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et les choses, comment se fait-il donc que toutes ces choses conservent leur valeur absolue de substance? C'est que, si l'âme est connue, Dieu est connu; c'est que, par l'idée de Dieu, l'entendement s'élève, sur-lechamp, à ce principe absolu : toute qualité suppose une substance. - En effet, dès que l'esprit a conçu Dieu, la substance en laquelle tout est primitivement, s'il ne donne pas une substance à part, une substance propre aux qualités dont l'âme se sépare, il sera forcé de les placer en Dieu; il y aura donc un support à la qualité toujours. Il faudrait nier la qualité pour nier la substance; la qualité sera tout au moins une manifestation immédiate de Dieu. Si l'idée de substance divine existait seule, le principe de la substance serait le panthéisme; mais en face de Dieu se pose le moi, le moi personnel avec son individualité propre et son indépendance, et dont la conscience préalable est la condition même de la connaissance de Dieu : la conscience pose donc deux ordres de substances indépendantes, DIEu et le moi.

Cette indépendance réciproque conduit notre esprit au développement complet du principe de la substance, et sépare de Dieu le support des qualités matérielles. L'indépendance des deux termes, Dieu et moi, ne permet pas que des qualités si souvent soumises au moi représentent des manifestations immédiates de Dieu; car Dieu est connu, dans la conscience, à l'instar du moi, et le moi se sait parfaitement libre dans ses manifestations. La conscience place donc nécessairement

les qualités matérielles en des substances émanées de Dieu, mais actuellement séparées de lui comme l'âme humaine. -Sur quoi remarquons un fait bien curieux et bien fécond (que nous aurions pu signaler aussi pour la causalité): le principe de la substance traverse, par rapport à Dieu, les mêmes phases d'enveloppement et de développement que la simple idée de substance, par rapport au moi; pour cette raison, le matérialisme et le panthéisme modernes correspondent, dans une sphère plus élevée, au matérialisme et au panthéisme poétiques et grossiers dont Vico trace l'histoire. Ceux-ci sont aussi naturels que ceux-là; tous sont dus à la défaillance de l'intime énergie, en présence de la nature ou en présence de Dieu.

Tandis que certains esprits demeurent empétrés dans les broussailles de l'intelligence, d'autres les franchissent d'un saut, et parviennent sur-le-champ au dernier développement des principes, par la vertu d'un acte multiple qui résulte de la conscience bien arrêtée du moi et de Dieu connus comme substances. Le principe de la substance n'est ainsi qu'un jugement analytique; il en est de même du principe de la causalité

Quant à la nécessité qui nous presse de tout faire émaner primitivement de Dieu, et de rapporter · tout à lui (hormis ce que nous savons être supporté par une substance indépendante), elle est inhérente à l'idée de Dieu. Nous savons que tout émane de Dieu comme un enfant sait qu'il émane de sa mère ;

mais si nous voulions aller au-delà de ce sentiment intime, transmis par l'initiation avec l'idée de Dieu, si nous prétendions pénétrer le mystère de l'émanation universelle, nous sortirions des voies de notre nature; et, dans ce moment, un ange qui se trouverait près de nous, pourrait bien être saisi de dégoût et de pitié, comme nous le serions nous-mêmes en voyant un enfant qui, sur les genoux de sa mère, voudrait pénétrer le mystère de la génération.

V.

Nous voilà donc parvenus aux deux grands principes de la substance et de la causalité.

Ces deux principes sont à priori, et n'empruntent pas leur valeur à l'expérience; car ils sortent de deux faits de conscience, ils sortent de la conscience du moi et de la conscience de Dieu, produites chez l'homme par l'initiation intérieure qui franchit les

organes.

Ces deux principes existent dans le monde des âmes, indépendamment de leur existence dans le monde des corps; aussi la vie de l'âme, dans toutes ses opérations intellectuelles, est par là même conau-delà du monde des corps.

çue

Ces deux principes ne sont pas simplement subjec

tifs comme on a voulu le prétendre; car ils sortent de la triple conscience que nous avons du moi, du toi, de Dieu. Ces principes se rapportent à l'objectivité extérieure et absolue.

Considérés comme jugements, ces principes sont des jugements analytiques; avant de se traduire en formules, ils étaient contenus dans une connaissance préalable. Que si nous restions au point de vue de la conscience solitaire, nous devrions les appeler jugements synthétiques, jugements que l'esprit construit de son propre droit; car, pour le moi solitaire, qu'y a-t-il de commun entre les deux termes de la proposition tout phénomène suppose une cause? Dans un événement, il n'y a rien qui s'appelle cause, rien qui s'appelle.effet, et si vous prétendez que le moi solitaire doive affirmer le contraire, vous direz qu'il y est forcé par les conditions mêmes de sa faculté de penser.

Dès que l'on a dit, avec Kant, que l'intelligence solitaire construit de son propre droit les jugements synthétiques, il faut admettre avec lui que ces jugements sont la condition même de l'entendement, la forme de nos facultés. C'est ici qu'on peut comparer Kant à Newton. La gloire de Newton fut de découvrir la formule, ou si l'on veut, la forme de la puissance qui meut les astres de cette formule l'on a déduit toute la science du ciel, dans son ensemble et dans ses détails. Kant voulut marcher dans une voie pareille, chercher la forme de nos puissances, de nos facultés

intellectuelles, et avec elle construire le monde de la pensée. Mais il oublia que la formule Newtonienne ne contient pas tout, ou plutôt que cette formule a besoin d'une constante, dont la valeur reçue primitivement, porte avec elle les conditions du désordre ou de l'harmonie. Le mouvement orbiculaire, c'est l'harmonie, c'est la vie de l'ensemble, et l'expression de la force ne renferme que la possibilité de ce mouvement : la réalisation en est tout entière contenue dans la valeur de la constante qui représente la vitesse initiale; changez cette valeur, et vous aurez sous l'empire de la force, au lieu de ces beaux astres harmonieusement associés et pleins de vie, des corps courant fatalement dans l'espace au chaos et à la mort (on sait que dans le problème inverse de l'astronomie, quand. on néglige la valeur de la vitesse initiale, la formule de Newton donne indifféremment le mouvement elliptique, parabolique, etc.). Il faut une vitesse initiale, et non pas une vitesse quelconque, mais une vitesse imprimée en vue d'une loi, en vue d'une idée. Emmanuel Kant avait tort, en faisant son propre éloge, de se comparer à Copernic: il eût mieux défini la révolution qu'il prétendait opérer en philosophie, par une comparaison tireé de la découverte Newtonienne. Supposons un instant le soleil doué d'intelligence, conscient de la force attractive qui réside en lui, et cherchant, d'après la forme de cette force, à connaitre par intuition et à priori les phénomènes du ciel..... le soleil pourra-t-il dire : L'intuition de ce qui est en moi me donne

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