Images de page
PDF
ePub

C'est dans ce sens aussi, qu'il est juste de dire, que les lois sont la source des droits. Dans la république les lois deviennent en effet la source des droits; car le droit, s'il avait été anéanti, y reparaîtrait de nouveau, mais en autant seulement que la législation l'admettait.

Ailleurs, au contraire, où le droit a pu prendre un développement suivi, l'autorité législative et la législation elle-même ne sont qu'une conséquence du droit comme nous l'avons fait voir précédemment. Mais déjà nous avons également fait observer, que quand même le droit serait la source de tout pouvoir social et de la législation, il n'en est pas moins déterminé, à son tour, par cette dernière. Car l'idée de la justice, en limitant celle du droit, puisqu'elle reconnaît également le droit d'autrui, varie elle-même selon la valeur que les hommes attachent à leur égalité spirituelle. C'est ainsi que les limites du droit s'élargissent en se rétrécissent, selon le développement auquel est arrivée l'idée de la justice chez un certain peuple, à une époque don-L'influence que l'idée de la justice ou la lé gislation exerce sur le droit, peut s'étendre au point d'anéantir ses différences, pour l'élever à la généralité, comme c'est le cas, lorsque les hommes interprètent leur égalité de manière à ce qu'ils doivent participer également à l'usage du droit, qui

née.

leur appartiendra en commun. Et comme le mouvement intellectuel peut atteindre à cet extrême, par suite d'un développement lent et successif, nous arrivons ainsi à l'idée de la république pure, par une autre voie encore que celle de la réaction violente. Mais les conséquences en sont toujours les mêmes; et la justice, en arrivant à cet extrême, cesse d'exister, puisqu'elle ne consiste que dans une idée de limitation ou de différence, et que cette différence, ayant été anéantie, vient à détruire sa propre base.

Cependant cette généralisation du droit dans la république pure étant incompatible avec les tendances matérielles de la nature humaine, les droits particuliers y reparaissent bientôt, mais sans l'influence d'un autre principe, celui de la volonté de la majorité.

C'est ainsi que les droits et les lois se trouvent dans une action et réaction perpétuelle, aussi intime que celle de la liberté et de l'autorité. Double mouvement dont la nature humaine forme le pivot, enlacé dans ce cercle mouvant, où l'on ne distingue plus ni commencement, ni fin. Car le droit se rencontre à sa source avec la liberté ; ils y sont identiques, puisque le droit est le produit de la volonté humaine, libre et intelligente de son essence. Le droit devient la source de la

justice, de l'autorité, de la législation. Mais, d'un autre côté, l'autorité, comme dernière expression du droit, produit à son tour, par son extrême, l'extrême de la liberté : elle arrive à ce résultat, en logique, par le mouvement des idées, et, dans la réalité, par le fait qu'on nomme révolution. La liberté donne de nouveau naissance aux lois, aux droits, à l'autorité, qui réagissent sur elle, et ainsi de suite.

Cependant, si la république pure ne saurait exister dans la réalité, on voit naître des formes sociales qui s'en rapprochent plus ou moins. La communauté des biens étant la véritable idée de la république, si une communauté pareille s'établit, du moins partiellement, par un motif quelconque, il en résultera des rapports sociaux, auxquels le principe républicain de la majorité servira de base. C'est ainsi que la propriété commune de landes, de bois, de pâturages ou de terrains quelconques, à laquelle participent plusieurs familles ou individus indépendans les uns des autres, donnera lieu entre eux à des rapports où la majorité servira d'autorité.

Cependant une telle supposition n'est juste qu'autant que l'égalité matérielle continue à se maintenir parmi ces individus, puisque dans ce cas seul la majorité serait toujours l'expression de

1

la force. Mais une égalité matérielle même approximative entre individus doués d'activité et de moyens différens, est si contraire à la nature des choses qu'elle ne saurait être maintenue que forcément. Autrement, l'inégalité s'introduirait dans la république, principalement par l'intermédiaire de l'idée du droit, si elle y prenait du développement, car il en résulterait la propriété séparée des biens, et une cohésion plus forte dans les familles, ce qui amènerait l'inégalité de forces parmi les citoyens.

La décision des affaires publiques appartiendra alors aux puissans, puisque la force de la majorité aura passé en leur possession, surtout s'ils s'unissent entre eux. Leur cercle se rétrécissant toujours davantage, pourra aboutir à la monarchie.

Dans ce cas, si le monarque succédait en entier à l'autorité qui avait été établie dans la république, son autorité pourrait égaler ou surpasser celle qui est fondée sur le droit le plus extrême. Mais certains principes de gouvernement, et des formules qui accompagnent les actes publics, semblables à celles dont les empereurs romains faisaient usage, rappelleront l'origine populaire de son autorité, jusqu'à ce qu'enfin, toute trace d'origine différente venant à s'effacer, les deux genres de monarchie se soient entièrement assimilés. Il pourra même

[ocr errors][merged small]

se présenter alors une contradiction, qu'on a vue se renouveler à plusieurs reprises. La monarchie d'origine populaire se servira de formules et d'un langage de gouvernement, qui appartiennent à la monarchie fondée sur le droit; et cette dernière, cédant à l'influence de doctrines en vogue, pourra faire usage à son tour d'un langage officiel qui indiquera une origine démocratique.

Mais si la république, en se rétrécissant de plus en plus, s'arrête à un des degrés intermédiaires, avant d'aboutir à la monarchie, elle prendra le nom d'aristocratie. En sorte que l'aristocratie n'est qu'une variété de la république, et ne se distingue de celle-ci que par le nombre des individus dont se compose la corporation souveraine. Dans la république, ce nombre constitue la majorité; dans l'aristocratie, il est en minorité.

Mais cette distinction admise en théorie n'est pas même exacte en réalité, si on a égard au nombre des individus qui composent la corporation souveraine de la république, et à celui des individus qui lui sont soumis, puisqu'on trouverait alors que les citoyens ou membres souverains de la république sont toujours en minorité à l'égard de ceux qui dépendent de leur autorité. Car on ne voit jamais de république sans y rencontrer de véritables sujets ce sont ou les femmes et les enfans

« PrécédentContinuer »