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PRÊTRE. Laissons Moïse et Aïça; leur mission ne laisse de doute à personne. Mais avant sid Mahomet, Osiris, premier législateur de Massar (Égypte), s'est dit inspiré. De l'autre côté de la Méditerranée, Minos, Lycurgue, Solon, Zéleucus en Grèce, Numa à Rome, ont donné leurs lois comme inspirées du ciel; le peuple l'a cru; les personnes de bon sens ne l'ont pas cru, parce qu'on ne voyait pas de firman; pourquoi vous, musulmans, ne mettez-vous pas ces personnages au nombre des prophètes?

DERVICHE. Minos et les autres sont des noms nouveaux pour moi; je ne sais pas de qui tu me parles.

PRÊTRE. Si Omar, après la conquête de l'Égypte, n'avait pas fait brûler la bibliothèque d'Alexandrie (1), tu pourrais lire dans vos bibliothèques les livres qui parlent des grands législateurs et de leurs ruses; mais vous ne connaissez que le Koran : voilà pourquoi vous croyez sans examen, sans comparaison, sans preuve, tout ce qu'il avance. Ce n'est pas sans motifs qu'Omar, pour justifier l'arrêt de destruction, répondit: Si ces ouvrages ne contiennent que ce qui est dans le Koran, ils nous sont inutiles; s'ils disent quelque chose de plus, ils sont nuisibles: il faut donc les brûler. Le kalife a servi le Koran en le protégeant du voile de l'ignorance; mais il n'a pas servi la

vérité.

(1) Cette bibliothèque renfermait, dit-on, cinq cent mille volumes.

DERVICHE. Comment appelles-tu les auteurs qui parlent de ces législateurs anciens et de leur supercherie?

PRÊTRE. Ce sont, entre autres, Platon et Josèphe.

DERVICHE. Blatoun, Ioussouf, c'est bon. Avec ces deux mots, j'en sais plus que le muphti et le cadi. Quand ils m'appelleront mahboul (fou), je leur demanderai s'ils connaissent Blatoun, et je serai en droit de les appeler ignorants. Aussi, si j'ai un conseil à te donner, babas, quand tu parles avec tout autre que le derviche, garde-toi bien de citer des noms et des faits aussi anciens que ceux dont tu viens de m'entretenir ce serait perdre ton temps, peut-être même nuire à ta cause. Les discussions qu'on ne comprend pas, vois-tu, amènent plus de ténèbres que de lumière; car je t'avouerai moi-même que je ne sais plus où nous en sommes de la question.

PRÊTRE. Je vais t'y remettre. Je viens de citer les grands législateurs qui ont paru avant sid Mahomet, se disant inspirés comme lui, mais sans donner des preuves de leur mission, de même qu'il n'en a pas donné de la sienne; et je te demandais pourquoi croire l'un plutôt que les autres? ou les croire tous, ou n'en croire aucun. Mais passons à ceux qui se sont dits inspirés depuis Mahomet.

S VI.

DERVICHE. Est-ce qu'il y en a?

PRÊTRE. Y penses-tu, derviche?.... Mais votre

histoire nous présente des prophètes en foule. Du vivant même de sid Mahomet, n'a-t-on pas vu sortir de la tribu de Honeifa l'illustre Moseilama, qui a laissé par écrit ses révélations comme sid Mahomet a laissé les siennes, qui dans l'espace de deux ans se vit à la tête de plus de dix mille hommes, et osa traiter avec Mahomet d'égal à égal (1)?

De la tribu de Ans, n'a-t-on pas vu sortir le fameux el-Assouad (2), surnommé le Dhou'lhe

(1) Lettre de Moseilama à Mahomet :

« Moseilama, apôtre de Dieu, à Mahomet, apôtre de Dieu. Que la moitié de la moitié de la terre soit à toi, et l'autre à moi. » Réponse : « Mahomet, apôtre de Dieu, à Moseilama le menteur. La terre appartient à Dieu; il l'a donnée pour héritage à celui de ses serviteurs qu'il trouve à propos, et l'heureux succès accompagnera ceux qui le craignent. » (El-Beidaoui, sur le Koran, ch. V.)

On ne peut lire ceci sans se rappeler la lettre de Darius et la réponse d'Alexandre le Grand. (Quinte-Curce.) Moseilama fut mis à mort sous le kalifat d'Aboubekr.

(2) Dhou'lhemar, c'est-à-dire le maître de l'áne. Quand il prétendait avoir eu une révélation, il avait coutume de dire : Le maître de l'ane est venu vers moi. C'est, en effet, aux humbles que Dieu se révèle. David disait : « Je ne suis qu'une bête de somme. » El-Assouad, à force d'adresse, devint trèspuissant; mais Mahomet, plus adroit que lui, trouva le moyen de le faire assassiner. Un nommé Férous fut le meurtrier. Aux cris de la victime, les gardes vinrent à la porte de son appartement; mais sa femme, qui était l'un des principaux instruments du complot, congédia les gardes en disant que le maître de l'âne était agité par une inspiration. Ceci se passa la nuit qui précéda la mort de Mahomet. On s'empressa d'écrire au vrai prophète; la lettre ne le trouva pas en vie.

mar? de la tribu d'Assad, Toleiha? de la tribu de Tamim, la prophétesse Sedjadi (1), qui fut écoutée par toute sa tribu et par plusieurs autres?

Après Mahomet, sous le kalifat d'El-Mohdi, de la famille d'Abbas, n'a-t-on pas vu Hakem-el-Borkaï (2) entraîner les tribus par ses prédications

Mais l'ange Gabriel avait pourvu à tout. Mahomet fut instruit à temps de la nouvelle, et eut la consolation de l'apprendre à ses compagnons avant de mourir. (Aboulfeda, Vie de Mahomet.)

(1) Elle crut important, pour le succès de sa cause, de s'associer à un prophète. Elle alla donc trouver Moseilama, qui l'épousa; mais après trois jours de mariage, on fit divorce. (El-Beidaoui.)

(2) El-Borkaï, c'est-à-dire le Voilé. Ayant perdu un œil dans une bataille, il se couvrait le visage d'un voile pour cacher sa difformité. Ses sectateurs disaient qu'il cachait sa figure comme Moïse, afin que son éclat n'éblouît pas les yeux de ceux qui le verraient. Non-seulement il se disait prophète, mais il se faisait rendre les honneurs divins, disant que la divinité passe successivement dans les prophètes, depuis Adam jusqu'aux derniers jours; que maintenant c'était son tour. Cerné dans une forteresse par l'armée du kalife, il voulut jouer son rôle jusqu'à la fin. Il fit boire du vin empoisonné à tous ceux qui étaient avec lui; quand il les vit tous morts, il fit brûler leurs cadavres, et se jeta lui-même dans les flammes. Quand l'ennemi entra, il ne trouva qu'une concubine du faux prophète, qui s'était cachée. Elle fit connaître tout ce qui s'était passé. Il avait promis à ses sectateurs que son âme passerait à un autre corps, et qu'il reviendrait plus tard les mettre en possession du monde entier. La promesse suffit pour soutenir les coreligionnaires. Cette secte, sous le nom persan de Sefid-Djamchghian, c'est-à-dire habillés de blanc, est celle qui s'est maintenue le plus longtemps. Peutêtre subsiste-t-elle encore. (Aboulfarage.)

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prophétiques? L'an de l'hégire 201, n'a-t-on pas vu Babek-el-Koroumi (1)? l'an 235, MahmoudEbn Farradj? l'an 352, El-Moutnabbi? enfin, l'an 638, n'a-t-on pas entendu Baba répéter comme Mahomet et tous les autres: Il n'y a de Dieu que Dieu, et Baba est l'apótre de Dieu (2)?

Eh bien! je te le demande, derviche, les sectateurs de ces prophètes avaient-ils tort ou raison? DERVICHE. Ils avaient tort, parce que ces prophètes étaient des menteurs.

PRETRE. Pourquoi?

DERVICHE. Hacaza (cela est ainsi).

PRÊTRE. Qu'aurais-tu répondu à celui qui t'aurait dit : J'ai embrassé la religion de Hakem, par exemple, préférablement à celle de Mahomet, parce que Hakem est envoyé de Dieu, et que Mahomet a menti?

DERVICHE. J'aurais répondu que Mahomet a donné des sigues extraordinaires pour prouver sa

(1) Babek fut trahi par Sahel, officier grec ou arménien. Poursuivi par Afchid, général de Motasem, il s'était réfugié sur les terres des Grecs. Sahel le reconnut, et lui promit de le traiter avec tous les égards et les honneurs dus à un souverain. Au moment du repas, Sahel se place à côté du prophète-roi. Babek demande pourquoi il ose prendre cette place sans lui en demander la permission. « Grand roi, dit Sahel, j'ai commis une faute, je le reconnais. » Sahel se lève, et ayant fait venir un forgeron : « Grand roi, dit-il, écartez vos jambes, afin que cet homme puisse y mettre les fers; » et Babek est envoyé garrotté à Afchid. (Aboulfarage.)

(2) On compte encore au moins vingt autres prophètes de ce genre. Il ne faut pas les confondre avec les auteurs des sectes, qui sont au nombre de soixante-treize.

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