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On dira, peut-être, que les mots ne sont pas imposés arbitrairement, mais par un secret rapport avec la chose qu'ils représentent. « Cela paraîtra subtil, « dit-on, mais dans une foule de mots l'accord du son « et de l'idée n'est pas douteux; on y sent en quelque « sorte, d'après le caractère des choses, comme un « geste naturel de la bouche et de la voix. » Sans doute, un rapport de ce genre dut exister dans les langues primitives, mais est-il bien vrai qu'on le trouve partout dans les mots de notre langue et dans ceux des langues étrangères, pour l'expression des idées comme pour l'expression des choses? Ouvrez un dictionnaire français-anglais; prenez -y deux mots vous trouverez que ces deux mots diffèrent beaucoup. Comparez chacun à l'idée qu'il représente, et dites si vous sentez sérieusement l'affinité qui lie l'un et l'autre mot à l'idée. Que cette affinité, très subtile sans doute, soit sensible au goût exercé ou prémédité d'un académicien, nous ne voulons pas le nier; mais à coup sûr elle ne l'est pas au sens confus d'un jeune enfant. - Un enfant n'est donc pas initié à la parole par ce côté.

L'on imagine quelquefois des analyses fort ingénieuses pour montrer de quelle façon un enfant, très imitatif de sa nature, se forme au langage. Ces analyses n'ont qu'une valeur secondaire ; si l'on prétend s'y renfermer, nous le voulons bien pour un perroquet, mais non pour un homme. Ce qui est en plus chez l'homme n'est pas une simple concomitance en

tre le mot et l'idée; le langage est une chose à deux. Vous faites un son et avez une idée; pourquoi ce son va-t-il éveiller chez l'enfant une idée qui est la vôtre, et adhérer à elle? pourquoi l'enfant croit-il ensuite vous renvoyer l'idée en vous renvoyant le son? Telle est la question..... Si non sit intus qui doceat, inanis fit strepitus noster; il faut qu'il y ait au dedans quelqu'un qui enseigne. Organisez un automate qui articule des mots et fasse des signes, et donnez-le pour instituteur à votre enfant. L'enfant apprendra la parole, s'il est vrai que les sons et les signes suffisent à ce haut enseignement. Croyez-vous qu'un automate puisse ainsi devenir instituteur? Vous ne le croyez pas : l'enfant s'instruirait tout au plus comme un perroquet. Pourquoi donc avez-vous plus de puissance qu'un automate? c'est que votre institution n'est pas seulement un son, seulement un geste ; c'est qu'il n'émane pas seulement de vous un geste ou un son, mais ce qui pénètre à l'intérieur et qui enseigne.

Dans les livres de M. Ballanche, on lit quelque part les lignes suivantes :

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« Les langues ne sont peut-être qu'un produit de « cette faculté primitive qu'eut l'homme de communiquer sa pensée à la pensée de son semblable, sans l'intermédiaire des sens extérieurs, des organes de nos connaissances actuelles... La foi, c'est l'ouïe, comme l'a dit un écrivain sacré; pour les «sourds-muets, il faudrait franchir l'ouïe et arriver directement à l'intelligence. S'il était en notre pou

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«voir de ressaisir la faculté primitive dont je parlais « tout à l'heure, nous aurions trouvé le véritable trai«tement des sourds-muets. » C'est donc par l'ouïe que vous enseignez la parole à celui qui n'est pas sourd-muet? Pourquoi dire aussi qu'une faculté primitive a existé, qui est perdue? Dieu aurait-il fait à l'homme un don si précieux pour le lui ravir après un temps? Non, non, cette faculté existe encore, et, sans le savoir, toute mère l'exerce auprès de son enfant, non seulement pour lui transmettre le langage, mais encore pour l'initier à l'intelligence. Une distance infinie sépare l'audition d'un mot et l'incarnation de l'idée dans ce mot; l'institution doit franchir cet abîme. Il est donc nécessaire que, sans l'intermédiaire des sens, la mère pénètre dans la conscience de son enfant et unisse le mot à l'idée. Ainsi, cet argument que l'on prétend faire, hors de la conviction naturelle, pour prouver l'existence des êtres intelligents, nous conduit encore à notre principe. Plus on ý réfléchit et plus on demeure convaincu que, si l'homme se connait actif et intelligent par le sens intime, le caractère de nécessité et de foi qui suit notre croyance à la parité des intelligences, annonce que cette croyance est aussi puisée dans le sens intime. Dès lors il faut accorder au sens intime une puissance nouvelle et admettre qu'il peut nous montrer non seulement ce qui est en nous, mais encore ce qui est en autrui. Dans l'idée que nous avons de nous-mêmes et des autres, la pensée nous apparaît également vraie

quant au sujet et quant à l'objet parce que nous seritons que la même pensée est commune au sujet moi et à l'objet identique au moi, que l'objet a de son côté la conscience de lui-même et du sujet, et qu'il pense du sujet ce que le sujet en pense. Or, si nous sentons irrésistiblement et toujours qu'il y a là, pour le moi et le toi, une communion dans les faits du sens intime, comment ne pas admettre que cette communion intime est la condition primitive de ces mêmes faits?

Donc, nous entrons dans la vie de l'intelligence, parce qu'un initiateur, en franchissant les organes de nos sens, fait que notre conscience devient égale à la sienne. Par quelle voie cet événement peut-il s'accomplir? Dieu le sait... et nous ne le saurons jamais : là, tout est ignorance et ténèbres. Le flambeau de l'intelligence naissante s'allume, pour ainsi parler, au flambeau d'une autre intelligence; de ce fait naît le monde de la pensée, mais c'est un fait nécessaire, primitif qu'il s'agit d'admettre......: il faut admettre qu'il est, dans notre vie, des moments décisifs où le moi participe à la conscience du toi; qu'il y participe par la vertu d'une initiation qui franchit nos organes, qui éveille le regard intérieur et provoque le développement libre de nos facultés.

Nous verrons qu'il est deux de ces moments suprêmes, le moment où l'homme, dans sa conscience, dit toi à sa mère, et le moment où, dans sa conscience, il dit toi à Dieu : toute l'histoire de l'intelligence est là. L'initiation ne dépose pas les idées en nous comme

avec la main; toute idée doit avoir ses éléments latents dans les profondeurs du moi le développement de l'intelligence est le développement même de ces éléments sous l'influence de l'initiation.

III.

Il ne suffit pas de poser vaguement un principe: il est temps de commencer l'histoire de cette initiation, d'en décrire l'acte autant que possible, d'en définir les éléments d'une manière précise. Et d'abord, à qui la nature a-t-elle réservé le premier rôle dans cet acte suprême? car, la condition intime de cet acte étant que la pensée et la conscience de l'initiateur deviennent la pensée et la conscience de l'initié, le résultat dépendra beaucoup du caractère de l'initiateur. A qui donc le premier rôle, le rôle élémentaire dans ce ministère sacré? Nous l'avons déjà dit, à la femme mère..... Il est naturel que celle qui porte l'enfant dans son sein, qui fait son sang de son sang, et sa vie de sa vie, fasse aussi son intelligence de sa propre intelligence; c'est la femme mère qui est la première institutrice de l'intelligence naissante, et qui donne à tout homme venant en ce monde la lumière qui l'éclaire, par une initiation traditionnelle aux premiers éléments de la pensée.

Pendant qu'un enfant à la mamelle repose sur le

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