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d'amour, celui qui annonce Dieu ne peut le faire connaître que par un acte d'amour de Dieu et de l'homme. L'initiateur aime Dieu et sait que Dieu l'aime; il a la conscience de son amour et la conscience de l'amour réciproque de Dieu pour lui. Dans l'initiation notre âme puise tout cela et ne saurait le puiser ailleurs. Le premier homme reçut de Dieu même cette initiation; il nous l'a transmise par la perpétuité d'un acte psychologique. Lorsque cette tradition vient à s'interrompre ou à s'altérer quelque part, la religion dégénère et avec elle toute la société. - Amour de Dieu et conscience de l'amour réciproque de Dieu pour l'homme; tel est le premier principe de la religion. Nous en avons montré la source, et nous pouvons affirmer que sans l'initiation intérieure ce principe n'existerait dans le cœur humain.

pas

Ce n'est donc pas la crainte de Dieu, sentiment égoïste et solitaire, qui est le principe de la religion; c'est l'amour, l'amour de moi et l'amour de Dieu associés et harmonisés par la foi, sanctionnés par le bonheur.-Et cependant, la crainte de Dieu est aussi le principe de la religion; car dans la religion comme dans la famille il est deux morales. C'est surtout par le cœur que l'homme arrive à comprendre son immortalité; c'est surtout par le cœur qu'il arrive, dans sa conscience, à ce sentiment de l'infini sans lequel l'idée de Dieu est impossible. Donc celui qui, par le vice de son initiation élémentaire, rapporte tous ses sentiments à l'amour de soi, ignorera l'amour de Dieu.

S'il craint, ce n'est point parce qu'il comprend l'immortalité, car il vous dira que la pensée est un produit du cerveau; ce n'est point parce qu'il conçoit Dieu, car il vous dira que l'univers est une montre dont personne n'a jamais vu l'horloger... Pour lui, Dieu, la liberté et l'immortalité ne sont que des mots vides; mais il entend prononcer ces mots, et précisément parce qu'il ne puise pas dans sa conscience toute l'énergie de ses facultés, il finit par avoir peur, et se résigne à la crainte salutaire.

peur.

Il a

II.

Il est une solidarité religieuse comme il est une solidarité de famille. La nature morale d'Adam fut engendrée lorsque Dieu, qui est l'amour par essence, souffla sur sa face l'esprit de vie; la connaissance parfaite de Dieu porta nécessairement son influence dans toutes les pensées des premiers hommes, et la tradition de cette influence a persévéré dans tous les temps et dans tous les lieux, à divers degrés. Ce fait traditionnel constitue la solidarité sociale de l'homme à Dieu et des hommes entre eux. De même qu'un enfant éloigné du foyer domestique et jeté dans le monde, demeure toujours l'enfant de sa maison, l'homme malgré toutes ses dégénérations est toujours demeuré

l'enfant de la cité de Dieu; il a beau se vicier de toutes les manières, il n'a jamais pu se départir de certaines règles qui attestent sa noble origine. C'est là la source de ce devoir immuable reconnu toujours et partout; c'est là le foyer de cette force qui toujours et partout enchaîne l'homme à certaines règles. Certes, la beauté et la vertu n'ont pas offert sans interruption la même pureté dans leurs types; cette pureté est souvent altérée, et cependant parmi la prodigieuse diversité de mœurs, de caractères et de cultes, on retrouve encore l'unité dans la variété. On retrouve sans cesse les mêmes notions du bien et du mal. La sainte voix de la tradition morale n'a jamais cessé de se faire entendre; elle a pu s'affaiblir, mais elle ne s'est jamais éteinte. Les vérités de l'ordre moral, quoique imparfaites, subsistent indépendamment de tous les temps et de tous les lieux; elles sont douées d'une valeur nécessaire et universelle, de telle sorte que la race humaine venant à s'éteindre, il semble qu'elles persisteraient encore pour donner des lois aux races futures. Souvent on va chercher bien loin la sanction absolue des idées du bien et du beau; cette sanction n'est pas ailleurs que dans la tradition qui forme le lien et perpétue la PARENTÉ de notre nature avec la nature divine. Tous les hommes sont solidaires d'une loi, parce qu'ils sont tous appelés à dire toi à Dieu dans leur conscience; et si cette loi s'offre à nous comme douée d'une valeur à priori, c'est que la tradition s'accomplit de conscience à conscience. L'homme porte la loi morale écrite dans

son cœur et en même temps il en place les tables dans le cœur de Dieu.

On a dit bien souvent que la loi morale se résume tout entière dans ces deux maximes :

Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit à toi-même.

Fais à autrui ce que tu voudrais qu'on te fit à toi

même.

Mais il faut ajouter que la seconde de ces deux maximes appartient à ceux-là seuls qui reçoivent et conservent l'initiation élémentaire dans toute sa pureté.

La loi morale tire sa valeur absolue de l'idée de Dieu, et comme l'idée de Dieu n'est elle-même possible qu'avec le sentiment de l'infini dans nos propres facultés, disons que dans l'accomplissement de cette loi l'homme conserve, vis-à-vis de lui-même, toute sa liberté. L'homme qui sent l'éternité dans sa conscience peut dire hardiment avec Jacobi : « Oui, je << mentirais comme Desdemona mourante; je trompe<< rais comme Oreste, quand il voulait mourir à la

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place de Pilade; j'assassinerais comme Timoléon; « je serais parjure comme Épaminondas; je me dé<< terminerais au suicide comme Caton; je serais sacrilége comme David: car, j'ai la certitude en moi« même qu'en pardonnant à ces fautes selon la lettre, «<l'homme exerce le droit souverain que la majesté «de son être lui confère; il appose le sceau de sa di

gnité, le sceau de sa divine nature, sur la grâce qu'il << accorde. >>

Il est des gens auxquels ceci fait peur; ce qui n'empêcha pas Charlotte Corday de puiser dans sa conscience ce cri sublime : « Le monstre, il m'appelle un assassin!»> On dit aussi que la vertu, du moment où elle désire des priviléges, n'en mérite pas. Sans doute; mais voyez donc si Charlotte Corday demanda des priviléges, et si elle refusa de décliner ses nom et prénoms devant l'accusateur public. - C'est précisément parce que la loi morale n'a pas une valeur précaire mais une valeur absolue, que les paroles de Jacobi sont vraies.

III.

Accomplir la loi du devoir par la crainte de Dieu, n'est que le sublime de l'égoïsme; la loi morale est énergique quand elle est vivifiée par la charité sociale. L'antiquité païenne fut étrangère à cette charité, et c'est pourquoi les législations de la Grèce et de Rome furent si inférieures à celles qui se sont produites sous l'influence chrétienne. Aristote avait une idée très haute de la Divinité, et cependant Aristote croyait à la fatalité indestructible de la nature esclave. C'est que, pour Aristote, Dieu n'était pas le père commun dans l'acception simple de ce mot; pour Aristote, Dieu

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