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DIALOGUE XV.

ENTRE LE PRÊTRE, LE CADI ET LE MUPHTI.

SUJET Quel titre peut être accordé à Mahomet? - Trouvet-on quelque chose en lui qui annonce le prophète ? Principales causes de ses succès. --Le prêtre donne la Bible au muphti et au cadi; ceux-ci lui donnent le Koran. Adieux des interlocuteurs.

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MUPHTI. Je ne pourrai jamais me résoudre à discontinuer d'appeler séid Mahomet prophète de

Dieu.

PRÊTRE. Libre au muphti de continuer à donner un nom qui n'a aucun titre, aucun fondement. En cela il agira comme le vulgaire.

CADI. Moi, j'ai toujours évité d'être impie et ridicule; je cherche à être juste. Et je crois que séid Mahomet m'enseigne lui-même à classer son nom. Interrogé sur le nombre des prophètes, il répondit qu'il y en avait cent vingt-quatre mille, dont les uns sont proprement dits prophètes (ennebi), comme Abraham, Moïse, etc, etc.; les autres sont simples envoyés (arçoul), comme Doulkornein (1) et autres, dont nous parle le Koran. Dieu s'est servi de ceux-ci comme d'instruments, pour

(1) Possesseur de deux cornes ou extrémités. C'est ainsi qu'on désigne Alexandre le Grand, pour dire qu'il avait conquis l'Orient et l'Occident.

opérer de grandes choses; mais ils ne sont pas prophètes c'est parmi les arçoul que je range

Mahomet.

MUPHTI. Mais le vulgaire confond ce nom avec celui de prophète.

CADI. Que m'importe le vulgaire? Arçoul est un nom commun à tous les grands conquérants, comme Doulkornein, etc., etc.

PRÊTRE. C'est le nom qu'on peut donner même à ceux qui ont été le fléau du genre humain; ils sont considérés comme une verge de fer dont Dieu s'est servi pour châtier les peuples. Ces immenses ruines que nous voyons devant nous, me rappellent un trait qui vient à l'appui de ce que nous disons. Ce sont, comme vous le savez, les débris d'une ville fameuse. Deux cents ans avant que Hassan, lieutenant du kalife Abd-el-Melic, y eût passé le niveau, Carthage avait reçu une rude secousse de la part d'autres conquérants. Genséric, leur général, se regardait aussi comme un instrument de Dieu pour châtier. Un jour il lui prit envie de s'absenter de Carthage et de passer en Europe. Comme, au sortir de ce golfe, le pilote lui demandait vers quel point il devait diriger le navire: «Vers le point où Dieu nous conduira pour punir des désordres, » telle fut la réponse de Genseric. Arçoul, envoyé comme instrument de Dieu, va donc bien à Mahomet, d'autant mieux que Mahomet a fait quelque bien.

CADI. Il paraît que dans le principe Mahomet n'aspirait qu'à la dignité de souverain, sans prétendre à celle de prophète. Un jour, sé rendant en

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caravane de la Mecque à Jérusalem, il s'arrêta avec son oncle dans un couvent de religieux, dans le voisinage de Bosra, où l'on donnait des rafraîchissements aux voyageurs; le supérieur du couvent, nommé Bahira, frappé de l'extérieur et de l'air de dignité du jeune Mahomet, lui prédit qu'il serait un jour chef des Arabes, et lui demanda d'avance la protection pour les religieux de son couvent. Mahomet lui donna dès le moment un décret par lequel il promit protection aux religieux. Bahira avait prévu que Mahomet serait roi, non prophète; Mahomet répond dans l'espoir d'être roi, non prophète; car il ne pouvait pas savoir que l'ange Gabriel lui parlerait plus tard.

MUPHTI. Oui, et pour rendre ce décret authentique, Mahomet trempa dans l'encre le bout des cinq doigts de sa main droite, et les appliqua sur le papier ou parchemin. On m'a assuré avoir vu l'original ou la copie de cette pièce à Bagdad (1).

PRÊTRE, Tous les antécédents de Mahomet sont ceux d'un homme qui pourra jouer un certain rôle, mais nullement ceux d'un prophète. Il passe les années de son adolescence à faire la chasse avec son oncle aux lións et aux tigres, s'exerçant ainsi à la fatigue et au maniement des armes; puis

(1) Un des employés du consulat de France à Tanger a assuré qu'une pièce semblable se trouve dans un couvent de religieux grecs en Orient.

Selim 1er acheta la pièce supposée authentique de Mahomet, qu'il paya quatre cents écus d'or, et laissa aux religieux de Bosra un décret signé de sa main, en vertu duquel ils seraient exempts de tout tribut.

il entre dans le commerce, parcourant, avec les caravanes, l'Arabie, l'Égypte, la Syrie, l'Arménie et la Perse: il apprend ainsi à connaître le fort et le faible des peuples qu'il doit chercher à dominer un jour.

Les apôtres et les prophètes de Dieu ont toujours été pauvres ou ont foulé aux pieds leurs richesses, ne voulant d'autres armes, dans l'exercice de leur mission, que la pauvreté, l'humilité, la charité. Mahomet, avant de se déclarer prophète, a attendu d'être parvenu à une fortune considérable, que lui a donnée sa première femme Kadidja.

MUPHTI. Je ne puis cependant guère comprendre que Mahomet eût pu dire tout ce qu'il a dit, s'il n'eût été inspiré.

PRÊTRE. Moi, je ne puis comprendre que Mahomet eût fait ce qu'il a fait, eût dit tout ce qu'il a dit, s'il eût été inspiré de Dieu. Dieu avant tout commande le bon exemple à ses ministres, Dieu ne se contredit pas dans ses enseignements, Dieu enseigne des choses dignes de lui. Le Koran serait moins incohérent s'il venait de Dieu.

§ II.

MUPHTI. Pourquoi donc Mahomet a-t-il voulu se faire passer pour prophète, s'il ne l'était pas ?

PRÊTRE. C'est comme si le muphti demandait : Pourquoi Mahomet, voulant régner sur les peuples et passer pour un personnage extraordinaire, a-t-il voulu en prendre les moyens? Mahomet a vu qu'il ne pourrait jamais dominer les peuplades de l'Arabie, peuplades indépendantes et divisées par

tant de religions, s'il ne les amenait à l'unité de croyance. Quels moyens prendre? Il s'instruit tant bien que mal de la religion des chrétiens et de celle des juifs, et sort de la grotte du mont Hira, se disant prophète inspiré par l'ange Gabriel. Le prophète va aider au conquérant, et le conquérant aidera au prophète.

Mahomet parle au nom de Gabriel : on lui rit au nez. Mais Kadidja lui gagne son domestique Zeïd, Warraca, ami de la maison; et le jeune et bouillant Ali, que Mahomet chérissait comme son fils, se déclare prêt à arracher les yeux, à briser les dents, à fendre la poitrine aux ennemis du prophète. Enfin un parti se forme; et qui ne peut parvenir à former un parti? Quand Mahomet croit que le moment est venu, il prend les armes et ne les quitte plus; insensiblement les habitants de la Mecque se rendent; la fameuse tribu des Corachites est soumise; les peuples des environs, effrayés par les armes plutôt qu'attirés par la nouvelle doctrine, viennent se ranger sous le Croissant. Ainsi s'établissent l'empire et la religion de Mahomet.

CADI. Le babas n'assigne pas la véritable cause des progrès des armes et de la religion de Mahomet. Ce sont les deux puissants mobiles qu'il trouvait dans sa religion, pour enflammer l'ardeur de ses guerriers; au nom de la religion, il leur promettait le pillage sur les peuples vaincus, leur abandonnant le butin, dont il ne se réservait que la cinquième partie.

PRÊTRE. Oui, cela m'explique les succès qui ont couronné les armes de Mahomet et des kalifes; et

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