Images de page
PDF
ePub

A cet état de l'âme joignez la tradition par le cœur; supposez la présence de Dieu dans les consciences; supposez ces degrés divers dans l'initiation traditionnelle, lesquels produisent les luttes, et font naître la charité qui est l'amour dans la douleur et dans le nom de Dieu : vous aurez l'homme du christianisme, l'homme dont les facultés tendent à se développer sans cesse par la toute-puissance de l'amour.

Il n'est pas une société qui ne renferme les divers degrés de l'initiation de là ces combats perpétuels qui bouleversent les champs de la tradition. Forcé de vivre dans un tel milieu, l'homme le plus pur est soumis aux influences intérieures les plus délétères, et le drame qui commença pour lui sur les genoux de sa mère, continue; mais cela même est un bien s'il sort vainqueur de la lutte, car la lutte développe et fortifie les facultés de notre âme. L'homme est comparable à l'alcyon qui bâtit son nid au milieudes tempêtes, et qui se garde du naufrage tant qu'il respire en haut et jette son ancre vers le ciel.

CHAPITRE II.

CONSÉQUENCES MORALES.

I.

Qu'est-ce que le pouvoir? Le pouvoir est la domination des croyances actuelles, la réalisation de la foi dans les lois; le pouvoir est donc une chose toute morale qui émane du peuple.

Le dogme de la souveraineté du peuple n'a qu'un adversaire sérieux parmi tous les écrivains de notre temps, M. de Bonald. M. de Bonald est en effet le seul qui ait essayé de fonder une théorie rationnelle en dehors de ce dogme. Mais après avoir confondu deux éléments tout à fait distincts, le gouvernement et la souveraineté, le faire et le vouloir, il supprime bientôt le second, et sa théorie n'est plus qu'une théorie du gouvernement viciée dans son principe. De là le peu d'influence de son œuvre, malgré cette logique toute-puissante qui enchaîne ses déductions, et cette autorité de parole qui le distingue.

C'est du peuple que l'on peut dire, en toute vérité,

[ocr errors]
[ocr errors]

qu'il règne et ne gouverne pas. Ceci bien compris, tous les arguments élevés contre la souveraineté du peuple viennent à son appui ainsi chez l'illustre auteur de la législation primitive. « Nous pouvons affirmer, dit-il, que le peuple est sujet, et qu'il est même impossible qu'il exerce en corps la souveraineté puisqu'il faut parler et agir pour être souverain, et qu'un peuple en corps ne pourrait physiquement parler et se faire entendre, et ne peut agir sans « tout renverser. On dira que le peuple assemblé s'exprime par un organe ou le ministère d'un orateur;

[ocr errors]

[ocr errors]

"

[ocr errors]
[ocr errors]

་་

« mais un organe doit être inspiré par celui qu'il représente; au lieu que dans ce cas, dans ce cas, c'est l'organe qui inspire lui-même son mandataire, lui insinue «ses desseins que le peuple prend pour ses propres « volontés, et de là tous les désordres des états popu«<laires et l'extravagance de leurs résolutions. Or, «< une souveraineté qui ne peut parler et agir que par inspiration, n'est point une souveraineté, mais une « obéissance déguisée. » - Le peuple serait done vraiment souverain s'il inspirait ses organes au lieu d'en être inspiré. Eh bien ! nous pouvons affirmer, à notre tour, que l'organe ne jouit jamais d'une puissance sociale ou politique s'il ne puise ses inspirations chez le peuple ; par le fait, un tel organe n'existe pas. La grande erreur est de placer la souveraineté dans l'action gouvernementale, dans l'administration quotidienne; ce n'est pas là que git la souveraineté du peuple, mais bien dans l'élaboration continue des

idées, de l'élément moral qui doit se réaliser dans les lois. Or, quand un organe s'assimile ces idées, ces éléments, et qu'il les formule par la parole, il est organe dans toute la force du terme, et l'on nes aurait dire alors que l'organe inspire le mandataire; car, au contraire, sans le travail souverain et antérieur du mandataire, l'organe serait muet, ou du moins il parlerait dans le désert.

« Les grands changements qui arrivent en bien ou << en mal dans les institutions sociales, dit encore le « même auteur, n'ont jamais de date certaine : ils « existent déjà quand les hommes les déclarent; « et même les hommes ne les déclarent et ne les « sanctionnent par leurs lois que parce qu'ils exis«tent depuis longtemps. C'est une vérité impor<< tante aperçue par le président Hénault dans ses ob«servations générales sur l'histoire de France. » — Or, si la loi ne fait que déclarer ce qui existe depuis longtemps dans les mœurs, le peuple seul est cause, donc seul il a, ou plutôt il est le pouvoir; donc le peuple est le seul et unique souverain après Dieu.

Ce qui précède est plutôt pour définir le dogme de la souveraineté du peuple que pour l'établir; car, autant vaut-il nier le soleil que de nier ce dogme. Le peuple est souverain de droit et de fait, et n'a jamais cessé de l'être, malgré toute les négations et malgré tous les despotismes; son pouvoir n'est pas seulement indélébile dans le droit éternel, il l'est aussi

[ocr errors]

dans le fait historique. Les adversaires de la souveraineté du peuple détruisent leurs arguments par cela seul qu'ils parlent les mots sont comme des médailles qui représentent la royale effigie du vulgaire. -Le peuple est donc souverain parce qu'il est le gardien de la tradition, parce qu'il élabore les croyances, qu'il fait les mœurs et par suite les lois.

Nous avons établi, précédemment, un principe auquel nous ajoutons la plus haute importance, celui-ci : Tout acte de foi, toute croyance nouvelle est la formule d'un nouveau développement des facultés de notre âme, d'un nouveau développement de l'idée de Dieu dans notre conscience. Lorsqu'un peuple tend à exercer sa souveraineté, c'est qu'il a foi en luimême, c'est que dans la conscience de la foule l'idée de Dieu s'est agrandie. Il y a toujours une correspondance nécessaire entre le développement de nos facultés et l'extension de l'idée de Dieu; d'où il résulte que vouloir imposer silence au peuple quand il dit je veux, c'est lui défendre de dire je crois en Dieu. Ici, se trouve la sanction religieuse de la démocratie, et c'est ici que, par une chaîne à laquelle il n'est point permis de porter une main profane, la souveraineté du peuple unit sa force à celle de Dieu même. De là deux conséquences :

:

Lorsqu'un peuple a perdu le sentiment de sa souveraineté, c'est que dans sa conscience l'idée de Dieu s'est amoindrie et que ses facultés morales sont altérées. « Les esclaves n'ont point de Dieux,» a dit Eschyle.

« PrécédentContinuer »