Images de page
PDF
ePub

t'arrête ne sera pas une difficulté pour nos marabouts. Le marabout chrétien fait son devoir, et se met peu en peine du dire des gens. D'ailleurs les chrétiens sont trop raisonnables pour trouver quelque chose de blâmable dans une telle visite. MUPHTI. Eh bien, exprime mon désir à un de tes marabouts.

SOEUR. Dans un instant, s'il paît à Dieu. Reste en paix.

MUPHTI. Que la paix t'accompagne.

DIALOGUE II.

ENTRE LE CADI ET LE MUPHTI (1).

SUJET Récapitulation du dialogue précédent. - Idée que le Koran donne de la femme. Ce que les musulmans pensent des chrétiens. Un mot sur le prêtre.

CADI. Salut, etc.

§ I.

MUPHTI. Salut, etc. Si tu étais arrivé un peu plus tôt, tu aurais trouvé ici une personne qui t'aurait intéressé par ses qualités et son langage. CADI. Quelle est donc cette personne? quel a été son langage?

MUPHTI. Tu auras entendu parler de ces toubibas (femmes-médecins) qui sont venues de France pour faire de bonnes œuvres dans ce pays?

CADI. On en parle dans toute la ville, chez les grands comme chez les petits. Il paraît que ces femmes font des choses admirables. Quel dommage qu'elles ne soient pas musulmanes!

(1) Les oulémas (lettrés) se divisent en trois spécialités : celle des oulémas-imans, qui font le service du culte, dont le chef est le muphti; celle des oulémas-naïbs ou kadis, qui exercent la judicature; celle des oulémas-mouderris, qui sont chargés du professorat, Chacune de ces spécialités a ses divisions et ses degrés.

MUPHTI. Ta pensée a été ma pensée. Mais ces personnes recevront leur récompense de tant de bienfaits.

CADI. Dieu est clément et miséricordieux.
MUPHTI. Dieu est juste.

CADI. Ces femmes ne sont pas mariées, m'at-on dit; peut-être n'ont-elles pas trouvé à s'établir dans leur pays.

MUPHTI. Ton doute a d'abord été le mien. C'est par là qu'a commencé la conversation avec celle qui vient de sortir d'ici. Je lui ai offert de l'argent pour qu'elle pût prendre un mari, c'est alors qu'elle m'a étonné par sa réponse.

CADI. Quelle a donc été sa réponse?

MUPHTI. Qu'elle, ainsi que ses compagnes, aurait bien pu se marier, mais qu'elle avait mieux aimé donner son coeur à Dieu que de le partager entre une créature et le Créateur; qu'elle avait mieux aimé consacrer sa vie au soin des pauvres, lesquels elle regarde comme ses frères et les amis de Dieu, que de borner ses soins à une seule maison, ne laissant pas toutefois d'être pleine d'estime pour les bonnes mères de famille; enfin qu'elle avait voulu sacrifier tous les plaisirs de la terre pour aller plus sûrement au ciel.

CADI. Quelle différence entre ces femmes et les nôtres!

MUPHTI. Ta réflexion a été ma réflexion. Je l'ai manifestée à la toubiba, et c'est alors que je me suis attiré un reproche tel que je n'en avais jamais entendu.

CADI. Un reproche! une femme, une roumia

(chrétienne) faire des reproches à un muphti!

MUPHTI. Son langage, pour être franc, n'a pas cessé d'être respectueux. Comme j'établissais le parallèle entre elle et nos femmes, elle m'a répondu que chez nous la femme est ce que nous la faisons.

CADI. Que veut-elle dire?

MUPHTI. Elle nous reproche par là que nous ne cultivons ni le cœur ni l'esprit de la femme, que nous la tenons dans une crainte continuelle, comme nos esclaves.

CADI. Bien nous en vaut d'agir ainsi. Où en serions-nous si nous donnions un peu de liberté à ces têtes légères!

MUPHTI. Je voulais faire la même réflexion à la toubiba; mais elle m'avait déjà donné à entendre que nos femmes ne sont si légères que parce qu'elles ont la tête vide de pensées et le cœur pauvre de sentiments, par défaut d'éducation et par suite de la crainte servile dans laquelle elles vivent habituellement.

CADI. Dieu veut que nos femmes soient ainsi; que la toubiba en pense, en dise ce qu'elle voudra, pourvu qu'elle ne se permette pas de critiquer les hommes parmi nous.

MUPHTI. C'est justement sur nous qu'elle jette la faute, si nos femmes sont ce qu'elles sont, et c'est sur nous qu'elle en fait retomber les conséquences, en disant que nous sommes ce que les femmes nous font.

CADI. Cette toubiba, malgré toutes ses qualités, me paraît un peu chitana (diablesse); d'un

côté, elle nous reproche de tenir nos femmes en esclavage, de l'autre, elle croit que nous prenons leçon de nos femmes; est-ce que chez les chrétiens les femmes instruisent les hommes?

MUPHTI. La toubiba veut dire que la femme étant chargée de l'éducation des enfants pendant les premières années de leur vie, ne peut leur enseigner ce qu'elle ne sait pas, ni inspirer à leur cœur les sentiments qu'elle n'a pas; que la meilleure école est cependant celle du berceau. CADI. Répète, je te prie.

MUPHTI. La toubiba veut dire, etc.

CADI. Je croyais dire des paroles précieuses comme l'argent, j'oubliais que le silence est d'or (1). Que Dieu me le pardonne! Le proverbe nous dit en effet : « Enseigner l'enfant, c'est graver sur la pierre; enseigner l'homme, c'est écrire sur l'eau : »

التعليم فى الصغير كالنقش على الحجر و التعليم في الكبير كالنقش على الماء

Oui, l'absence de culture morale dans leur bas âge doit influer sur la vie de nos enfants.

MUPHTI. La toubiba a ajouté que chez les chrétiens, au contraire, la femme est l'âme de la famille; que c'est elle qui forme le cœur des enfants pendant que le mari vaque aux affaires; qu'elle est pour celui-ci un ange de paix et de consolation.

CADI. En effet, dans le peu de familles chrétiennes que je connais, la femme me paraît faire le bonheur de la maison. Madame N. de Baris (2),

:

(1) Proverbe La parole est d'argent, le silence est d'or. (2) Paris. Les Arabes prononcent le p comme le b.

« PrécédentContinuer »