Images de page
PDF
ePub

INTRODUCTION.

L'homme de la philosophie ressemble à la statue de Pygmalion, qui, vivante, touchait de toutes parts au néant : né d'une mère qui méconnaît la foi, de toutes parts il touche au néant du scepticisme. L'homme croit cependant; sa foi, d'où vient-elle? On répète, après saint Paul: la foi vient de l'ouïe; mais la parole n'est qu'un son quand elle ne pénètre chez nous que par l'oreille, et saint Paul avait besoin

d'ajouter l'ouïe par la parole de Dieu. Un pauvre villageois écoutant prêcher son évêque qu'il ne comprenait pas, s'écriait Mon âme entend! Ce pauvre villageois a dit mieux que personne ce qu'est la foi. Cette foi se trouve à la base de l'intelligence humaine.

[ocr errors]

Le sentiment intérieur n'est plus un vain mot. La philosophie reconnait, aujourd'hui, deux ordres de phénomènes, et, en conséquence, deux ordres d'observations; il y a l'observation extérieure qui s'adresse aux phénomènes de l'organisation, et l'observation intérieure qui s'adresse aux phénomènes de la pensée : chacune a sa sphère spéciale. La psychologie, la science des facultés de l'âme, a ses faits à elle; ce qui est la première condition pour qu'une science naturelle existe.

Mais il arrive que, malgré toutes les recherches et toutes les analyses intérieures publiées jusqu'à ce jour, la psychologie n'avance pas. Le premier de tous les problèmes l'arrête sur-le-champ: elle ne peut sortir du moi, de ce moi solitaire dans lequel elle s'est enfermée; isolée du monde, il lui est désormais impossible non seulement d'en attester la réalité, mais encore de montrer comment elle arrive à le con

naître *. Il faut qu'elle essaie, mais toujours en vain, de jeter un pont du monde de la conscience au monde extérieur. Les systèmes en viennent tous à se rencontrer sur ce point, et pour tous le travail est inutile : il ne saurait y avoir de pont sur un abime qui n'a qu'un rivage. Aussi les plus hardis n'ont d'autre ressource que celle de nier ce monde qu'il ne peuvent atteindre, ce qui est un acte de désespoir.

[ocr errors]

La psychologie est une science à faire; ce qui ne veut pas dire seulement qu'elle est une science incomplète, mais une science dont les bases ne sont pas encore posées, et dans laquelle le travail d'un jour bouleverse celui de la veille. L'astronomie, à son point de vue actuel, n'est pas une science achevée, mais elle est une science faite; aucun progrès ultérieur ne saurait renverser les lois de Kepler ni le principe de Newton qui suffisent aux exigences actuelles de l'esprit scientifique : la psychologie ne sera plus une science à faire, le jour où elle aura tellement établi son point de départ, qu'elle puisse fermer tout accès au scepticisme et satisfaire les premiers besoins de l'esprit philosophique.

Ce sera toujours, dit Kant, un scandale pour la philosophie et la raison humaine en général, que de ne pouvoir admettre qu'au nom de la foi seule l'existence des choses qui nous sont extérieures. Mais pourquoi un scandale? la foi n'est-elle rien? sait-on ce qu'est la foi?

II.

Qu'est-ce donc qui arrête le progrès de la psychologie? Sa méthode; car la méthode exerce la plus grande influence sur les recherches et fait la destinée d'une science. On ne saurait nier que l'observation intérieure ne convienne à la psychologie; mais l'observation intérieure a, peut-être, pour effet de restreindre la méthode dans un point de vue trop étroit. Celui qui se replie en lui-même pour observer les phénomènes de la conscience, acquiert nécessairement une grande tendance à l'isolement; notre attention se dirigeant plus volontiers sur les choses extérieures que sur ce qui se passe en nous, pour vaincre ce penchant rebelle nous avons besoin d'un certain effort; et le jour où nous sommes parvenus à vaincre ce penchant, nous nous trouvons entraînés par notre effort vers une pente nouvelle. Notre esprit, introduit par contemplation réfléchie dans un monde nouveau, dans le monde de la conscience, s'y renferme et s'isole. Cette tendance n'aurait-elle pas été fatale à la psychologie?

la

On a cru voir dans l'homme une unité intellectuelle, relevant d'elle seule par ses principes et par ses lois. « Comme le but de la psychologie, dit-on, est de con<< naître l'homme et non pas les hommes, et que

« l'homme est tout entier dans chaque individu de

[ocr errors]

l'espèce, il porte en lui-même tout l'objet de ses étu«des, tout le sujet de ses expériences. » — Mais cette unité qui se développe tous les jours dans l'enfant qui vient de naître, ne pouvant se développer dans la science, il faut bien que la méthode ne lui ait pas accordé toutes ses conditions naturelles. L'homme porte en lui la faculté de connaître, il est vrai; mais supposer que cette faculté se développe toute seule et sans aucun secours du dehors, c'est faire une hypothèse qui n'a rien à priori qui la justifie, rien qui puisse la rendre exclusive de toute autre. Et si, jusqu'à ce jour, la philosophie n'a pu montrer la règle qui dirige cette faculté, ni le flambeau qui l'éclaire, ne faut-il pas accuser le génie de l'isolement? On attribue à la faiblesse de l'esprit humain ce penchant qui lui fait chercher hors de lui l'origine de ses connaissances. Mais il y a chez l'homme plus d'orgueil que de faiblesse, et la science de l'âme pourrait bien avoir subi, de nos jours, le même sort qu'autrefois la science du ciel. Celle-ci fut longtemps arrêtée par l'orgueil de l'homme qui fit, durant un grand nombre de siècles perdus pour la science, tourner l'univers entier autour d'un point imperceptible dans l'espace, parce que ce point est son domaine; il voulait que l'univers entier relevât du centre qu'il habitait. N'est-ce pas cette même tendance qui veut encore que l'homme, dans son intelligence, relève de soi seul, contrairement à cette loi de la nature en vertu de laquelle les

« PrécédentContinuer »