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autres tendances matérielles. Cet effort de maintenir la liberté de l'esprit, en se délivrant des influences sensuelles, se nomme vertu stoïque. Nous avons indiqué précédemment un autre côté de la liberté, celui par lequel l'homme tend à se dégager, non pas des liens de son propre corps, mais à dégager celui-ci des liens étrangers qui constituent l'autorité. Ce genre de liberté, qu'on nomme liberté politique, n'a, comme on le voit, rien de commun avec la vertu stoïque. Au lieu d'avoir une tendance vers l'absolu, comme celleci, elle s'efforce d'atteindre à un but matériel, l'affranchissement des liens du droit. Mais en arrivant à l'accomplissement exact de ce but, elle ne rencontre que la contradiction pure. Car nous croyons avoir suffisamment prouvé, que l'intention d'anéantir tout droit est une contradiction logique, puisqu'elle est contradictoire avec la nature humaine.

La liberté politique n'ayant d'autre tendance que celle de dégager son propre corps des liens d'un corps étranger, et de détruire ces liens du droit, ne consiste que dans la réaction matérielle d'un corps à l'égard de l'autre. Réaction produite par l'impatience de l'homme d'endurer des liens qui lui imposent des restrictions. -Et plus la société humaine se matérialise, plus cette tendance de

vient prononcée. Car la société matérialisée, en perdant de vue la source spirituelle du droit, cesse de le respecter, et trouve d'autant plus intolérables les conséquences de ce droit qui mènent jusqu'à l'autorité.

Cette tendance matérielle constitue la contrepartie exacte de l'autre abstraction extrême, que nous avons désignée sous le nom de vertu stoïque; celle-ci fait abstraction du corps, comme la liberté politique fait abstraction de l'esprit.

Mais ces deux extrêmes se rencontrent dès que leur valeur réciproque est admise, c'est-à-dire aussitôt que la supériorité de l'esprit sur la matière est reconnue, à côté de l'indépendance de l'individu de tout lien étranger. Ces conditions se retrouvent dans le droit réel avant qu'il ait produit le droit personnel comme conséquence ultérieure. La supériorité de l'esprit sur la matière est la source du droit réel, et cette même supériorité étant reconnue aux autres, il se forme ainsi des sphères de droits individuels séparées, et qui se trouvent matériellement indépendantes les unes des autres.

Nous nommerons liberté individuelle cette réconciliation des deux extrêmes de la liberté, dans la sphère du droit individuel. Au lieu d'être hos tile au droit individuel, comme la liberté politique, la liberté individuelles'identifie, au contraire, à lui,

et ne lui est contraire que par la tendance à en exclure les conséquences ultérieures qui mènent à l'autorité.

Mais en arrêtant ainsi le développement naturel du droit, la liberté individuelle se place aussi en opposition avec lui. D'un autre côté, la vertu stoïque est contraire au droit, puisqu'elle s'efforce de faire abstraction de la matière qui constitue un des élémens du droit. Et c'est ainsi que les deux côtés de la liberté, séparés ou réunis, se montrent essentiellement opposés au droit en général, quoique à des degrés différens, et particulièrement opposés au droit personnel ou à l'autorité.

Mais nous avons fait observer, au chapitre précédent, que l'autorité fondée sur la volonté de la majorité s'assimilait à l'autorité fondée sur le droit, en sorte que le premier de ces deux genres d'autorité, lorsqu'il acquiert de l'indépendance et cesse d'être un simple reflet de la volonté démocratique, se trouve également en opposition avec la liberté de cette volonté.

Cette hostilité de la liberté et de l'autorité est aussi ancienne que la société humaine elle-même, comme le prouve suffisamment le témoignage de l'histoire, qui nous apprend en même temps que cette hostilité se manifeste plus vivement à certaines époques qu'à d'autres ; et la nôtre est de tou

tes, celle où elle s'est produite avec le plus d'intensité, ou du moins sur une plus grande échelle que jamais. La cause en est à la grande extension que le développement intellectuel a prise dans la société moderne; car ce développement s'étant communiqué aux masses d'une manière plus ou moins sensible, elles sont entrées en lice, en compensant par la force de leurs passions ce qui leur manque en intelligence claire de la question débattue.

Cette question a été comprise d'une manière plus ou moins complète; elle a été suivie dans tous ses détails, et une double science s'est constituée à l'appui de l'autorité, comme à celui de la liberté.

Non pas que, d'un côté ou de l'autre, on ait pu nier complétement l'existence du principe contraire, car on s'est convaincu que tous deux sont fondés sur la nature humaine. Mais il s'est agi de savoir auquel des deux appartient la prépondérance, puisqu'il ne pouvait être question de la troisième alternative, celle qui consisterait dans l'équilibre parfait des deux principes. Un équilibre parfait entre deux principes vivaces et opposés ne peut avoir lieu que momentanément. Ce moment est précisément celui où l'élément inférieur, prenant du développement à son tour, contre-balance l'élément opposé, avant de le dépasser. Et encore ce moment même ne se présente-t-il que dans le cas où le

développement de l'élément inférieur se ferait d'une manière progressive, ce qui n'arrive plus lorsque le passage d'un élément à l'autre est subit et marqué par une commotion ou une révolution violente. Cependant comme le degré de cette prépondérance varie à l'infini, à compter depuis le moment le plus rapproché de l'équilibre jusqu'à celui qui est le plus proche de l'abstraction pure de l'un des deux élémens, il en résulte une grande diversité d'opinions au sein même de chacune des deux grandes divisions politiques. Mais leur tendance générale étant la même, elles ont les mêmes mots de ralliement les unes, la liberté; les autres, l'autorité, qu'on désigne aussi sous le nom de légitimité.

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Néanmoins, dé même qu'à toutes les époques de l'histoire, de nos jours aussi, la tendance du développement intellectuel porte un certain caractère de généralité, qu'on retrouve au milieu même de la lutte des deux élémens sociaux. Il y a ainsi, sur certains points, accord entre les deux opinions opposées. Mais nous nous réservons de constater ce fait plus loin et d'établir d'abord la différence qui s'y manifeste.

Nous avons déjà montré, qu'aucun des deux élémens sociaux ne peut exclure l'autre d'une manière complète, en sorte que les deux opinions qui

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