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possession de ces moyens pécuniaires, décident la question. S'il est doué de la hardiesse, de la ruse et de l'habileté nécessaires, il pourra, comme les Médicis, se saisir du pouvoir souverain, et fonder de cette manière un nouvel état, auquel nous donnerons le nom d'État commercial.

Les colonies fondées dans un but mercantile, et enrichies par le commerce, prennent facilement le caractère de la société commerciale; en sorte qu'une révolution, qui les détache de la mère-patrie, peut s'y accomplir aisément. Cependant, quoique l'on voie souvent se préparer les élémens qui pourraient produire l'État commercial, les circonstances sont rarement assez favorables pour qu'il s'en développe effectivement. Car par État commercial, nous n'entendons pas celui qui aurait principalement le commerce en vue, mais celui où l'autorité souveraine serait provenue des richesses que le commerce procure.

Nous avons déjà vu précédemment, que l'autorité présente différens côtés ou parties, comme autant de ramifications de la même souche, sous le nom d'autorité législative, judiciaire, spirituelle.

A mesure que la société se développe, les détails de ces différens genres d'autorité se multiplient, et ils s'augmentent encore de diverses fonctions ci

viles et militaires. Chacun de ces mod es d'autorité a une sphère d'activité déterminée, mais il se pourra que les uns prennent de la prépondérance sur les autres, en empiétant sur leurs attributions. Il se pourra même que l'une de ces branches de l'autorité prenne un développement tel, que les autres en soient absorbées, en sorte que les individus qui se trouveront à la tête de ce mouvement deviendront de fait les souverains du pays.-Nous allons examiner les circonstances qui peuvent amener une telle révolution dans l'État.

En examinant la nature de l'État moderne, au chapitre suivant, l'occasion se présentera d'apprécier le développement que l'autorité législative est susceptible de prendre.

Quant à l'autorité judiciaire, nous ne connaissons pas d'exemple dans l'histoire, qu'elle eût acquis une si grande prépondérance, qu'il lui fût devenu possible d'arriver à l'autorité souveraine dans l'État. Néanmoins dans plus d'un pays, l'ordre judiciaire s'est développé de manière à prendre une véritable importance politique, qui dépassait de beaucoup les attributions du juge.

On a vu que le chef de la famille primitive en était également le pontife; et aussi longtemps qu'une autre religion ne s'introduit pas dans l'État, lui et ses successeurs consacreront leur supré

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matie spirituelle au milieu du développement que prend la famille. Ils pourraient la conserver encore, lors même que, par une raison quelconque, ils auraient perdu leur autorité temporelle. Mais une nouvelle croyance peut pénétrer dans la société. Si le chef l'adopte, il sera forcé de reconnaître la supériorité spirituelle de ceux qui enseignent la nouvelle foi; et il dépendra des circonstances que leur autorité spirituelle se constitue indépendamment de son autorité temporelle, ou que, à l'égard de leurs temporalités, ils se trouvent dans la dépendance du chef de l'État. Car en dotant la nouvelle église, il pourra s'en réserver le patronage, comme les particuliers conservent le patronage des établissemens religieux qui sont de leur propre institution.

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Le chef de l'État obtiendrait naturellement la suprématie spirituelle dans la nouvelle religion, si lui-même devenait l'apôtre qui la propageât dans le pays (1). Mais si au contraire il la repousse,

(1) On pourrait citer, comme exemple de ce dernier cas, celui que présente l'histoire de Russie. Notre ancien analyste Nestor raconte, que les grecs, les catholiques, les mahométans et les juifs faisaient des tentatives pour convertir le grand-prince Wladimir; que celui-ci écoutait volontiers leurs argumentations, mais ne pouvait se décider pour aucune de ces religions, malgré son intention d'abandonner la sienne. Ayant demandé l'avis de ses boyards, ils lui conseillèrent d'envoyer dix hommes experts dans les pays où ces différentes religions étaient professées, afin qu'ils eussent à les comparer sur les lieux et à choisir la meilleure. Cette ambassade eut lieu effectivement (ainsi

elle prendra une position hostile à l'égard de l'ancienne croyance. Les néophytes se verront alors dans la nécessité de s'unir d'efforts pour faire triompher leur doctrine; en sorte qu'il se formera entre eux une association plus ou moins nombreuse, plus ou moins étroitement unie selon les circonstances. Le chef de cette société théocratique

que le confirme encore un ancien manuscrit grec qui se trouve à la bibliothèque de Paris) et le prince se décida en conséquence pour la religion grecque. Mais trouvant indigne de lui de recevoir le baptême avec humilité, il voulut le conquérir en quelque sorte, et prit Cherson, ville qui était chrétienne, pour s'y faire baptiser.

Une telle conversion s'explique difficilement; car un changement de religion sans aucune conviction arrêtée d'avance paraît assez contradictoire. Il est vrai qu'il y avait des Normands qui trouvaient audessous de leur dignité de croire aux Dieux. «Es gab im heidnischen Norden Männer die nicht an die Götter glaubten, sondern sich auf ihre eigene Kraft verliessen. » (Geschichte des Schwedischen Volks und Reichs, von Eckendahl, t. I, S. 27.) — Wladimir était de cette même race et avait passé une partie de sa vie dans la patrie de ses aïeux. On pourrait donc croire qu'il y prit ce dédain pour les Dieux, si, d'un autre côté, il ne s'était fait remarquer par son zèle pour l'idolâtrie quelque temps encore avant sa conversion. Cette contradiction serait donc du nombre de celles qui n'admettent plus une explication historique et dont la solution doit être cherchée dans la psycologie. C'est ainsi qu'il serait possible de l'expliquer par le mépris que les différens missionnaires réussirent à inspirer au prince pour sa propre religion, sans qu'aucun d'eux pût le convertir à la sienne. - Quoi qu'il en soit, toujours est-il certain que Wladimir, en outre de son surnom de Saint, reçut encore celui d'égal aux apôtres, et que lui et ses successeurs restèrent les chefs de leurs évêques. - On ne saurait donc contester le droit originaire des souverains de Russie à l'autorité spirituelle dans leur église, qu'en récusant celui des apôtres et de leurs successeurs à la suprématie dans la religion qu'ils ont introduite dans un pays. C'est-à-dire que les adversaires de toute autorité spirituelle sont les seuls qui, de leur point de vue, puissent contester cette autorité aux souverains de la Russie.

se trouvera en hostilité avec le chef de l'État, aussi longtemps que leurs croyances seront différentes.

Si cette lutte se passait uniquement dans le domaine de l'intelligence, les résultats pourraient en être indifférens à l'autorité temporelle; mais si la nouvelle croyance envahissait cette dernière aussi, l'État subirait une révolution et se constituerait en théocratie. Et bien que primitivement l'association théocratique se forme pour assurer le triomphe d'une doctrine religieuse, plus tard, au contraire, c'est cette dernière qui devient une source d'autorité pour ceux qui en sont les interprètes et les gardiens. Le fondateur d'une religion ou ses successeurs peuvent songer à en garantir la durée, et par conséquent celle de leur propre autorité, à l'aide de certaines formes sociales. Dans ce cas, ils s'efforceront de modifier la constitution de l'État conformément à leurs vues; et il est à remarquer que, plus les dogmes religieux sont faux, et plus cette constitution sera forcée et contraire à la nature des choses, comme on en trouve des exemples dans quelques théocraties de l'antiquité.

Mais, de même que l'homme songe à sa félicité à venir, de même il a en vue celle de son existence terrestre. Et il y porté un intérêt d'autant plus vif, que la ferveur de sa foi diminue davan

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