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ils ne sauraient non plus être rendus obligatoires par la force; car la force étant un élément matériel, ils se trouveraient de cette manière attirés dans la sphère de la matière.

Nous avons montré qu'il s'établit dans la famille agrandie une succession non interrompue de chefs, indéterminée d'abord, mais réglée plus tard par un ordre quelconque. Cette institution contribue à consolider l'unité de toute société où elle se retrouve; mais elle varie selon l'élément qui y prédomine. C'est ainsi que dans la société patriarcale, aussi longtemps qu'elle se conserve dans sa pureté, l'âge des individus de la famille souveraine devient de première considération pour la succession au trône, et ce n'est que par suite des dissensions qui résultent de cet ordre de succession, souvent vague, que la primogéniture s'y introduit. Cette dernière seule constitue la qualification essentielle du successeur dans l'État féodal, puisque les conventions, qui forment le trait caractéristique de cette société, pouvant être observées par chacun, l'individualité y est de moindre importance qu'un ordre de succession régulier.

Dans l'État commercial, le pouvoir dépend de la possession de grands moyens pécuniaires, en sorte qu'il pourra être conservé dans la même famille, ou passer à d'autres, si elle perdait ses ressources

pécuniaires, sans avoir préalablement trouvé une autre base de puissance.

Le chef de l'État militaire ne peut songer à assurer la souveraineté à sa famille, que s'il s'y trouvait un individu doué de qualités guerrières, seule condition morale qui ait de la valeur aux yeux d'une armée : autrement le pouvoir sera à celui qui saura gagner la troupe. Celle-ci disposera à volonté du trône, dès qu'elle aura acquis le sentiment de sa force. L'élection du souverain est même si conforme à l'esprit de l'État militaire, que si l'on voyait s'y établir l'ordre de succession de la famille, il faudrait en conclure que son type primitif s'efface.

Les sociétés théocratique et idéocratique, ayant leur source dans les tendances de l'intelligence humaine, le motif de succession au pouvoir doit y être cherché dans la supériorité intellectuelle. Nous voulons dire, que l'individu qui aurait le mieux saisi le sens de la doctrine qui a produit ces États, et dont l'autorité dans le domaine de l'intelligence serait la plus imposante, est le mieux qualifié pour y exercer l'autorité souveraine; et c'est pourquoi un trône électif est le plus conforme à leur esprit.

C'est ainsi qu'il se forme dans l'État un enchaînement solide, auquel se rattachent les intérêts matériels de la société, et qui en maintient l'unité

extérieure. Mais l'individu faisant le dernier anneau de cette chaîne, devient un centre, où peuvent se rencontrer aussi les sentimens de tous les membres de la société. C'est lui qui étend sa protection et ses bienfaits sur tous; tous lui doivent un sentiment de piété pour le bon usage qu'il fait de sa puissance et pour le mal dont il s'abstient, les souvenirs de la gloire et des grandeurs de l'État se rattachent à lui, de même que les espérances d'une prospérité future.

Nous avons vu que le chef de la famille primitive en est également le pontife; et aussi longtemps que lui et ses successeurs restent en possession de leur autorité, ou qu'aucune autre religion ne s'introduit dans l'État, ils conservent nécessairement la même suprématie spirituelle, malgré le développement que prend la famille. Lorsque le souverain, de temps immémorial, est chef légitime de l'Église, le caractère sacré dont il est revêtu ainsi, peut devenir un des liens les plus forts qui l'attachent à ses sujets.

Il existe encore dans l'État un autre lien d'une nature particulière, qui cependant ne se retrouve pas dans la famille, c'est le serment. Le père de famille ne peut vouloir l'exiger de ses enfans, puisque aucun d'eux ne se trouve dans le cas de lui contester son pouvoir. Dans la société agrandie,

au contraire, l'existence de l'autorité est plus facilement compromise, et ceux qui l'exercent peuvent vouloir en assurer la durée au moyen d'un engagement solennel.

Mais, de même que toute autre promesse, le serment est du domaine philosophique de la morale, en sorte qu'il ne saurait nous appartenir d'en examiner la nature en ce lieu.

Le noyau solide d'une succession régulière à l'exercice de l'autorité souveraine manque dans la république, à mesure qu'elle se rapproche de la pureté démocratique, puisque, dans ce cas, aucune institution ne saurait s'y consolider indépendamment de la volonté de la corporation souveraine. Mais une telle succession ne pouvant avoir lieu dans la république, cette institution est remplacée par une autre, la loi fondamentale qui détermine la manière dont la corporation souveraine se complète, soit par l'admission de tous ses membres majeurs, soit par les pères de famille seuls, ou à d'autres conditions de plus en plus restrictives.

D'un autre côté, les liens du sentiment, qui unissent les membres de l'État avec leur chef, lorsque celui-ci est une personne réelle, doivent subir une grande altération, lorsque l'autorité souveraine est exercée par ce qu'on nomme une personne morale, une corporation. Car les membres de la cor

poration souveraine peuvent bien se trouver individuellement en rapport de sentiment direct avec les individus qui sont dans leur dépendance, mais non la corporation dans sa totalité. Il s'ensuit, que dès qu'il y a dans la république d'autres sujets que les familles des membres de la corporation souveraine, leur dépendance devient d'autant plus onéreuse qu'il n'existe pas de sentiment qui puisse en alléger le poids. Cette circonstance oblige les membres souverains de la république de s'unir plus étroitement entre eux, et de recourir à la terreur, pour maintenir leurs sujets dans une soumission qui leur pèse. Il s'ensuit, qu'une éducation inspirant aux citoyens un dévouement sans bornes pour la république, et une sévérité excessive envers leurs sujets, deviennent les conditions de la durée de cette forme sociale.

C'est ainsi que l'amour du prochain est le lien du sentiment le plus général parmi les hommes. La nationalité embrasse un cercle plus étroit, et ne comprend, originairement du moins, que les individus soumis aux mêmes influences physiques et morales. Les liens de famille enfin ne s'étendent qu'à ceux avec qui on se trouve dans les rapports les plus intimes.

Cette source vive du sentiment, où l'esprit et la matière sont en fusion, découle de la nature intime

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