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5-14-29

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Avant d'entrer en matière, un mot sur la méthode d'observation intérieure, pour ceux qui ne jugeront pas ce livre indigne d'une lecture attentive.

Les méthodes, disons-nous dans l'introduction, font la destinée des sciences; ce qui est vrai, si, dès le début, la science accepte le despotisme d'une méthode. Mais comment tracer, à l'avance, une méthode? Ce serait absolument comme si pour explorer un pays inconnu, l'on voulait à l'avance tracer la carte des

routes à suivre. La découverte d'une vérité nouvelle est toujours au bout d'un sentier ignoré. Toute science fait sa méthode en se faisant elle-même.

Mais la science de l'âme n'en est pas à son début, et l'on peut dire, sur-le-champ, que l'observation intérieure s'exerce principalement de trois manières.

Tantôt c'est le retour ou la réflexion de notre esprit sur ses opérations antérieures, sur les événements accomplis dans notre âme. D'où viennent les mots penser, douter, vouloir, raisonner, etc.? D'une observation intérieure et vulgaire, qui a vu, distingué les différentes opérations de l'esprit. Ces opérations, sur lesquelles l'esprit revient, ont précédé l'observation. Ici, l'observation est regressive.

L'observation intérieure s'exerce immédiatement aussi. Bacon a dit que l'âme ne peut s'observer directement elle-même ; ce qui est vrai ou faux, suivant qu'on voudra l'entendre. Il en est qui prétendent faire poser à volonté leur âme devant elle-même; il est probable que ceux-là se vantent ou se font illusion. Un esprit qui, de propos délibéré, se met à s'observer, verra bien qu'il voudrait s'observer, mais ne verra pas autre chose. En ce sens l'observation rendrait l'âme inerte. Mais ceci ne va pas contre l'observation immédiate. Celui qui se voue à l'étude des choses intérieures, qui prend l'habitude de rentrer en lui-même par l'observation regressive, qui sait se préoccuper de son étude sans cesser de se livrer à tout ce qui peut faire la vie de son âme, surprendra souvent cette

âme sur le fait. Ici, l'observation a lieu spontanément. C'est l'observation la plus féconde; indirecte en ce qu'elle ne s'exerce pas de propos délibéré, mais immédiate. Qui voudrait la nier, ne pénétrerait jamais profondément dans la science de l'âme.

Enfin, il est encore une autre observation. Elle consiste à recueillir un grand nombre de faits dans l'histoire et dans les voyages. L'on peut dire, par exemple, que le livre de Vico, sur la sagesse poétique, est un livre de psychologie. Ce mode d'observation est essentiel.

Les trois modes forment système ; pris ensemble, ils constituent les premiers éléments de la méthode psychologique.

Ajoutez l'abandon des maximes étroites et arbitraires, comme celle-ci : l'homme, dans son intelligence, ne relève que de soi; l'homme porte en lui-même tout le sujet de ses expériences, etc., etc., ajoutez la ferme résolution d'adopter, malgré les préjugés contraires, toute conclusion qui paraîtra appuyée sur une observation exacte et sur une déduction rigoureuse, fùtelle de nature à renverser les notions admises sans examen sur la foi des autres : Vous aurez toutes les prescriptions de la méthode.

Mais l'acte lui-même, l'acte d'observation? Quelles règles pour le diriger? Il n'en est aucune. Cet acte exige l'emploi très énergique de toutes les facultés de l'âme, et cet emploi dépend du génie individuel, des tendances de chacun, de ses inclinations, de ses affections, de tout lui-même et de toute sa vie.

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Ce n'est pas encore assez pour découvrir la vérité. Que faut-il done? Quelque chose que l'on ne possède jamais à l'avance et qu'on ne se donne pas le pressentiment! Il y a plus; et pour prendre un exemple, illustre dans un autre ordre de recherches, voyez Newton Newton ne découvrit son fameux principe que parce qu'il y avait longtemps pensé; c'est luimême qui l'a dit, et ces paroles ont un sens profond, ces paroles valent mieux que bien des traités sur la méthode. Le pressentiment sert de boussole aux longues pensées; mais d'après le témoignage de Newton, entre la pensée qui persévéra longtemps et la pensée finale qui donne la découverte elle-même, il y a solution de continuité. La découverte resplendit tout à coup dans un moment suprême, dans le dernier moment d'une crise intellectuelle par laquelle l'homme ne passe pas toujours impunément! - Cette histoire est solennelle, mais elle est très simple, et chacun de nous a pu la vérifier pour de bien petites choses. La méthode a-t-elle quelque chose à faire ici? Hélas! non.

Mais lorsque les découvertes sont accomplies, les préceptes de méthode psychologique, lesquels se résument, dit-on, dans la maxime de Socrate, ne suffisent-ils pas pour la vérification? La maxime de Socrate n'est-elle pas ainsi la devise de la science de l'âme? Pas davantage, et notre négation est contenue dans toutes les pages qui vont suivre.

Dans nos premières pages nous écrivons avoir la conscience, signifie avoir la connaissance intime de

ce qui est en nous; et nous ajoutons que cette connaissance implique une faculté, qui est la faculté de connaître élémentaire et primitive. C'est là tout ce que nous pouvons dire en commençant; mais bientôt le sens de ces mots se développe. Nous trouvons que dans tout phénomène intérieur la conscience reconnaît le moi, et qu'il n'y a pas de moi sans le toi, sans le rapport entre le moi et le toi. Bientôt nous trouvons que le toi se rend intimement présent au moi, d'où résulte, dans un mystère, impénétrable mais nécessaire, d'initiation intérieure, toute l'intimité permanente ou variable de notre âme; intimité qui n'est plus le moi primitif et à l'état de nudité qui se reconnaît dans chaque phénomène, mais le moi sans cesse accru, développé, qui rapporte à soi tous ses accroissements, tous ses développements. Cette intimité, c'est la conscience qui l'affirme, à mesure que l'homme progresse dans la vie. La conscience n'est donc pas seulement le moi qui se reconnait, mais encore le moi qui se connaît (connaissance de l'intimité qu'il faut bien distinguer de la connaissance des opérations). La conscience est une faculté par laquelle l'âme approprie, affirme au moi et en toi, l'un et l'autre esprit et chair, cœur et pensée, tout ce qui se développe intimement dans le moi, dans le toi, entre le moi et le toi; la conscience est un acte qui résume dans le moi ce qui est du moi, ce qui est du toi, ce qui est entre le moi et le toi, pour en former une unité; unité de laquelle l'âme est

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