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permanent, et toujours prêt à recevoir l'ensemble de la création. Comment arrivons-nous à l'idée de l'espace éternel? Nous répondons que deux idées bien distinctes sont encore confondues ici : celle de l'espace · et celle de l'immuable immensité. La distance qui les sépare est infinie: nous montrerons comment l'esprit humain arrive à franchir cette distance; mais plus tard.

Le temps est mesuré par le mouvement, ce qui produit la durée; l'espace est mesuré par les corps, ce qui produit l'étendue. C'est par la mesure que le temps et l'espace, connus d'abord à priori, tombent sous l'empire de la sensibilité et de l'imagination. En ce sens l'on peut dire, avec Kant, que le temps, que l'espace précède toutes sensations, supponitur sensibus; et comme la mesure du temps et de l'espace est la condition de l'expérience extérieure, nous dirons aussi que l'idée pure qui précède la mesure rend l'expérience possible. Mais nous pouvons opposer une négation à Kant, lorsqu'il détruit la réalité extérieure du temps et de l'espace, et qu'il établit son idéalisme transcendantal, cet idéalisme destructif de toutes les réalités spirituelles et matérielles; panthéisme orgueilleux et mesquin, dont le EOE c'est le moi.

Malgré les efforts de la philosophie, il fut toujours impossible d'atteindre les idées absolues du temps et de l'espace, parce que l'on voulut toujours isoler l'intelligence humaine. Par suite, les uns nièrent ces. idées en se bornant à la durée et à l'étendue, au

risque de porter atteinte à nos croyances les plus chères; les autres tournèrent la question, et, par une hypothèse hardie, déclarèrent que ces idées ne sont que des conditions primitives de notre pensée, des formes de notre sensibilité. Leibnitz avait dit ceci, mais au moins il admettait en principe la réalité des substances, tout en jetant le doute sur la réalité des phénomènes. Kant va plus loin; il pose la même hypothèse, l'analyse, la développe; de sa main puissante il la jette à la base de toute la science; puis, en se disant transcendantal, il se renferme dans le moi solitaire, contemple le jeu intérieur des facultés enveloppées de formules, et le monde avec ses réalités et ses phénomènes n'est plus qu'une fantasmagorie.

Ceux qui nient les idées absolues du temps et de l'espace ont raison, car ils ne les possèdent pas : il est deux histoires de l'intelligence humaine. Les autres se trompent; le temps et l'espace ne sont pas la condition de l'intuition extérieure, mais, au contraire, l'intuition extérieure est la condition du temps et de l'espace. L'esprit arrive à les connaître, parce que la substance moi et la substance toi, chacune à part et chacune avec ses modes, se sont déjà posées simultanément en face l'une de l'autre et l'une hors de l'autre. La substance extérieure possède le même titre que la substance moi; la réalité extérieure, dont la connaissance préexiste au temps et à l'espace, entraîne la réalité des phénomènes. Le temps et l'espace sont les formes de l'existence.

VIII.

Nous connaissons le germe des grands principes de la substance et de la causalité, principes dont l'esprit peut déjà faire une certaine application; nous savons que le temps et l'espace, vastes milieux de la nature, ne sont pas des formules vides, de simples conditions de nos perceptions extérieures; nous savons aussi que le même je pense résume toutes nos connaissances, et que ce même je pense se soutient à travers les siècles.

Mais ceci ne suffit pas à la synthèse de la nature; ceci ne suffit même pas à la moindre unité partielle. Qu'est-ce donc qui nous montre l'association des forces? Qu'est-ce qui nous montre des lois dans les formes variées offertes à nos regards? — Ici nous allons marcher vers les hautes régions de la pensée; ici nous allons entrevoir que toute synthèse résulte d'une suprême alliance entre le moral et l'intellectuel.

La nature déploie ses magnificences souvent sans un but apparent, souvent avec un luxe que l'homme, dans sa misère, est bien loin de comprendre toujours. Il y a aussi dans la nature un côté terrible; les événements de l'ordre physique ont quelque chose de si rapide, de si inattendu, qu'ils semblent tenir de la colère. Et comme il est de la tendance de nos pre

mières pensées d'animer toute la nature, les phénomènes sont aisément attribués à quelque volonté mystérieuse. Telle est, en effet, la synthèse des enfants et des peuples enfants, bien que ce ne soit pas là notre science, la science actuelle de l'humanité.

Notre science fait surtout usage des idées générales, c'est-à-dire des idées qui résument plusieurs objets. Un grand nombre d'idées générales doit naître chez un enfant quand il apprend à parler. « L'enfant qui « entend donner un nom à différents objets, ou qui «<entend un même verbe répété dans des phrases

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différentes, ne peut comprendre quel est le sens « attaché à ce mot et à ce verbe qu'en comparant « entre eux les différents objets que désigne égale«ment le premier, les différentes circonstances où « le second a été prononcé, et en découvrant par cette comparaison ce qu'il y a de semblable dans ces objets ou dans ces circonstances; car c'est ce quelque chose de semblable qui est désigné par le nom << ou par le verbe. » Ce quelque chose de semblable donne bien, en effet, une idée générale, et l'observation ci-dessus est très juste: mais il est des idées générales dont le caractère essentiel consiste dans une valeur à priori, indépendante de l'expérience. N'est-il pas nécessaire que les idées générales sorties de l'expérience empruntent leur forme à d'autres qui n'en sortent pas? Comme ce quelque chose de semblable est uniquement conçu par l'esprit et n'a pas une réalité sensible qui puisse être montrée ou figurée,

l'enfant ne parviendrait jamais à le démêler dans le dédale des mots, sans un modèle, sans un premier apprentissage. Il a besoin d'apprendre, avant tout, qu'il peut y avoir des idées générales, et que ces idées se traduisent par un mot. Dès lors seulement, à mesure qu'il s'apercevra qu'un nom commun s'applique à différents objets, il pourra dégager l'idée générale par une abstraction immédiate, sans laquelle la tradition du langage serait un travail sans fin. Ce premier fait de conscience, élément de la forme pure des idées générales, c'est l'idée générique d'homme. Cette idée est l'exemplaire des idées générales. Dans la bouche d'un enfant, le nom de son père ne reste pas longtemps le nom d'un individu; il l'applique bientôt à plusieurs personnes. Et lorsqu'il apprend plus tard le nom d'homme, ce n'est pas une idée nouvelle qu'il acquiert, mais le nom d'une idée qu'il possédait déjà. Après avoir nommé son père, l'enfant donne-t-il le même nom aux autres hommes, parce qu'ils se ressemblent tous? Non, sans doute; ce n'est pas à la qualité commune à tous les hommes de se ressembler par le corps que l'enfant donne le nom générique; c'est à la qualité d'homme, c'est au moi humain, à ce moi qu'il a connu par l'initiation intérieure. Il fallait que le premier exemplaire des idées générales fût soustrait à l'imagination et aux sens, pour que certaines idées pussent revêtir plus tard ce caractère de l'absolu qui les fit placer au sommet de l'échelle des êtres par Platon.

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