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soient impunément ébranlés; mais nous parlons ici de l'origine des choses, alors que le moi ne se connaît pas encore, et nous établissons comme un fait de notre nature qu'alors les impressions passent à travers les organes sans être aperçues.- Sans la préexistence du moi, point de sensation.

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Dira-t-on ceci ni la sensation ne précède le moi, car si elle le précédait il y aurait des sensations qui ne seraient point aperçues; ni le moi ne précède la sensation, car s'il la précédait il y aurait un moi sans conscience? — Il est très vrai que la sensation distincte ne saurait précéder le moi, mais où a-t-on vu que la conscience ait toujours besoin de la sensation? Dirat-on que le moi procède du sentiment de nos actions automatiques à l'origine? Nous avons déjà démontré le vide de cette hypothèse.

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L'idée de l'existence extérieure ne procède pas non David Hume est forcé d'aplus de la sensation. vouer: «Que sans raison et même avant l'usage de << la raison, nous supposons un monde extérieur, indépendant de nos perceptions, et qui n'en existerait << pas moins quand bien même nous n'existerions pas.

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Il paraît encore évident, ajoute-t-il, que les hommes, << en suivant cet instinct de la nature, si aveugle mais «< si puissant, supposent toujours que les images pré<< sentées par les sens, sont les objets externes mêmes, << ils n'ont garde de soupçonner que ce sont des impressions. -Cet instinct de la nature n'est point aveugle, il est tout simplement naturel. Un jour,

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l'abbé Sicard essayait vainement de définir le jugement à un de ses élèves, et de lui apprendre à lier l'adjectif avec son substantif, la qualité avec son objet. L'abbé Sicard déployait son mouchoir, traçait la figure d'un carré, plaçait les lettres du mot carré entre celles du mot mouchoir, puis, faisant sortir le mot carré du mot mouchoir, les joignait tous les deux par un trait surmonté du mot est, pour signifier que le mouchoir est carré : l'élève ne comprenait pas. En vain l'habile instituteur essayait-il quelque chose d'analogue qui fût le symbole de cette proposition, le mouchoir est blanc l'élève ne comprenait ni le mot blanc, ni le mot carré, et ne pouvait saisir le rapport entre ces qualités et leur objet. Mais, lorsque, après beaucoup de signes, cet élève devina tout à coup la pensée de son maître, il écrivit en riant: le mouchoir est table, le mouchoir est neige. Il n'avait donc les idées des objets mêmes, et ne croyait pas qu'il y eût des mots autrement employés qu'à désigner ces objets.

que

Ce fait est admis par l'école écossaise. L'école de Reid a montré que nous n'avons pas seulement des idées de forme, de solidité, mais que nous percevons de la solidité, des formes réelles *; que nous distin

* La perception prend a'ors le nom de perception extérieure pour la distinguer de la perception subjective, définie § VI. Il est bon de définir ici les mot subjectif et objectif. Dans toute connaissance, il y a le sujet et l'objet, le sujet moi qui connait et l'objet connu. Par exemple, une percep

guons nettement et forcément l'objet qui est extérieur de l'idée qui est en nous. Cette observation a une grande valeur; mais d'où vient cette solidarité entre la perception subjective et la réalité des objets? pourquoi ne laissons-nous pas nos sensations où elles sont, c'est-à-dire en nous ? d'où vient que je les transporte hors de moi, que j'en fais les propriétés de l'objet, tandis qu'elles ne sont que des modifications de moimême? On a cru trouver le nœud de cette difficulté dans les phénomènes du toucher, organe que l'on a nommé le plus philosophe des organes; on prétend que, dans les résistances, le toucher nous conduit à découvrir quelque chose hors de nous, le non-moi, le monde extérieur. Ceci est une illusion. Tant que nous sommes étrangers à l'idée des corps, et par conséquent à l'idée des corps déplacés dans l'espace,

tion est simplement subjective quand elle est considérée dans le moi luimême qui perçoit; elle est objective quand on la rapporte à ce qui est perçu. Il y a plus : quand le moi est considéré comme la matière de la connaissance, il est à la fois sujet et objet; ainsi, dans la perception, alors même qu'elle n'est pas rapportée à l'objet extérieur, il y a le subjectif et l'objectif. Ici la connaissance, qui se renferme tout entière dans le moi, est dite transcendantale (mot fort emphatique); on appelle connaissance transcendantale celle qui s'occupe de la manière de connaître en tant que cette manière de connaitre est possible indépendamment de tout ce qui existe hors du moi. Pour comprendre ceci, considérons un gland, ce gland deviendra un chêne; mais pour qu'il devienne chêne, il faut qu'il ait en lui a puissance d'être chêne indépendamment de tout ce qui est hors de lui; il faut que primitivement ce gland renferme ce qui fait sa possibilité d'être chêne. Il en est de même du moi intelligent qui doit avoir à priori ce qui rend possible la sensibilité et l'entendement indépendamment de toute sensation et de toute connaissance; or, c'est cela que re

nous ignorons l'idée du mouvement. Le fait de résistance qui, le premier, nous ferait connaître le monde extérieur, ne serait donc pas celui d'une résistance au mouvement connu, et par suite au mouvement voulu. Aussi, suppose-t-on que ce fait est celui d'une résistance au mouvement instinctif et spontané. Lorsque nous agitons nos membres sans savoir encore les diriger, il arrive que nous rencontrons des obstacles, que notre mouvement est interrompu et avec lui la sensation musculaire qui en résultait alors, dit-on, nous savons que quelque chose s'oppose à notre sensation, à notre mouvement, à notre effort, à notre action. Voyons: - Qu'est-ce que la conscience d'un premier effort instinctif? celle d'un effort vis-à-vis duquel nous ignorons si nous sommes libres, car la vo

cherche la philosophie dite transcendantale. Chez un chêne la philosophie transcendantale serait la connaissance de ce chêne qui se connaîtrait gland, et qui en se connaissant gland se connaîtrait chêne; ou, si l'on veut, qui en connaissant un des glands qu'il produit, verrait toutes les possibilités que renfermait le gland semence et ces possibilités résumées pour leur développement réel dans le gland produit. Mais n'est-il pas évident que le gland ne devient chêne qu'autant que la possibilité qui est en lui se combine, s'associe avec d'autres possibilités hors de lui; et que, par conséquent, le chêne ne peut se voir chêne dans le gland tout seul? toute la possibilité d'être chêne n'est pas renfermée dans le gland. Pareillement, toute la possibilité d'être intelligence, et nous parlons ici d'une possibilité à priori, n'est pas renfermée dans le moi solitaire. Pour cette raison la philosophie de Kant, surtout quand on la prend dans Hegel (car, plus une philosophie s'étend, plus ses vices se développent), est une mutilation implacable de la nature humaine. Et cependant, il faut le dire, au point de vue du moi solitaire, le système de Kant, en allant jusqu'à Hegel, a seul une valeur scientifique.

lonté n'ayant pris aucune part à l'effort, est ignorée ; nous ignorons si la volonté peut commencer l'effort, si elle peut le suspendre; nous ignorons si l'effort est un acte. Donc, à la suspension du sentiment, l'acte qui l'a produit étant inconnu, la résistance qui le suspend le sera pareillement; l'ignorance du lien qui peut unir l'activité propre à l'effort, entraîne l'ignorance de la résistance. Par quel rapport de causalité l'esprit pourrait-il passer de la cessation du sentiment à une résistance, tant que la cause propre elle-même reste inconnue? Ce serait la création ex nihilo.

Ceux qui prétendent conclure du fait de résistance la connaissance du moi considéré comme force finie, se font également illusion. On se méprend sur ces mots de force finie. Dans un premier acte instinctif, qu'estce que le moi considéré comme force finie? Est-ce force finie quant au mouvement qu'il produit? Je ne connais encore rien au dehors. Force finie quant à l'effort? L'effort instinctif persévérera malgré la résistance au mouvement, car il va sans savoir. Finie comme cause de sensation musculaire? Dans l'acte instinctif, le moi n'est pas connu comme cause.

:

Il faut l'admettre l'idée du moi et celle du toi sont dans notre esprit antérieurement à toute sensation, et ce sont elles qui rendent possibles les sensations elles-mêmes. Le moi et le toi se posent donc au sein de la conscience naissante en vertu d'une initiation qui franchit les organes des sens.

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Une telle

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