Images de page
PDF
ePub

que possèdera le vainqueur de priver à volonté son prisonnier de la vie.

L'esclave fait à la guerre subit les conséquences d'un principe extrême sans contredit, mais qui n'en est pas moins fondé dans l'égalité intellectuelle des hommes, puisque, conformément à l'esprit du temps, ils se considèrent tous comme également appelés à faire usage de la force, et cela d'une certaine manière également valable pour tous.

Cependant les avantages que procurent les services des esclaves, font naître parmi les hommes le désir d'en obtenir à l'aide d'autres moyens encore, soit de vive force, soit par la ruse. Ils enlèvent des êtres humains à leur famille, à leur pays, les transportent dans des climats lointains, et ne les apprécient plus qu'en raison de la valeur matérielle qu'ils peuvent en retirer. Si l'individu qui a été fait esclave ainsi, avait précédemment agi dans le même sens, s'il avait pris part lui-même à une chasse à l'homme, dans ce cas son propre esclavage ne serait qu'une rétorsion fondée en justice. Mais, d'un autre côté, il est à observer, que si cette rétorsion lui était infligée non pas par principe de justice, mais par un individu qui n'aurait que son intérêt personnel en vue, ce dernier' provoquerait également la rétorsion par son action. Il aura ainsi encouru la peine de l'esclavage, qui

1

pourra lui être imposée sous forme de galères, d'emprisonnement, ou par toute autre privation de sa liberté, si des violences de ce genre étaient déjà réprouvées par l'esprit et la législation de la société à laquelle il appartient.

L'esclavage est une des questions sur lesquelles les publicistes se sont montrés d'opinions les plus opposées. Mais cette question se trouve déplacée de son véritable terrain, dès qu'on veut condamner ou justifier l'esclavage d'une manière absolue. Il résulte au contraire de ce qui précède, que l'esclavage n'est autre chose que la conséquence inévitable des idées qui règnent à une époque donnée, sur la valeur absolue du droit, et sur l'usage qu'il est permis de faire de la force. Les idées étant généralement admises à une époque ou dans un pays quelconques, les actions qui s'ensuivent ne dérogent pas à l'égalité intellectuelle des hommes, et restent par conséquent conformes à la justice ellemême. Car la justice n'est autre chose que le principe conservateur de l'égale valeur spirituelle des hommes, au milieu de l'usage qu'ils font de leurs droits et de leurs facultés. C'est ainsi que l'esclavage est fondé en justice, mais à une époque de développement social peu avancé. Plus tard les idées sur le droit se modifiant, et la guerre changeant de caractère, l'esclavage devient une ano

malie. Ainsi donc vouloir condamner ou justifier l'esclavage, d'une manière absolue, ne signifie autre chose que vouloir s'arrêter exclusivement à l'un de ces deux momens, dans le développement des idées sociales, et méconnaître ce mouvement lui-même.

La famille primitive s'agrandit encore de la sorte par des esclaves achetés ou faits à la guerre. Mais si, avant l'admission de tous ces étrangers, elle avait pris un développement prononcé, ceux-ci ne pourront y apporter de modification. sensible, et la société conservera ainsi les mêmes traits caractéristiques, seulement en proportions plus grandes, et par là même plus sévères.

Nous croyons qualifier exactement par la dénomination d'état patriarcal (1), la société indépen

(1) M. de Haller a le grand mérite d'avoir prouvé le premier, que la société humaine n'est pas le produit d'un calcul de l'intelligence, mais qu'elle résulte des besoins des hommes et de la nature des choses. Il a prouvé aussi que le terme État n'a aucune valeur essentielle, et que la société à laquelle cette dénomination est appliquée, ne se distingue que par les idées relatives d'une certaine étendue de frontières, d'un nombre plus considérable de membres, d'une indépendance plus grande des autres sociétés humaines moindres en proportions. Mais ce système de M. de Haller a une base très-circonscrite, puisqu'il n'a égard qu'à un seul genre de rapports sociaux, ceux qui proviennent de conventions particulières; et il n'aperçoit pas l'existence des relations sociales qui se forment indépendamment de toute espèce de convention ou de contrat, ou du moins il n'y attache aucune importance. D'un autre côté, M. de Haller a complétement perdu de vue, que quoique l'intelligence humaine ne conçoive pas, aux degrés inférieurs de son développement, l'esprit des rapports

dante dans laquelle prédomine ce type de la famille primitive.

Aussi longtemps que les individus, qui composent la famille, sont réduits à pourvoir indifféremment à tous leurs besoins, ils ne peuvent s'en acquitter que d'une manière très-imparfaite; mais à mesure qu'elle s'agrandit et se complique, les diverses fonctions et industries sociales se séparent et se perfectionnent (1). Plus une profession est difficile et exige de temps pour être apprise (2), plus elle devient la propriété exclusive de ceux qui s'y vouent. Et comme chaque profession peut devenir une source de bien-être et d'honneur, ceux qui y sont passés maîtres, communiquent leur savoir de préférence à leurs proches, pour leur en assurer les avantages. Si les individus ayant la même vo

sociaux, c'est toujours elle qui est, du moins instinctivement, la cause de leur formation logique. Et si l'homme n'a pas, de tout temps, la conscience de cette logique, il l'acquiert avec le développement de son intelligence. Dès-lors les rapports sociaux se présentent à lui objectivement, et il reconnaît un but social qui lui était resté caché, aussi longtemps qu'il ne l'avait pas compris. Mais quelle que soit la gravité de ces objections qu'on est en droit de faire au système de M. de Haller, toujours est-il certain, qu'il a expliqué un des côtés de la société humaine qui était resté inaperçu jusqu'à lui, et qu'à ce titre la science lui est redevable d'un véritable progrès.

(1) « Bei steigender Cultur namlich sondern sich alle Thätigkeiten des Volkes immer mehr, und was sonst gemeinschaftlich betrieben wurde, fällt jetzt einzeln Ständen anheim. » (Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft, v. Savigny. S. 12.)

(2) Die Zünfte wurden noch tief ins Mittelalter herein in Venedig Scholæ genannt.» (Leo, Geschichte der Italien Staaten, 't. III. S. 3.)

cation conservent entre eux des relations sur les objets d'un intérêt commun, il se formera des corporations ou des castes qui se dessineront plus fortement à mesure que les proportions de la société grandissent.

[ocr errors][merged small]

En suivant le développement de la famille primitive, nous avons eu l'occasion d'indiquer, à plus d'une reprise, la tendance extrême que le droit personnel est susceptible de prendre.

Mais le droit personnel ne saurait se maintenir dans une signification aussi abstraite, en sé séparant complétement du côté de la nature humaine qui lui est opposé, côté dont nous avons indiqué l'existence, sous le nom de liberté.

L'existence de ce côté se manifeste dans l'homme, par la tendance à acquérir un certain degré d'indépendance pour sa personne et pour les objets nécessaires à sa subsistance. Et lors même que cette disposition de la nature humaine serait comprimée, elle ne pourrait néanmoins être entièrement étouffée; c'est pourquoi la société, que nous avons désignée sous le nom d'État patriarcal, ne parvient jamais à réaliser, dans toute leur rigidité, les conséquences qui découlent d'un droit personnel extrême. L'autorité fondée sur le droit ne

« PrécédentContinuer »