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CADI. Que penses-tu de ceci, muphti? MUPITI. Ouallah (par Dieu), il me paraît impos sible qu'il existe un fait accompagné d'un plus imposant témoignage. Des hommes de toutes les nations, même des Arabes, quelle autorité! Et que ces étrangers entendent chacun dans la langue de son pays, quel prodige!

CADI. Dieu est puissant, et c'est l'Esprit de Dieu qui parle.

MUPHTI. Mais est-ce bien là le Périclyt?

CADI. Eh! à qui pourrait mieux s'appliquer le titre de glorieux? Le glorieux devait venir du vivant des haouariouna, pour leur faire comprendre toute vérité, et l'Esprit saint les a inondés de lumière.

PRÊTRE. Ce n'est pas tout.....

CADI. Puisque le babas m'a donné le droit d'examiner par moi-même, je le dispense de toute observation. Je le prie seulement de vouloir bien m'expliquer pourquoi il se trouvait tant d'étrangers à Jérusalem.

PRÊTRE. Pour se rendre raison de ce fait, il faut se rappeler que les Juifs avaient coutume d'aller célébrer dans la ville sainte trois fêtes principales de l'année : la fête de Pâques, en mémoire de la sortie d'Égypte, mentionnée dans le Koran; la fête de la Pentecôte, en mémoire de la révélation des dix paroles (commandements) faite à Moïse sur le mont Sinaï, racontée aussi par le Koran; et la fête des Tabernacles, qui rappelait le séjour des enfants d'Israël sous les tentes dans le désert de l'Arabie. Il faut ajouter que l'année où arriva le

prodige qui nous occupe, l'affluence était plus considérable, à cause du bruit qui s'était répandu sur l'arrivée du Messie.

CADI. Ces étrangers étaient donc Juifs?

PRÈTRE. Ils étaient Juifs ou prosélytes. Il faut savoir que depuis les conquêtes de Dhoul Karnein (Alexandre le Grand), dont le Koran fait mention, et depuis les conquêtes des Romains, beaucoup de Juifs se trouvaient répandus sur les côtes de la Méditerranée et parmi les nations.

MUPHTI. Le babas voudra bien nous dire ce que signifiaient ces langues de feu qui se sont reposées sur la tête des haouariouna.

PRÊTRE. C'était là une figure, et vous en devinez le sens, Messieurs. Le feu réchauffe et éclaire; c'était donc le signe de l'amour de Dieu dont le cœur des haouariouna allait être embrasé, et de la lumière qui devait éclairer leur intelligence; à l'instant l'un et l'autre se sont réalisés. Les haouariouna étaient pusillanimes: ils avaient abandonné Aïça quand il fut arrêté et conduit au lieu du supplice; ils étaient ignorants : c'étaient des pêcheurs, de pauvres ouvriers; et voilà que tout à coup ceux qui avaient tremblé comme des agneaux se redressent comme des lions, et reprochent en face à la multitude d'avoir mis à mort. le Messie. Saint Pierre, en particulier, parla avec tant de véhémence, qu'à une prédication il convertit trois mille personnes, à une autre cinq mille. Ces faits sont rapportés à la suite de ce que le muphti vient de lire. Si vous voulez continuer la lecture, Messieurs, vous verrez par vous-mêmes.

§ II.

CADI. Cela nous prendrait trop de temps; c'est écrit, cela suffit. Il ne nous reste qu'une chose à demander au babas. Nous avons vu que séid Aïça, avant de monter au ciel, renouvelant aux haouariouna la promesse du Périclyt, leur recommanda de rendre témoignage de lui-même, non-seulement à Jérusalem, mais dans les diverses contrées de la terre; les haouariouna ont-ils été fidèles à cette recommandation?

PRÊTRE. Parfaitement. Se partageant, pour ainsi dire, la terre, ils se sont dirigés chacun vers une des villes principales. Saint Pierre, premier kalife d'Aïça, se rendit à Antioche d'abord, ensuite à Rome, où il a établi son kalifat; saint Marc passa à Scandria (Alexandrie); saint Jacques resta à Jérusalem; les autres se répandirent dans la Perse, dans l'Inde, dans tout l'Orient; et partout ils témoignaient que séid Aïça, qu'on avait mis à mort, était ressuscité; que c'était le Messie, parole de Dieu, fils de Dieu. Ils ne cessaient de répéter aux peuples et aux rois qu'ils devaient abandonner leurs idoles, faire pénitence de leurs péchés, et se ranger sous la Croix, étendard de séid Aïça, qui était venu sur la terre pour montrer le chemin du ciel. Mais ce langage paraissait nouveau; il heurtait trop de passions et de préjugés: aussi partout les haouariouna étaient mis à mort. Mais la vertu du Périclyt parlait ensuite au coeur des bourreaux, et les bourreaux se convertissaient,

devenaient chrétiens. C'est ainsi que, quelque temps après, sans autres armes que la prédication, la prière et l'exemple de toutes les vertus, les idoles qui couvraient la face du monde avaient presque disparu, et la Croix était arborée dans presque toutes les villes de l'Asie, de l'Afrique, de l'Europe.

CADI. Je ne comprends pas séid Aïça. Je trouve qu'il ne pouvait pas plus mal choisir ses visirs (1). Au lieu de prendre des hommes recommandables par leur bravoure et leurs talents, il enrôle des hommes de la rue, aussi lâches qu'ignorants; à tel point qu'il a fallu la vertu du Périclyt pour les éclairer et les enhardir. Et puis ces hommes s'aventurent comme des étourdis, sans suite et sans armes. En vérité, je m'étonne que la religion de séid Aïça lui ait survécu un jour.

Pour ceci, séid Mahomet s'y entendait mieux, Aussitôt qu'il l'a pu, il s'est entouré de l'élite des hommes de son temps. Les Aboubekr, les Omar, les Amrou, les Ali, les Othman, les Moaviah, voilà des ansars (auxiliaires) dignes d'un prophète : c'étaient à la fois les savants et les braves de l'Arabie, et ils ne marchaient jamais qu'à la tête de troupes imposantes et armés de pied en cap. Ainsi s'est établi l'Islam.

PRÊTRE. Ia sidi, nos idées sont bien loin l'une de l'autre; je ne sais si elles finiront par se rencontrer. Le cadi confond l'oeuvre de Dieu avec l'œuvre de l'homme. Vos kalifes, pour continuer

(1) Ministres. De vezir, portefaix, qui porte le fardeau.

l'œuvre de leur maître, ont employé la force, la violence, le fer et le feu, et sont ainsi parvenus à arborer le Croissant sur une grande étendue de la terre; cela prouve que les kalifes étaient de bons guerriers, plus braves, ou plus forts, ou plus adroits que les peuples qu'ils ont soumis. Ils marchaient sur les traces de leur maître; cela prouve que séid Mahomet était guerrier, mais que sa tactique était bien loin de celle d'un prophète de Dieu.

Dieu, pour implanter sa doctrine, le premier bienfait qu'il puisse accorder aux hommes, dédaigne d'appeler à son secours des bras de chair, des bras meurtriers. Il veut que l'ouvrage qui sort de ses mains porte le sceau de sa bonté et de sa puissance, afin qu'il ne puisse pas être confondu avec celui de l'homme. Séid Aïça, interprète fidèle de la volonté divine, ne prend point des savants pour instruments de sa mission: sa mission venait d'en haut, et il ne voulait point que le succès en pût être attribué au talent de l'homme; il ne prend point de guerriers : il ne voulait pas que la conquête de Dieu pût être confondue avec celles des tyrans. Il choisit des hommes timides et ignorants, des hommes qui n'étaient rien; ceux-là, s'ils parviennent à faire quelque chose, seront évidemment les instruments de Dieu. Eh bien, séid Aïça va les façonner à la manière divine; il leur envoie le Périclyt, et ces idiots parlent un langage compris de tous les idiomes, laissant bien loin d'eux tous les philosophes qui les avaient précédés, tous ceux qui sont venus ou viendront après eux; et

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