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arriver par les seules forces de son entendement à l'idée de la cause première, à l'idée de Dieu, ce serait, en suivant la chaîne des causes secondes, au moyen du principe de la causalité. Mais, si ce principe n'existe pas sans l'idée de Dieu, d'où vient donc cette idée ? Il faut qu'elle vienne de Dieu même. Toute preuve de l'existence de Dieu est aussi ridicule que l'hypocrisie de l'athéisme.

IV.

Descartes, après avoir détruit ou rejeté toutes les croyances, après avoir créé le néant autour de lui, se réfugia dans le sens intime, et chercha sur la scène de la conscience, un point ferme du haut duquel il pût ramener à soi les réalités demeurées flottantes dans la mer du doute. C'est ainsi qu'il introduisit dans la philosophie trois choses: le doute absolu, l'observation intérieure, et cette méthode qui prétend donner à la science un principe d'argumentation pour point de départ. Que pouvait trouver Descartes sur la scène de la conscience? La volonté ?..... Qu'est-ce que la volonté pour un esprit plongé dans le doute absolu? Il ne pouvait trouver que le doute avec ses tourments; mais douter était encore quelque chose. Douter c'est penser; Descartes put donc dire: Cogito, ergò sum, et ne put dire autre chose. C'est ainsi qu'il fut irrésisti

blement conduit à poser d'abord le moi substance de ses modes. Je suis, j'existe; tel dut être son point de départ, et ce ne fut qu'après avoir ainsi posé le moi, qu'il le put développer et dire : Qu'est-ce donc que je suis? Une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense? C'est une chose qui doute, qui connaît, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas... Ceux qui font consister toute la personnalité dans la volonté, reprochent à Descartes de n'avoir pas dit: Je veux, donc je suis; comme si Descartes en était le maître! On a beaucoup discuté et l'on discute encore sur le cogito, ergò sum: ce principe entendu dans son vrai sens psychologique se réduit, dit-on, au sujet ego inséparable du cogito. Quel que soit le verbe qui précède, le sujet je reste le même. Sans doute, et c'est parce qu'il est invariable et permanent, c'est parce qu'il est soustrait aux vicissitudes du verbe, que le sujet je de la conscience est le moi absolu de la croyance, la chose pensante, le support de la volonté elle-même. Quand on admet que le moi surgit dans la conscience solitaire, il est impossible d'arriver au moi substance, car il n'est aucun fait de conscience solitaire sans verbe; dans la conscience solitaire, le moi ne peut sortir que de la sensation et de la volonté, et se trouve soumis à toutes leurs vicissitudes; il faut alors un verbe. Aussi la psychologie actuelle est-elle forcée de dire que le je de la conscience n'est pas le moi absolu de la croyance. Elle se met ainsi en contradiction avec l'observation intérieure elle-même, car la notion de

CONSÉQUENCES INTELLECTUElles.

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substance est toujours unie à celle de cause; l'idée du moi implique ces deux notions; elles adhèrent, coïncident. Il y a plus; la notion du moi cause peut être négligée sans que celle du moi substance cesse de persister; le moi substance se montre toujours à nous comme le support du moi cause.

Ce support de tous les modes de notre pensée, comment le connaissons-nous? L'argument de Descartes est bien le procédé d'une intelligence développée, qui, s'étant jetée dans le doute, cherche à reconstruire le système de ses croyances et pose la réalité de son existence comme première vérité. Mais ce procédé se trouve en dehors de l'histoire de la pensée. Par quelle voie naturelle l'idée de substance nous vient-elle ? C'est à peine s'il est nécessaire, après ce qui précède, de répondre à cette question.-Nous savons que l'initiation détermine l'apperception de conscience: que faut-il pour cette apperception? Il faut que le moi se sépare de l'activité d'automate qui tout à l'heure l'absorbait; qu'il distingue son être libre de l'être automate, car ce n'est que par cette distinction qu'il connaît sa liberté. Or, c'est le moi absolu qui seu] peut se poser comme le support d'un double moi, du moi libre et du moi automate. De là le moi substance. Il y a plus; si le moi se pose ainsi, c'est parce qu'il s'oppose au toi de sorte que la substance personnelle et la substance extérieure sont connues ensemble.

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Mais c'est la substance spirituelle qui est ainsi connue, puisque dans l'initiation élémentaire tout est

soustrait à l'imagination et aux sens. Comment pla çons-nous une substance sous les qualités des objets extérieurs? Voici : dès qu'il s'est connu comme essence spirituelle, le moi se suffit à lui-même, nous le savons, pour connaître le corps : bien qu'à l'origine le moi spirituel se montre seul, il arrive bientôt que l'âme et le corps sont liés dans une unité, par cela seul que la même conscience résume le sentiment des facultés et les affections organiques. Dès lors il arrive aussi qu'en vertu de cette unité, la substance spirituelle, connue dès le principe, devient le support des sensations, des qualités charnelles. Donc, à l'origine, de même que toutes les forces de la nature sont conçues à l'instar de la force moi, toutes les substances corporelles sont conçues à l'instar de la substance moi. Et lorsque, plus tard, le sens intime sépare les forces volontaires des forces de la nature, il sépare les substances spirituelles des substances matérielles. Ce départ peut, toutefois, n'avoir jamais lieu; car, l'intervalle primitif entre l'âme et le corps s'efface dans l'unité construite par la conscience; l'intelligence néglige souvent la substance spirituelle pour s'attacher uniquement à celle dont les qualités sont visibles, et c'est alors que l'on parle en conscience quand on dit avec d'Holbach: Celui qui distingue l'âme du corps ne fait que distinguer son cerveau de luimême.

Lorsqu'il distingue l'âme du corps, l'esprit ne cesse pas de considérer les objets de la nature comme des

substances. Pourquoi? Parce qu'il s'appuie alors sur un principe absolu pareil à celui de la causalité. Ce principe est celui-ci : Toute quantité suppose une substance.-Une distance infinie nous sépare encore de ce principe qui n'est pas dans toutes les intelligences, ni toujours dans la même intelligence. Mais il en est de la substance comme de la cause dont l'idée seule suffit à des applications très étendues.-L'assimilation de la nature au moi commence la tendance irrésistible qui porte notre esprit vers la synthèse des diversités.

V.

La conscience atteste une infinie variété d'actions et de manières d'être du moi. Ces opérations et ces manières d'être commencent et se transforment et finissent; le noi seul qui en est le support ne se transforme pas et ne finit pas; il se maintient toujours le même; il est un et toujours identique.-Dans la morale, ce principe constitue la responsabilité; dans la logique, il rend possible la synthèse des diversités.

Sans la conscience point de personnalité et par suite point d'identité personnelle. En ce sens, la conscience qui est la condition du moi est bien aussi la condition de l'identité; mais, si elle en est la condition, elle ne la constitue pas et il ne faut pas croire Locke

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