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d'ailleurs il soit permis à Kant de rien affirmer sur la réalité de la nature.

Mais en acceptant ce principe, que les lois de la nature sont les lois de l'intelligence, l'esprit humain avait besoin d'ajouter : réciproquement les lois de l'intelligence doivent se trouver au dehors comme lois de la nature. Schelling a représenté d'une manière imposante ce développement nécessaire de la philosophie Kantienne; mais déjà les grandes théories de Schelling se sont écroulées, et aussi le système de Hegel, qui n'était guère qu'un sommaire encyclopédique construit par une logique toute-puissante. Pourquoi donc tant de travaux en pure perte? C'est qu'ils reposent, en des régions plus ou moins élevées, sur un sable mouvant, sur un hypothèse contre naturé, sur l'hypothèse Kantienne, qui se borne à considérer dans l'intelligence et dans le monde, la loi qui règle le développement des facultés et des forces, en effaçant le fait originel de l'initiation qui pose partout une constante primitive. - Rétablissons donc ce fait élémentaire, et nous comprendrons alors, qu'en effet il est vrai que les lois de la nature sont en nous comme lois de la conscience, et les lois de la conscience hors de nous comme lois de la nature; alors nous comprendrons aussi qu'il est vrai et sous quelles conditions, c'est-à-dire à quel âge de l'intelligence, il est vrai qu'il n'y a rien dans l'intelligence qui n'ait été dans les sens, et rien dans les sens qui n'ait été dans l'intelligence.

L'hypothèse fondamentale de Kant et des systèmes venus après le sien, est fort séduisante; elle simplifie merveilleusement toutes choses dès l'abord; elle tranche sur-le-champ la question des idées universelles en les offrant comme une condition même de la pensée; elle a l'avantage de circonscrire l'intelligence dans une formule directrice des fonctions du jugement; elle promet à la science une allure sûre et sévère, et cependant elle la précipite tout à coup dans le chaos. Ce n'est pas néanmoins pour montrer ce résultat et pour une critique vaine, que nous nous sommes arrêtés devant le philosophe de Koenigsberg; c'est parce que nous avons voulu bien caractériser son hypothèse, mère de tant d'autres hypothèses, trouvant fort étrange qu'elle ne soit pas adoptée aujourd'hui par tous ceux qui connaissent sérieusement la rigueur scientifique. Cette hypothèse est une hypothèse forcée dans la psychologie solitaire; car, si l'on ne pose pas sur-le-champ les idées universelles comme conditions primitives, comme formes de la pensée, il est impossible plus tard d'en montrer la génération; voilà ce qu'il faudrait bien comprendre. Si cette génération ne peut être montrée, s'il est même prouvé qu'elle ne saurait avoir lieu, de deux faits l'un ou bien ces idées représentent les formes de nos facultés, ou bien elles sont le résultat d'une initiation intérieure; le premier isolerait le moi, le second associe les consciences; le premier conduirait au scepticisme et ferait désespé

rer de la philosophie, le second doit conduire à la vraie science *.

IX.

Il n'est qu'une seule proposition synthétique, celleci: tout émane de Dieu; de cette vérité les autres procèdent. Cette vérité s'impose à l'esprit humain à l'instant où celui qui nous transmet l'initiation supérieure montre, sur le théâtre de la conscience, son âme éternelle en face de notre âme, et prononce le nom de Dieu.

De l'idée de Dieu nous avons vu sortir les vérités nécessaires et absolues qui gouvernent l'entendement, et

A un certain point de vue l'on peut dire aussi que la doctrine de Kant est le dernier mot du matérialisme. Le matérialisme pose en principe que les fonctions vitales constituent l'àme; que l'intelligence et la ́sensibilité que l'on n'aperçoit pas, il est vrai, dans les éléments primitifs des corps pris isolément, peuvent très bien se rencontrer dans ces éléments, lorsqu'ils sont combinés de façon à former un tout organisé. La faculté de penser est un mode de ces éléments agrégés; tant qu'il y a corps organisé, il y a de la pensée avec un sentiment de plaisir ou de peine : tout cela disparaît aussitôt que le corps n'est plus. Mais la grande objection contre le matérialisme, c'est qu'il nie les idée absolues du temps, de l'espace, de la cause, etc., ne pouvant pas en montrer l'origine. Or, cette difficulté disparaît quand on a dit que les idées absolues sont de simples formes de la pensée. Certes, Kant n'avait pas l'intention de prêter son appui au matérialisme; mais Newton n'avait pas non plus celle de lui prêter le sien, et pourtant le matérialisme tend à substituer à Dieu, partout dans la nature, un principe comme l'attraction.

qui représentent aussi les lois élémentaires de la nature. Mais les principes de la substance et de la causalité ne sont que les lois brutes de la nature; elles n'en sont point les lois artistes ces principes pourraient régner également, dans le temps et dans l'espace, sur le chaos comme sur l'harmonie.

L'homme ne croit pas seulement que tout phénomène suppose une cause, une force, il croit de plus à l'association des forces de la nature; l'homme ne croit pas seulement que toute qualité suppose une substance, il croit de plus que la substance représente des types préétablis, qui déterminent la diversité des êtres. Le principe de la causalité se développe donc dans l'association des forces et le principe de la substance dans l'harmonie plastique des variétés. A l'entendement appartiennent les principes bruts de la substance et de la causalité; à la raison le principe de l'unité dans la variété.

Revenons aux idées de Platon. Ce philosophe les considère comme les exemplaires et les formes éternelles des choses. La nature est tout entière contenue dans ses genres principaux, et c'est pourquoi l'idée est la clef de l'unité opposée au multiple: elle se découvre au sommet de toutes les échelles des êtres. Il n'y a qu'une seule et même idée pour chaque genre; elle en constitue l'essence; elle en représente toutes les espèces et tous les individus; elle en renferme toutes les conditions; elle sert de lien comConsidérez une plante, un animal; vous

mun.

dites que cette plante est belle, que cet animal est beau dans son espèce: pourquoi? Parce que vous pensez à une idée primitive de l'espèce, à une intuition purement intellectuelle qui sert de terme de comparaison, et qui même vous fait sans cesse comprendre qu'un individu n'est jamais d'accord avec la plus grande perfection de son espèce. Considérez un homme; vous dites aussi qu'il est bon, qu'il est vertueux, parce que vous ne pensez pas seulement à l'intuition purement formelle du genre, mais encore à celle de ses conditions morales; conditions révélées dans la famille par l'amour et le dévouement, et plus tard dans la société; conditions qui peuvent elles-mêmes être renfermées dans une idée, l'idée de vertu. Nous voyons que la théorie des idées est ce qu'il nous faut joindre aux principes de la substance et de la causalité.

D'ou viennent les idées? sont-elles une réminiscence, sont-elles innées? S'il en était ainsi, ces idées s'offriraient à l'esprit bien définies, bien complètes, tandis qu'elles s'offrent toujours comme une inconnue dont nous savons l'existence, vers laquelle nous tendons, mais sans jamais pouvoir la posséder entièrement.

A-t-on jamais défini parfaitement le beau idéal, a-t-on jamais défini le bon et le beau? Non jamais; nous savons seulement qu'il est tout idéal reste plus ou moins voilé, et c'est pourquoi les peuples le cherchent tantôt dans une direction et tantôt dans une autre. Les naturalistes ont-ils jamais

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