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MUPHTI. Les voyages aériens pendant une nuit, l'un du temple de la Mecque au temple de Jérusalem, l'autre au travers des sept cieux jusqu'au trône de Dieu.

PRÊTRE. C'est apparemment l'ange Gabriel qui a ainsi transporté le prophète ?

MUPATI. Oui, et il s'est servi pour cet office d'Alborak, monture ailée, qui avait la figure de la femme, le corps du cheval et la queue du paon. PRÊTRE. Quelque chose de mystérieux devait être caché sous ce bel ensemble. C'était peut-être la figure du Koran?

MUPHTI. Je n'en sais rien.

PRÊTRE. Y a-t-il des témoins de ce fait ?

MUPHTI. Non, il a eu lieu pendant la nuit; mais séidna Mahomet l'insinue, et la Sonna le rapporte.

PRÊTRE. Je respecte votre pieuse croyance, mais les chrétiens ne croient jamais à un fait démenti par l'histoire; et Moaviah, compagnon inséparable de sid Mahomet, kalife plus tard, a nié formellement ce fait; Aïcha, femme de Mahomet, a nié que son époux ait découché durant la fameuse nuit. Le témoignage de deux personnes intimes de Mahomet, a du poids contre l'existence d'un fait dont personne n'a été témoin. Avant d'alléguer un miracle en faveur d'un prophète, il faut prouver l'existence du miracle.

MUPHTI. Au reste, le miracle du voyage nocturne ne nous est pas nécessaire, nous en avons un autre plus parlant : séidna Mahomet a fendu la lune; la Sonna le rapporte. (Le cadi laisse apercevoir son impatience.)

PRÊTRE. De l'aveu du cadi, sid Mahomet a déclaré dans le Koran qu'il n'avait point mission pour faire des miracles. Les auteurs de la Sonna font mentir Mahomet; c'est qu'ils mentent euxmêmes. Aussi le savant El-Béidaoui est-il de l'opinion de ceux qui croient que ce mot la lune se fend (sourate la Lune, v. 1) désigne, non un miracle accompli, mais un signe qui accompagnera le jugement dernier.

CADI. Subhanou (loin du prophète tout outrage). Je m'en tiens plutôt à séidna Mahomet qu'aux auteurs de la Sonna; le prophète a déclaré, au nom de Dieu, qu'il n'avait point le pouvoir de faire des miracles. D'ailleurs la preuve des miracles n'était pas nécessaire, il avait d'autres signes de sa mission divine. Séidna Mahomet était prédit par les prophètes; mais les chrétiens, en altérant les Écritures, ont fait disparaître le passage où il était parlé de lui.

§ IV.

PRÊTRE. C'est le cadi qui fait l'objection, je m'en réjouis, parce qu'il a assez de jugement pour comprendre la réponse : est-ce avant Mahomet, est-ce après Mahomet que les chrétiens ont fait disparaître le passage? Qui l'a fait disparaître?

CADI. Je n'en sais rien. Je n'ai pas vos Écritures entre les mains, pour être au courant des changements que vous avez faits, ni de l'époque où vous les avez faits.

PRÊTRE. Vous n'êtes pas au courant de nos Écritures, pourquoi dites-vous que nous les alté

rons, ou que nous les avons altérées? Accuser sans prouver, c'est se déclarer coupable.

MUPHTI. Nous répétons ce que tout le monde dit. PRÊTRE. Apprenez à vous méfier des préjugés du vulgaire. Écoutez, et vous resterez convaincus qu'une telle altération a été impossible. Je vous demande donc, si quelqu'un voulait aujourd'hui altérer le Koran, faire disparaître, par exemple, la Fathha, ou les passages qui regardent Aïça, Marie, le pourrait-il sans qu'on s'en aperçùt bientôt, et sans qu'il y eût réclamation?

CADI. Non, et celui-là serait maudit.

PRÊTRE. Les partisans d'Ali auraient-ils pu le faire?

CADI. Non, les sectateurs d'Omar se seraient récriés, et ils se sont récriés en effet.

PRÊTRE. Les sectateurs d'Omar auraient-ils pu le faire?

MUPHTI. Les partisans d'Ali n'auraient pas manqué de réclamer.

PRÊTRE. Eh bien, chez nous, ce serait la même difficulté; elle serait encore plus grande. Dès le commencement, nous avons eu des sectes ennemies les unes des autres. Avant sid Mahomet, les sabelliens étaient nos ennemis; les ariens étaient nos ennemis; les nestoriens, les eutichéens étaient nos ennemis; ils n'ont pas pu altérer les Écritures, sans que nous nous soyons récriés; nous n'avons pu les falsifier, ils auraient réclamé contre nous.

Depuis sid Mahomet, les Grecs se sont séparés de nous, les protestants se sont séparés de nous, ils n'ont pu faire disparaître un seul verset à notre

insu, et sans réclamation de notre part; nous n'aurions pu altérer non plus un seul verset sans qu'ils eussent dévoilé notre fraude; bien plus, personne ne peut interpréter un seul mot d'une manière contraire à l'orthodoxie sans être dévoilé à l'instant, et sans encourir l'anathème. C'est en ce sens que les divisions en matière de religion tournent à la gloire de Dieu; elles sont une garantie pour l'intégrité des Écritures.

MUPHTI. L'altération des Écritures est impossible chez nous, qui transcrivons le Koran nousmêmes; mais elle ne l'est pas chez vous, qui vous servez de l'imprimerie.

PRÊTRE. Messieurs, laissez donc vos préjugés au vulgaire; que le cadi et le muphti fassent usage de leur raison, et ils devront convenir que l'imprimerie est la plus puissante garantie contre l'altération des Écritures; que si la fraude est possible, c'est dans l'écriture privée. Quand vous copiez le Koran, êtes-vous sûrs de copier fidèlement? N'est-il jamais arrivé au cadi de corriger l'écriture du muphti? au muphti de corriger celle du cadi? Cependant, Messieurs, vous avez la connaissance du livre, vous faites un travail consciencieux. Savez-vous, au contraire, si ceux qui écrivent à Constantinople, en Perse, à Bagdad, à la Mecque, ont la même science et la même droiture d'intention que vous? Vous ne savez pas même ce qu'écrit votre voisin.

Nous, au contraire, grâce à l'imprimerie, nous connaissons ce qui s'écrit sur la surface du globe. S'il paraît un ouvrage inexact, il ne tarde. pas à

être signalé comme tel, et ne prend jamais rang parmi les livres orthodoxes. Méfiez-vous donc des -préjugés, laissez-les à ceux qui ne peuvent comprendre.

CADI. Il faut avouer qu'il est difficile d'introduire un changement dans votre livre.

PRETRE. Difficile n'est pas le mot; faites usage de votre raison, et vous direz impossible, impossible, du moins, que l'altération passe inaperçue.

D'ailleurs, si un prophète était promis après séid Aïça, il le serait pour l'avantage des chrétiens comme pour celui de tout autre peuple. C'est ainsi que séid Aïça était promis après Moïse, pour les Juifs comme pour les autres nations. Quel motif aurait donc pu porter les chrétiens à faire disparaître ou altérer une telle promesse? Serait ce leur attachement pour séid Aïça? Étrange manière de témoigner leur amour à leur maître, que de contredire ce qu'il aurait approuvé ou enseigné lui-même! Moïse et les disciples de Moïse, les prophètes et les disciples des prophètes se sont bien gardés de faire disparaître les versets qui promettaient le Messie, Aïça, qui devait venir pour le bien de tous, comme le complément de tous les prophètes.

Les chrétiens auraient-ils fait disparaître la promesse de sid Mahomet par pure malice contre la vérité? On n'a jamais vu un peuple s'entendre, du moins sans aucune apparence d'intérêt, pour consommer sciemment un forfait. Cependant tous les chrétiens, tous les juifs même, ont nié et nient qu'il ait été question de sid Mahomet dans

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