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cœur de sa mère qui lui donne son lait, cette mère est dans un état d'elle-même dont on ignore la puissance. Ce n'est pas seulement qu'elle voie en lui son sang, le fruit de ses entrailles et de sa jeunesse, et son ambition et son amour, et sa joie présente et sa joie future;..... alors l'âme de la mère et celle de son enfant sont la même âme, parce que la pensée de la mère devient celle de son enfant alors le moi maternel franchit les organes du jeune enfant et va se poser sur la scène encore obscure de la conscience naissante; et c'est alors que chez le jeune enfant le moi, qui tend à se produire par sa virtualité propre, entre tout à coup en possession de lui-même, parce qu'il a pu s'opposer au toi identique à lui, au moi maternel. Voilà de quelle manière il faut commencer la réponse à cette question de l'Écriture: Qui a placé la connaissance dans les viscères de l'homme? - Certes, il est dans le cœur maternel des choses qu'il ne nous est pas donné de connaître ; mais que ne pourrait-on pas dire des premières joies d'une mère avec son enfant? Il y a dans cette joie le signe de quelque chose d'inconnu. Pourquoi tout cet orgueil d'une jeune et pauvre femme qui tout à coup s'aperçoit qu'elle sera mère? Quoiqu'elle ne sache encore presque rien de la vie, elle n'ignore pas ce qu'elle doit souffrir; elle sait que la femme passe par l'agonie pour donner la vie à un être que souvent elle ne voit pas, qui meurt souvent en naissant ou vit pour la rendre malheureuse. Pourquoi cette grande différence entre l'orgueil de l'homme et l'or

gueil de la femme? N'est-ce pas qu'une voix intérieure crie à la jeune mère: Fille d'Ève, subis le martyre réservé à ton sexe! tu souffriras; mais la tâche que le ciel t'a donnée sur cette terre n'est pas seulement de souffrir; après les labeurs de l'enfantement, tu rempliras le plus noble des ministères, celui d'initier à la vie de l'intelligence un être venu en ce monde pour vivre dans la cité de Dieu *!

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On ne saurait préciser le moment décisif de l'initiation intérieure; elle doit s'accomplir plus tôt ou plus tard, suivant l'organisation de la mère et celle de son enfant. Il est même probable que les résultats en demeurent d'abord quelque peu confus, et qu'ils n'acquièrent leur netteté qu'après un certain temps, comme il arrive souvent dans les phénomènes de la pensée. Dès le premier jour après la naissance, la mère couve, pour ainsi dire, sous les ailes de sa tendresse et de son amour, la conscience de son enfant. Il se fait alors un travail mystérieux, inaperçu, graduel; mais enfin il arrive un moment où ce travail s'accomplit; le germe de la conscience enfantine, fécondé par l'influence maternelle, sort de sa prison et il existe un homme de plus. Toutefois, il ne faudrait pas prétendre que la mère est seule capable de

'Lorsqu'une femme est en travail elle s'attriste, parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de la souffrance, à cause de sa joie, parce qu'il est né un homme dans le monde. Saint Jean, XVI, 21.

remplir auprès de son enfant le ministère de l'initiation. A cet égard, l'enfant est sous l'influence de tous ceux qui l'aiment, de ceux qui s'amusent à lui, comme dit saint Augustin: ce qui est fort heureux, car il n'est pas rare de voir la mère abdiquer cette noble fonction dans laquelle la nature lui réserve le premier rôle. L'initiation intérieure accomplie par la mère, est l'initiation type, l'initiation voulue par la nature. L'initiation intérieure ne fait jamais défaut à la nature, de quelque part qu'elle émane; mais elle peut être à divers degrés comme nous le verrons plus tard.

Les premiers actes de la maternité ont un grand caractère de foi. Hippocrate s'étonnait de ce qu'un enfant, à peine venu au monde, se met à sucer une mamelle; la jeune mère ne s'en étonne nullement. Lorsque pour la première fois elle découvre et présente sa mamelle, elle sait bien que son enfant y va puiser le lait qui le fera vivre. L'époque de l'allaitement est toute passionnée; aussi, par pressentiment, l'imagination des jeunes femmes leur montre toujours un jeune enfant quand elles rêvent le bonheur d'être mères. Et ce qu'il importe de remarquer ici, c'est que l'enthousiasme de l'allaitement n'a pas sa source dans l'imagination seulement et dans l'amour, mais encore dans la volupté au contact et souvent à la simple vue de l'enfant, un orgasme voluptueux s'étend sur tout le sein, érige la mamelle et suffit pour en faire jaillir le lait.....

IV. ·

Tout dans cet univers atteste la nécessité d'une impulsion primitive et traditionnelle; l'esprit humain lui-même a besoin, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'une vitesse initiale; et de même qu'une telle vitesse décide de la destinée des astres, la valeur de l'institution primitive que reçoit l'enfant doit faire la destinée de l'homme.

Nous n'avons pas encore analysé cette initiation : en quoi consiste-t-elle d'une manière précise et quels sont les éléments qui la constituent? Question importante qui doit éclairer d'une vive lumière l'histoire de la pensée.

Tandis que la mère aime son enfant, chez celui-ci le moi qui tend à se produire par sa virtualité propre entre en possession de lui-même parce qu'il peut s'opposer au moi maternel identique à lui, au toi ; parce qu'il a la conscience simultanée de cette opposition et de cette identité; parce qu'il a la conscience que le toi pense du moi ce que le moi pense du toi. En ce sens, avons-nous dit, l'intelligence de la mère devient l'intelligence de l'enfant, la conscience et la pensée de la mère la conscience et la pensée de l'enfant. Les éléments de l'initiation sont donc contenus dans la pensée de la mère.-Dans l'amour maternel

il existe un profond sentiment d'égoïsme et d'individualité; la mère aime son enfant parce qu'il est son enfant, et son amour renferme un vif sentiment de propriété; aussi arrive-t-il que la négresse esclave délaisse son fils qui vient de naître, parce que son fils a un maître. La pensée de la mère est donc pleine de l'individualité à elle et de l'individualité de son enfant. Or, puisque la pensée de la mère devient celle de son enfant, il arrive nécessairement que la mère éveille en son fils la conscience de son moi à lui et la conscience de son moi à elle; et, en même temps, la conscience de son activité à lui et de son activité à elle qui se mettent en rapport. Jusqu'à ce moment l'enfant n'avait pas la conscience de son activité, il pouvait pâtir seulement et pousser des cris comme un automate qui ignore ce qu'il fait; mais lorsque sa mère le prend, le serre contre elle et le calme, elle pénètre en son intérieur, elle éveille l'œil de la conscience et lui fait apercevoir dans cette activité d'automate, une activité libre et volontaire. Par l'initiation maternelle, les deux notions moi, toi (sum, es), sont transmises à l'enfant, et tout ce qui accompagne la première, accompagne aussi la seconde; c'est-à-dire que si l'enfant acquiert, avec la notion de son existence, la conscience de son activité à lui, avec la notion de l'existence de sa mère il acquiert la conscience de son activité à elle; c'est-à-dire encore qu'avec les notions primitives du moi et du toi, de la personnalité et de l'extériorité, l'enfant acquiert, par la conscience, la notion de sa cau

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