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CADI. Nous cherchons le firman du prophète, et ce n'est pas certes dans l'ignorance fanatique des gens de sacristie que nous le trouverons. Un Dieu, Mahomet son prophète, l'unité de doctrine, voilà ce qui me paraît un signe divin.

DIALOGUE XIV.

ENTRE LE PRÊTRE CHRÉTIEN, LE MUPHTI ET LE CADI.

SUJET Point d'unité dans le Koran.

Diversité de

croyance parmi les musulmans. Point d'autorité, principe d'unité. — En est-il de même dans la religion de Jésus-Christ? -L'ignorance, seul principe conservateur du Koran. Taches flétrissantes des kalifes.

§ I.

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PRÊTRE. Je reprends chacun des termes du cadi. Un Dieu. A moins que de rester associé au culte des idolâtres de l'Arabie, Mahomet ne pouvait

pas faire moins que de professer l'unité de Dieu.

Mais ce dogme lui reste commun avec les juifs et les chrétiens. Jusqu'ici Mahomet ne nous a rien appris.

Un prophète. Mahomet, parmi les divers mille prophètes dont il professe l'existence, reconnaît Moïse et Aïça comme ses égaux. Je dis comme ses égaux, car il n'a dit nulle part que leur doctrine fût incomplète; il dit qu'il est venu répéter ce que les peuples avaient refusé de suivre, ou mal interprété, ou dénaturé, Mahomet s'associe donc dans ses enseignements en particulier deux prophètes; et certes, dans ce triumvirat prophétique, d'après ce que nous avons vu ailleurs, ce n'est pas Mahomet qui fait pencher la balance:

il l'avoue implicitement lui-même, en annonçant le retour d'Aïça comme consommateur de l'œuvre.

Unité de doctrine. Le Koran reconnaît la vérité du Pentateuque et de l'Évangile; les enseignements du Koran devraient donc être en rapport avec les enseignements de ces deux livres; et en mille endroits ce que le Pentateuque et l'Evangile commandent ou permettent, le Koran le défend; ce qu'ils défendent, le Koran le permet; ce qu'ils enseignent, le Koran le nie, comme ils démentent ce que le Koran enseigne. Autant il y a d'incohérence entre le Koran et la Bible, autant y en a-t-il entre les versets mêmes du Koran. Dans le chapitre la Vache, il est dit que ce livre descendit du ciel pendant le mois du Ramadan; dans le chapitre la Fumée et dans celui de la Nuit sainte, il est dit qu'il descendit dans une nuit; et par le titre des chapitres du Koran, on voit que Mahomet l'a composé pendant les dix ans qu'il passa à la Mecque, et les treize qu'il passa à Médine. Chaque chapitre porte l'un de ces deux titres : sourate de Médine, sourate de la Mecque. Un livre fait à tant de reprises, et en deux villes différentes, n'est pas descendu telle nuit, ni tel mois. Ailleurs nous avons vu que les versets du Koran étaient révélés au prophète suivant les circonstances où ils lui étaient nécessaires.

Plusieurs versets du Koran disent que les juifs et les chrétiens seront sauvés; d'autres condamnent à l'enfer tous ceux qui n'auront pas embrassé l'islamisme.

Tels versets disent que Dieu maudit le diable en

le chassant du paradis, et le précipita pour toujours dans l'enfer; que les démons seront éternellement ennemis de Dieu et des hommes; et tels autres versets affirment que les démons recevront le Koran; qu'ils deviendront les amis de Mahomet, de Dieu et des hommes; que Dieu leur pardonnera, et les placera au sein de la gloire. Nous n'en finirions pas, Messieurs, si nous voulions rapprocher tous les passages contradictoires de votre livre. Où chercher l'unité?

§ II.

Est-ce dans l'uniformité de croyance parmi les musulmans? Mais à peine Mahomet eut fermé l'œil à la lumière, qu'il s'établit une dissidence, non-seulement de personnes, mais de croyance, entre la famille d'Ali et les partisans des trois premiers kalifes. Certes, les chytes et les sonnites, qui s'excommunient mutuellement, dont les uns admettent la tradition, les autres la rejettent, ne présentent pas un type d'unité. Et en avançant avec le temps, ne voyons-nous pas les sectes se multiplier, comme les ruisseaux dans la plaine, à proportion qu'ils s'éloignent de la montagne? Je cherche l'unité partout, et je ne la trouve nulle part.

CADI. Mais ces diverses sectes sont d'accord sur le fond de la doctrine; elles ne diffèrent que sur des points indifférents.

PRÊTRE. Je sais que vous vous plaisez à le dire, Messieurs, et en cela vous ne servez pas votre cause; vous donnez une bien pitoyable idée de votre unité. Quoi! entre des sectes dont les unes

nient l'éternité des attributs de Dieu, comme les mouttalites, dont les autres professent que Dieu est auteur du mal comme du bien, les koraïtes, il pourrait y avoir uniformité de croyance! Dites donc uniformité d'impiété. Vous croyez qu'il y a unité parmi les soixante-treize sectes; c'est parce que vous manquez d'une autorité pour discerner et condamner l'erreur. Danis un procès, les deux parties ont raison aux yeux du public jusqu'à ce que le juge ait prononcé. Cependant l'une ou l'autre avait tort avant la sentence.

§ III.

MUPHTI. Mais nous avons une autorité.

PRÊTRE. Non, vous n'en avez pas; vous manquez donc du principe même d'unité. Ceci réduit bien Mahomet à sa juste taille. N'y eût-il pas, en effet, d'autres preuves de la non-inspiration de votre prophète, ce vide immense qu'il a laissé à son œuvre, le prouverait surabondamment. Pour conserver une religion soi-disant divine, Mahomet aurait dû promettre à ses remplaçants l'inspiration ou un secours d'en haut; mais il ne pouvait promettre ce qu'il n'avait pas lui-même, ni transmettre à d'autres le talent de la ruse qu'il possédait au souverain degré. Son génie s'est trouvé aux prises avec l'impossible, il a succombé. Et le Koran a été laissé avec ses versets mystérieux et allégoriques, en advienne ce qu'il pourra.

CADI. Le babas compte-t-il pour rien l'autorité des kalifes, dont certains ont mérité le nom d'Épée-de-la-Religion, Seif-Eddin, de Lumière-de-laReligion, Nour-Eddin?

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