelling inconsistent with true Greatness. ON se bat quelquefois pour s'épargner une réparation légitimement due, et qui pourrait elle-même faire honneur. Rien de beau comme la conduite de Henri IV sur ce point, à la bataille d'Ivry. On ne saurait, dans trop d'endroits, en offrir le tableau à la jeunesse.

La veille de cette célèbre journée, le colonel Thische, général des Allemands qui combattaient sous les drapeaux du roi de France, se vit contraint, par la mutinerie des siens, de demander de l'argent qui leur était dû, avec menace de ne point prendre part à l'action, s'ils n'étaient payés.

Comment, colonel! lui répondit le roi avec aigreur, est-ce le fait d'un homme d'honneur de demander de l'argent quand il faut prendre les ordres pour combattre ?” Thische se retira tout confus, sans rien répliquer Le lendemain, lorsque Henri eut rangé ses troupes en bataille, il se souvint de ce qui s'était passé la veille, et courut réparer ses torts.

"Colonel, dit-il publiquement à Thische, nous voici dans l'occasion; il peut se faire que j'y demeurerai, il n'est pas just que j'emporte l'honneur d'un brave gentilhomme comme vous. Je déclare donc que je vous reconnais comme un homme de bien, et incapable de faire une lâcheté ;" et en même temps il embrassa trèscordialement l'officier Allemand.

LXXI. Prejudice the Arbiter of Taste.

MICHEL-ANGE, indigné de la préférence injuste que les prétendus connaisseurs de son temps donnaient aux ouvrages des anciens sculpteurs; irrité d'ailleurs de ce qu'on lui avait dit à lui-même, que la moindre des figures antiques était cent fois plus belle quo tout ce qu'il avait fait, ou pourrait jamais faire, s'avisa d'un moyen singules confondre.

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Il sculpta secrètement un Cupidon de marbre, avec tout le génie et tout l'art qui lui étaient propres. Quand cette statue fut achevée, il lui cassa un bras; et, après avoir donné au reste de la figure, par le moyen de certaines teintures rousses, la couleur des statues antiques,

il alla l'enfouir, pendant la nuit, dans un endroit où l'on devait bientôt creuser pour les fondemens d'un édifice.

Le temps venu, on trouva le Cupidon : tous les curieux accoururent pour l'admirer. Ils s'écrièrent qu'ils n'avaicnt jamais rien vu de si beau: c'est un chef-d'œuvre de Phidias, disaient les uns ; il est de Policlète, disaient les autres qu'on est éloigné, s'écriaient-ils tous, de faire aujourd'hui rien de pareil! Mais quel dommage qu'il lui manque un bras!...

"Ce bras, je l'ai, messieurs, dit enfin Michel-Ange, qui écoutait ces folles exagérations." On commença par se moquer de lui; mais la confusion tourna bientôt du côté des rieurs, lorsqu'ils virent Michel-Ange rajuster à la statue le bras qu'il en avait détaché précédemment. En reocnnaissant le véritable auteur de la statue, il fallut reconnaître aussi qu'il n'est pas impossible aux modernes de faire aussi bien que les anciens.

LXXII. Charity to the Lazy, injurious.

Un jeune roi se livroit à la dissipation & à tous les plaisirs que lui préparoient ces infames courtisans qui fondent leurs espérances sur les foiblesses de leurs maîtres. Un jour, il chantoit dans un festin ces paroles; j'ai joui des moments passés, je jouis des moments qui passent, & je vois l'avenir sans inquiétude.

Un pauvre, assis sous la fenêtre de la salle du festin, entendit le roi, & lui cria: Si tu es sans inquiétude sur ton sort, n'en as-tu jamais sur le nôtre ? Le roi fut frappé de ce discours; il s'approcha de la fenêtre, regarda quelque tems le pauvre avec attention & sans lui parler, lui fit donner une somme considérable, & sortit de la salle du festin.

Il fit des réflexions sur sa vie passée; elle avoit été opposée à tous ses devoirs : il eut honte de lui même ; il prit en main les rênes du gouvernement, qu'il avoit jusques alors abandonnées à ses favoiris on le vit travailler assiduement, & dans peu il rétablit l'ordre & le bonheur dans l'empire.

On lui faisoit souvent des plaintes de la licence & du désordre dans lesquels vivoit le pauvre qu'il avoit enrichi.

Enfin, il le vit un jour à la porte du palais; il étoit couvert de lambeaux, & il revenoit demander l'aumône.

Le roi le montrant à un des sages de la cour, car il aimoit les sages depuis qu'il avoit de la vertu vois, lui dit-il, les effets de la bonté ; tu m'as vu combler cet homme de richesses, voilà le fruit de mes bienfaits; ils ont corrompu le pauvre, ils ont été pour lui une source de nouveaux vices & d'une nouvelle misère. Cela est vrai, lui répondit le Sage, parce que tu as donné à la pauvreté ce que tu ne devois donner qu'au travail.

LXXIII. A Dutch Cure for indolent Mendicity. ON avait anciennement, en Hollande, une coutume fort singulière. Quand on trouvait à mendier un homme fort et en état de travailler, on le saisissait, on le descendait dans un puits profond, et on lâchait un robinet. Si le pauvre n'eût pas pompé sans relâche, il eût été bientôt noyé. Pendant que ce malheureux travaillait, de graves Hollandais faisaient des paris sur le bord du puits: l'un pariait que cet homme était un paresseux, et que l'eau allait l'engloutir, l'autre soutenait le contraire. Enfin, après quelques heures, on tirait dehors le mendiant plus mort que vif, et on le renvoyait avec cette utile leçon du travail.

LXXIV. Forgiveness the best Revenge.

DEMETRIUS POLIORCETE avait fait beaucoup de bien au peuple d'Athènes. Ce prince, en partant pour l'armée, laissa sa femme et ses enfans dans cette ville. Il perdit la bataille, et fut obligé de prendre la fuite.

Il courut avec empressement vers les Athéniens, croyant qu'ils allaient d'eux-mêmes lui offrir un asile mais ces ingrats refusèrent de le recevoir, et lui envoyèrent même sa femme et ses enfans, sous prétexte qu'ils ne seraient peut-être pas en sûreté dans Athènes, où les ennemis pourraient venir les chercher.

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Cette conduite déchira le cœur de Démétrius ; rien n'est plus douloureux pour un honnête homme, que l'ingratitude de ceux qu'il aime, et auxquels il a fait du bien. Plus tard ce prince battit à son tour ses ennemis

Il vint, ensuite de sa victoire, mettre, avec une grande armée, le siége devant Athènes.

Les Athéniens, se persuadant qu'ils n'avaient aucun quartier à espérer de Démétrius, résolurent d'abord de périr les armes à la main ; mais ils reconnurent bientôt qu'il n'y avait presque point de blé dans la ville, et qu'ils ne tarderaient pas à manquer de pain. Les plus raisonnables dirent alors: " Il vaut mieux que Démétrius nous fasse tuer tout d'un coup, que de mourir par la faim; peut-être aura-t-il pitié de nos femmes et de nos enfans." Ils ouvrirent donc les portes de leur ville.

Démétrius ordonna que tous les hommes mariés se rendissent dans une grande place qu'il avait fait environner de soldats. Alors on n'entendit dans la ville que des cris et des gémissemens. Les femmes embrassaient leurs maris, les enfans leurs pères et leur disaient le dernier adieu

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Quand ils furent tous rassemblés dans cette place, Démétrius monta sur un lieu élevé, et leur reprocha leur ingratitude dans les termes les plus touchans: lui-même pleurait en leur parlant. Pour eux, ils gardaient un silence farouche, s'attendant que le prince allait finir par commander à ses soldats de les tuer.

Ils furent bien étonnés lorsqu'il leur dit : "Je veux vous montrer combien vous êtes coupables à mon égard; car, enfin, ce n'est pas à un ennemi que vous avez refusé du secours; c'est à un prince qui vous aimait, qui vous aime encore, et qui ne veut se venger qu'en vous pardonnant, et en vous faisant du bien. Retournez chez vous pendant que vous êtes restés ici, mes soldats, par mon ordre, ont porté du blé et du pain dans vos maisons."

LXXV. Only True Genius can bear a Rival.

ZEUXIS, fameux peintre Grec, avoit plusieurs rivaux, dont les plus illustres étoient Timanthe & Parrhasius. Ce dernier entra en concurrence avec lui dans un concours public, où l'on disputoit le prix de peinture.

Zeuxis avoit fait une pièce, où il avoit si bien peint des raisins, que, dès qu'elle fut exposée, les oiseaux s'en ap

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