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serviteur du Dieu suprême dont l'idée primitive n'était pas entièrement effacée. La destruction de ces divinités devait arriver tôt ou tard. L'homme découvrit que par sa force propre il pouvait gouverner certains phénomènes; il vit qu'il commanderait aux divinités dont il peuplait l'univers, si ces divinités existaient. Chaque découverte chassa quelque dieu du sein de la nature, et l'esprit reconquit peu à peu 'cet axiome: Dieu déposa dans la nature des forces qui produisent les phénomènes suivant un ordre fatal, en même temps qu'il créa la liberté de l'homme. Pour nous, dans l'état actuel des croyances, cet axiome résulte immédiatement de la conscience que nous avons du moi, de Dieu et de l'indépendance réciproque du moi et de Dieu :

Il suffit donc de placer l'intelligence dans les voies naturelles de son histoire pour tomber sur la solution d'un problème de la plus haute importance, problème que Kant énonce ainsi* :

Possibilité de la causalité
PAR LIBERTÉ

Concurremment avec la loi générale de la nécessité
Naturelle.

Si la conscience ne posait pas d'abord les deux termes indépendants moi et Dieu, pour en déduire

Critique de la raison pure, tome II, page 137 de la traduction Tissot.

le principe de la causalité, principe que la conscience engendre et développe vis-à-vis de la nature sans en puiser toutefois la valeur dans l'expérience, le pro blème que nous signalons serait insoluble; ce problème rencontrerait des antinomies sans fin, des arguments sans cesse en conflit. Quand on prétend arriver à la causalité libre, à Dieu, par la chaîne des causes secondes, ce Dieu n'est qu'un vain être de raison, auquel on peut opposer sur-le-champ la toute puissance de la nature. Pour anéantir l'idée de Dieu, il suffit de dire alors que la nature est, qu'elle est absolument, et que la causalité d'après les lois de la nature suffit à la dérivation de tous les phénomènes, sans qu'il soit nécessaire d'admettre un premier moteur, une causalité primitive par la liberté. Pour combattre un tel argument, il n'est pas d'autre moyen que de lui demander les titres de son origine. Que dit-on quand on proclame une nature qui est absolument? L'on énonce une idée qui porte le caractère de l'absolu, et l'on peut être interrogé sur la valeur de cette idée. Que répondra-t-on? L'analyse des éléments intellectuels forcera ceux qui connaissent un peu la rigueur scientifique, et qui cependant veulent ne pas sortir de la psychologie solitaire, à dire que cette idée est dans les formes de notre entendement, et dès lors cette nature que l'on prétendait faire Dieu s'écroulera ; Dieu ne tombera pas seul la conciliation de la nature avec la liberté sera la destruction de toutes les réalités, hormis du moi qui restera soli

taire dans un milieu rempli de fantômes et pire que

le vide.

IV.

C'est ainsi qu'une saine méthode décidée à n'abandonner jamais la génération naturelle de nos idées, s'enquicrt de leurs titres véritables; tandis que l'idéologie systématique aboutit à de vains êtres de raison, et transforme la théorie de l'intelligence en un dédale de preuves contradictoires et inutiles. Cette méthode seule donne une théorie capable de supporter la vérification historique; vérification qui doit prendre ses termes non seulement dans l'histoire de la philosophie, mais encore, et avant tout, dans l'histoire des croyances vulgaires, depuis la croyance du Patagon jusqu'à celle de François de Sales. Continuons.

:

Toute qualité suppose une substance: C'est la seconde des deux vérités qui soutiennent l'édifice de nos connaissances, et sans lesquelles cet édifice tomberait en ruines de même que le principe de la causalité résulte de la conscience que nous avons du moi et de Dieu conçus comme causes, le principe de la substance résulte de la conscience que nous avons du moi et de Dieu conçus comme substances.

Lorsque nous considérons notre existence, nous voyons en nous telle ou telle qualité; nous avons conscience de notre être et de notre manière d'être; nous

reconnaissons que l'être est le support de la manière d'être, la substance de la qualité. Mais la substance est nôtre, la qualité est nôtre; et il n'y a rien là que d'individuel. Donc, si le sens intime ne nous donnait pas la conscience du toi, l'idée de substance resterait enfermée dans le moi personnel. Pour cette raison, le transport que l'on a voulu faire, jusqu'à ce jour, de cette idée dans le monde extérieur, est tout à fait illégitime; pour cette raison, les fondements de la science sont encore établis sur un sable mouvant, au point de vue philosophique.

Mais au moment où l'œil intérieur s'ouvre pour la première fois, il voit ensemble le moi et le toi, le moi et le toi forces et substances. La substance personnelle et la substance extérieure sont donc connues simultanément, et l'idée de substance apparaît, douée de sa valeur subjective et objective, dans le monde des âmes. Cette apparition des premiers jours ne dure pas.

Bientôt la conscience, une et permanente, résume le sentiment des facultés infinies et les sensations; la substance primitivement connue, l'âme, devient le support des affections, des qualités organiques; la substance âme s'enveloppe de langes matériels et devient le support du corps. L'observation et l'histoire attestent que chaque homme passe par un âge de la conscience où l'unité terrestre, qui est âme et corps, ne se dédouble pas, après s'être formée.

Si, par le vice de l'initiation ou par toute autre cause, l'intime énergie reste plongée dans les affections

organiques; si le moi prend l'habitude de passer tout entier dans la sensation, l'âme pourra disparaître pour toujours de la scène intérieure, et le support des qualités extérieures, la substance corporelle demeurera seule. Que si le sentiment des facultés infinies surgit au contraire, l'unité terrestre se déploiera, se dédoublera, se constituera dans son entier au sein de la conscience; il y aura dans cette unité la substance âme et la substance corps.

Après ce départ, opéré dans l'être humain, entre l'âme et le corps, la conscience laissera l'idée de substance dans les choses inanimées; les choses continueront à être rangées dans l'ordre des substances par un prolongement de ce fait intime en vertu duquel les enfants s'associent les choses, dans leurs jeux, en leur parlant comme à des personnes. Mais ici, l'idée de substance ne sera pas aussi fermement établie que dans l'unité de l'âme et du corps. Si la conscience pose une double substance dans l'être humain que le moi s'approprie, c'est que l'initiation, en franchissant les organes, a donné l'idée de substance avant celle de qualité ; c'est que, devant la conscience, qualité veut toujours dire manière d'être; c'est enfin que la conscience, une et permanente, résume le sentiment des facultés et l'affection organique. Or, tout ceci ne saurait être transporté partout dans la nature.

Lorsque le sentiment des facultés infinies, en écartant les langes matériels de l'âme, a détruit la parité établie, dès la prime-enfance, entre les êtres animés

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