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semblables, il s'attend qu'ils agissent de même envers lui; c'est ainsi qu'en exposant sa vie pour la société dont il fait partie, ou ayant bien mérité d'elle par une action quelconque, il prétend que son mérite soit reconnu et rémunéré (1).

Cette rémunération peut consister en avantages matériels, tels que biens ou propriétés de tout genre; mais comme ceux-ci sont limités de leur nature, et se trouveraient bientôt épuisés, les hommes ont imaginé d'y suppléer par des distinctions honorifiques, consistant en signes extérieurs ou en titres particuliers.

Ces distinctions ont été souvent décriées, parce qu'elles mettent en jeu une des faiblesses de la nature humaine, la vanité; et d'un autre côté, il y a des publicistes qui les ont défendues en les assimilant aux droits : dans l'un et l'autre cas, leur véritable nature a été méconnue.

Elles n'ont rien de commun avec la nature du droit, puisque s'il en était ainsi, on pourrait se les approprier par première occupation, de même que tout autre objet du droit. Mais dans ce cas,

(1) << Wenn nun Tugend im Staate nicht als Tugend belohnt wird, weil dies undenkbar ist, so geht das Recht des Staates zu belohnen nur auf Verdienste, welche der Bürger durch Kunst und Geschicklichkeit, mag sie nun aus Tugend oder andern Beweggründen entstanden seyn, sich erworben. » (Das philosophische Strafrecht v. H. Richter.)

elles perdraient toute valeur, et cesseraient d'être une distinction.

Comme nous l'avons déjà dit, les distinctions publiques n'ont, de même que les peines, d'autre base que le principe de la rétribution; seulement elles rendent en bien ce que les peines rendent en mal. Mais comme il y a des motifs accessoires qui influent sur la peine, il y a aussi de ces motifs en rapport avec les distinctions publiques. Leur véritable caractère consiste dans la rémunération et l'encouragement au bien; et elles sont ainsi calculées à produire de l'effet sur les sentimens les plus élevés de la nature humaine; mais il se pourra alors que leur action sur ces sentimens en excite d'autres tels que la vanité.

Il est certain néanmoins que le but des distinctions publiques serait manqué, si elles donnaient naissance à l'orgueil et à l'arrogance, qui, d'un autre côté, produiraient l'envie et la haine, puisqu'au lieu d'émulation, elles auraient ainsi introduit dans la société un principe de division.

L'encouragement que les actions bonnes ou utiles rencontrent dans la société humaine, peut être également accordé aux différentes directions que prend l'esprit de l'homme, pour satisfaire à ses besoins intellectuels et matériels. Cet encouragement a lieu, si les avantages matériels qui

peuvent résulter d'une invention de l'esprit, sont assurés à l'individu qui, le premier, aura émis des idées fécondes en conséquences pratiques.. Lorsque l'autorité assure la jouissance de ces avantages, qui consistent principalement dans la faculté plus ou moins exclusive de répandre ses travaux scientifiques, littéraires ou industriels, ils se nomment priviléges.

Ce n'est qu'à ce point de vue que peuvent être appréciées la prétention des auteurs à la propriété exclusive des produits de leur intelligence, et les dispositions légales à l'égard de la contrefaçon des livres. Et c'est pourquoi la question se trouve faussée, dès qu'on veut la placer sur le terrain du droit proprement dit, comme la tentative en a été faite si souvent.

L'auteur a incontestablement droit à son manuscrit, si la matière première dont il se compose lui appartient; mais les idées qu'il y a exprimées ne sauraient rester sa propriété exclusive. L'idée conçue par l'intelligence individuelle a la propriété de l'électricité, comme l'observe Hegel, puisqu'elle se communique instantanément à toutes les autres intelligences qui viennent en contact. Et cette idée devient ainsi leur propriété autant que celle de l'intelligence qui l'a exprimée en premier lieu. - La partie matérielle dont se compose

un livre, les caractères de l'impression et le papier étant à la disposition de chacun, leur propriété ne saurait changer, soit qu'on reproduise ses propres idées ou seulement celles d'un autre. Quelle espèce de droit l'auteur aurait-il ainsi d'empêcher les autres de façonner à leur convenance les matières premières qui leur appartiennent, ou de reproduire des idées quelconques, puisque ces dernières ne sont pas susceptibles de devenir l'objet d'un droit? Mais comme dans un état social plus avancé, les travaux littéraires procurent des avantages matériels, il est conforme à la nature humaine que l'auteur cherche à s'assurer ces avantages à l'aide d'un privilége que la société lui garantit ; et elle s'y refuse d'autant moins, que les travaux de l'intelligence ont acquis de l'importance.

Les priviléges n'étant ainsi qu'un résultat de l'attention et de la protection que la société accorde au développement des différentes facultés humaines en raison de leur utilité véritable ou supposée, reposent sur la même base que les distinctions publiques, puisqu'ils consistent également dans la rémunération du bien par le bien. Il résulte de cette identité de but et de moyen que les distinctions honorifiques et les priviléges se confondent dans bien des cas, et que souvent on les

voit indistinctement employés. Mais de même que les distinctions publiques peuvent donner lieu à des effets dangereux et pernicieux pour la société, de même aussi les priviléges lui deviendraient onéreux, s'ils consistaient en exemptions des charges générales, ou en monopoles dépassant les bornes de l'utilité publique.

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C'est ainsi qu'en procédant de l'idée du droit, et passant ensuite à celle de la justice, qui n'est elle-même qu'une modification de l'idée du droit, - les développemens de cette idée nous ont amené au principe de la rétorsion du mal par le mal, puis à la rémunération du bien par le bien. Et nous avons cru caractériser cette double propriété par la dénomination de justice distributive, qui complète ainsi les développemens dont l'idée de la justice est susceptible.

Maintenant nous sommes arrivé au point où, ayant à nous occuper de la formation de la société humaine, nous verrons le principe spirituel qui anime les hommes se présenter d'une manière différente. Au lieu de trouver son expression matérielle dans l'égalité, comme nous l'avons vu jusqu'à présent, le principe intellectuel se présentera sous un nouveau point de vue d'un côté, comme autorité; de l'autre, comme dépendance, et prenant ainsi l'apparence de l'inégalité.

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