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PRÊTRE. Les kalifes ont-ils reçu une autorité spirituelle émanant d'en haut? C'est même improprement qu'ils sont appelés kalifes d'un prophète dit inspiré; kalife veut dire successeur, et ils n'ont succédé qu'à la puissance temporelle. Quant aux noms pompeux dont tu les décores, je sais qu'ils sont bien placés, si tu leur assignes pour titre les têtes que les plus modérés d'entre eux ont fait tomber, les torrents de sang qu'ils ont fait couler. Épée de la religion sont deux mots incompatibles. Séid Aïça, qui comprenait mieux sa mission, a dit avec plus de vérité à ses kalifes: Celui qui se sert de l'épée, périra avec l'épée. La religion ne connaît d'autre épée pour sauvegarde que l'épée de la parole, et pour manier cette épée à deux tranchants, il faut avoir mission d'en haut. MUPHTI. Mais séid Mahomet a laissé pour autorité spirituelle les imans.

PRÊTRE. Mais les imans ont-ils mission divine? Par suite, ont-ils l'assistance de Dieu, ou du moins ont-ils le talent et la science en partage? Si je me rappelle le respect que le cadi professe pour eux, je suis autorisé à croire qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre; et alors quelle garantie pour expliquer et conserver dans sa pureté une religion appelée divine? quelle garantie que des chiens muets pour faire la garde de la maison? Mahomet n'a pas même dit un mot de l'élection de l'iman.

MUPHTI. L'imameth était exercé par les kalifes ou par d'autres, suivant les circonstances. Ainsi les trois premiers kalifes, Aboubéker, Omar, Othman, ont réuni les fonctions d'imans à celles de

kalifes; ensuite les Alides ont revendiqué l'imameth, et en ont été les colonnes; plus tard, AboulAbbas l'a rattaché au kalifat. De même aujourd'hui, ce sont les souverains ou autres qui exercent cette charge; c'est selon les localités, les usages et les circonstances.

PRÊTRE. Tu me confirmes dans la persuasion qu'il n'y a rien de stable pour l'élection de l'iman; que cette dignité, censée spirituelle, est dévolue au plus fort, ou dépend des caprices du hasard. Les Alides, séparés, excommuniés, la revendiquent pour eux, comme étant les plus proches parents de Mahomet, et leur imameth est reconnu; leurs adversaires la retiennent de leur côté comme étant les plus forts, et leur imameth est reconnu. Où était la véritable autorité spirituelle? Aujourd'hui, où remonte votre imameth? Quel iman devraient reconnaître les membres des diverses sectes qui chercheraient la vérité? et quand ils l'auraient trouvé, qui leur garantirait la vérité de ses enseignements? Nul principe d'unité chez vous; il n'est pas étonnant que votre religion ait été mise en lambeaux ; c'est une hérésie dogmatique.

§ IV.

CADI. Est-ce que chez vous chacun peut s'adresser à une autorité infaillible pour s'assurer s'il est dans la vérité?

PRÊTRE. Chez nous, un enfant de sept ans pourrait te répondre ce qu'il croit, pourquoi il croit, et ainsi justifier sa foi.

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MUPHTI. Appelons ce petit chrétien qui tient la bride de ta mule à la porte. Ja aouled idji (ô petit, viens).

ROBERT (c'est le nom de l'enfant). La mule s'en irait. Il y a une troupe de Bédouins là-bas près du café; ils pourraient bien la voler, et puis mon babas n'aurait plus de mule.

MUPHTI. J'envoie mon noir pour la tenir, viens.
ROBERT. Me voici; que me voulez-vous?
MUPHTI. Veux-tu te faire musulman?

ROBERT. Vous le dites pour rire. Je suis chrétien, c'est assez bon.

MUPHTI. Connais-tu bien ta religion?
ROBERT. J'en sais un peu.

MUPHTI. Dis-moi ce que tu sais.

ROBERT. Je sais pourquoi Dieu m'a créé et mis au monde ; je sais que je dois aimer le bon Dieu, mon père et ma mère, et tout le monde; je sais que le péché est une chose bien vilaine, que ceux qui sont braves iront au ciel, et les méchants à l'enfer.

MUPHTI. Ceux qui sont méchants et Turcs, comme moi, par exemple, iront à l'enfer, est-ce vrai? ROBERT. On ne m'a pas enseigné cela; on m'a dit que séid Aïça aimait tout le monde, qu'il est mort pour tous, et que je dois prier pour tous, parce que nous sommes tous frères.

MUPHTI. Meleh (c'est bien).

ROBERT. Je sais bien d'autres choses; et les prières: Notre père, qui étes aux cieux, et Je crois en Dieu, et Un seul Dieu tu adoreras, etc.

MUPHTI. Bien, bien, je vois que tu es savant.

Mais, dis-moi, peut-être que tout ce que tu m'as dit, est faux.

ROBERT. Impossible.

MUPHTI. Qui t'a enseigné ces choses?

ROBERT. Mon père, ma mère et le babas. Je sais qu'ils ne me trompent pas; le petit livre qu'ils me font lire et apprendre par coeur a été composé par un grand muphti, plus grand encore que toi, qui commande peut-être à mille babas dans le pays où je suis né.

MUPHTI. D'où vous est venu ce grand muphti? qui vous l'a envoyé?

ROBERT. C'est un des successeurs des apôtres de séid Aïça. C'est le grand muphti, le grand iman de Rome qui l'a envoyé; il en envoie dans tous les pays. Le grand muphti de Rome est plus grand que tous: il est le successeur de Pierre, le premier des apôtres.

MUPHTI. Peut-être que le muphti de ton pays s'est trompé en composant ton petit livre.

ROBERT. Impossible; ou du moins s'il s'était trompé, il n'aurait pas tardé à corriger : il est au courant de ce que le grand iman de Rome enseigne, et celui-ci ne se trompe pas quand il fait tant que d'enseigner.

MUPHTI. Est-ce que le grand iman de Rome compose de sa tête ce qu'il enseigne?

ROBERT. Non, il a le livre de l'Ancien et du Nouveau Testament; il a de plus la sonna (tradition). MUPHTI. Mais peut-être ne comprend-il pas bien ces livres, et peut-être se trompe-t-il et trompe-t-il les autres en enseignant?

ROBERT. Impossible; Aïça a promis que le SaintEsprit, qui est descendu sur les apôtres, continuerait à éclairer leurs successeurs, et en particulier les successeurs de Pierre.

MUPHTI. Pourrais-tu me dire en quels termes séid Aïça a fait ces promesses?

ROBERT. Je ne sais si je pourrai bien me rappe ler tout... Oui... En donnant mission à ses apôtres, séid Aïça leur dit : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et voilà que je serai avec vous jusqu'à la fin des siècles. » Séid Aïça, par ces dernières paroles, promet aux apôtres d'être avec eux par son esprit jusqu'à la fin des siècles. Les siècles ne sont pas encore finis; qui sait combien il y en å encore!

Séid Aïça leur dit une autre fois : Celui qui vous écoute, m'écoute; celui qui vous méprise, me méprise. Je sais qu'en écoutant nos muphtis, et par suite nos babas, j'écoute séid Aïça; voilà pourquoi tu me trouves savant : c'est que je n'étudie et n'écouté pas le catéchisme comme une leçon ordinaire.

Séid Aïça dit à Pierre: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bátirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. En bâtis sant l'Église sur pierre, séid Aïça, afin de donner une idée de sa solidité, dit que, quand bien même les portes de l'enfer s'ouvriraient, et que tous les diables et les méchants en sortiraient pour ébranler cet édifice, ils ne le pourraient pas, le fondement étant inébranlable. Pauvre Pierre! s'il était seul, il aurait beau faire, il ne pourrait pas résister.

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