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ces succès ne doivent plus étonner. Si un roi d'Europe donnait ainsi carte blanche à ses troupes, avant longtemps il serait fait bon marché des mu sulmans. Un régiment de zéphyrs (1) suffirait pour semer la terreur dans toute l'Afrique.

CADI. On dit que ces zéphyrs sont comme une légion de chitans ; mais ils ne valent pas les soldats de Mahomet. Je doute que vos généraux sachent faire usage d'un autre moyen qu'employait notre Arçoul: c'est aussi la religion qui le lui fournissait. L'idée en est renfermée dans ces versets du Koran, qu'il disait lui être inspirés: Ne croyez pas que ceux qui ont succombé en combattant dans le sentier de Dieu, soient morts; ils vivent près de Dieu, qui leur distribue une nourriture délicieuse. Remplis de joie à cause des bontés dont Dieu les comble, ils contemplent avec plaisir ceux qui marchent sur leurs traces (Sourate Imram, v. 163, 164).

A ceux qui combattent avec le prophète, Dieu a préparé des jardins arrosés de courants d'eau. Ils demeureront éternellement; c'est un bonheur immense (Sourate l'Immunité, v. 89, 90).

y

Dis-leur: Qu'attendez vous? l'une des deux conquetes vous est assurée (Ibid.,52). La terre ou le ciel.

PRÊTRE. Cette double promesse fait bien comprendre la bravoure des troupes de Mahomet et des kalifes. Mais nos généraux ne peuvent employer de tels mobiles pour exciter l'ardeur des

(1) Nom qu'ont pris les soldats des bataillons d'Afrique composés d'hommes qui complètent leur temps de service après être sortis des travaux de discipline.

soldats. Ils ne permettent le pillage qu'autant qu'il est imposé par les circonstances; hors ces circonstances impérieuses, le pillage est un vol, et le yol déplaît à Dieu. Nos généraux se garderaient bien de promettre des ruisseaux d'eau dans le ciel; les zéphyrs leur répondraient qu'ils préfèrent quelques bouteilles de vin sur la terre; nos soldats savent qu'il n'y a ni eau ni vin dans le ciel. Il fallait toute l'ignorance des peuples que commandait Mahomet, il fallait toute la mauvaise foi du chef, pour concilier la permission du pillage avec la promesse d'un bonheur quelconque dans le paradis ; et cela dans des guerres injustes!

Voilà encore le mensonge et l'impiété sanctionnés au nom de la religion.

MUPHTI. Je me rappelle un passage de la Sonna qui donne une idée de l'enthousiasme que de telles promesses devaient faire naître dans le cœur des musulmans. Il y est dit qu'une fois qu'on a quitté ce monde on ne désire plus y revenir, à moins qu'on ne soit mort en bataille. Alors on désire venir combattre, pour jouir de nouveau du plaisir qu'on trouve à succomber les armes à la main, et acquérir des titres à de plus grandes jouis

sances.

PRÊTRE. Tout ceci m'explique de plus en plus les succès de la cause de Mahomet. Je puis bien vous assurer, Messieurs, que si les soldats chrétiens mouraient après d'injustes pillages exercés sur les vaincus, ils ne désireraient revenir sur la terre que pour avoir le temps d'expier leurs injustices. Mais, grâce à Dieu, les soldats chrétiens

ont les mains pures de rapines; si jamais ils se permettent des razzia, ce n'est pas pour jouir du butin, c'est pour donner une leçon aux ennemis. La guerre est une dure nécessité: il faut la faire pour arriver à la paix, jamais pour le plaisir de piller ou d'exterminer. Dieu déteste les brigandages.

CADI. Je m'étonne qu'avec de telles maximes vous ayez un soldat capable de faire peur à un liè

vre.

PRÊTRE. Les soldats chrétiens vous ont cependant prouvé qu'ils ne craignent pas de se battre, mais sans dépasser les bornes de la justice. Et moi je m'étonne à mon tour qu'avec vos maximes, et vu les circonstances où Mahomet et les kalifes ont fait la guerre, vous n'ayez pas poussé plus loin vos conquêtes. Car il faut en convenir, les circonstances vous ont été favorables. Si vous avez lu l'histoire, vous devez savoir que le grand empire romain venait de se dissoudre; les divers États qui s'étaient formés de ses débris, étaient peu consolidés. Les Arabes, arrivant avec l'impétuosité d'un fleuve qui a rompu ses digues, entraînaient tout sur leur passage. Leur conquête est l'envahissement d'un fleuve en fureur, mais aveugle dans sa fureur. Il trace les limites qu'il ne peut garder; insensiblement sa violence s'épuise, il rentre dans son lit, et ne laisse que du sable sur son passage. Le propriétaire, qui s'était enfui avec ses troupeaux, ne tarde pas à rentrer sur son domaine; il écarte le sable, rend à la terre sa fécondité, et le passage du fleuve ne laisse plus de traces. Ainsi le musulman, parti des sables de l'Arabie, inonde

une partie de l'Asie, traverse l'Afrique; d'un bond se précipite sur l'Europe; mais au coeur de la France il se rencontre un roi, qui dit à l'Arabe: Arréte, tu n'iras pas plus loin; et, sous les coups de Charles Martel, tombe Abdarham, lieutenant d'Eschem, dixième Ommiade. Comme les eaux amorties du fleuve, les Arabes se replient sur l'Espagne; plus tard, de l'Espagne ils sont repoussés en Afrique; de l'autre côté de l'Europe, la Grèce leur a échappé; Constantinople ne conserve qu'une vie factice; en Afrique, les villes qui passaient pour imprenables, ont été prises d'assaut. Pour les Arabes, plus de tête, plus de bras. Du cœur ils n'en ont jamais eu: toute la force était dans la tête et les bras. Vous comprenez, Messieurs: les musulmans n'ont été forts que tant que leur fanatisme a duré, ç'a été une force de surexcitation. Dépourvus d'une loi pleine de vie, ils avaient cru établir pour barrière l'ignorance: c'est le sable que le fleuve a laissé sur son passage. Les autres États qui ont pour loi le livre qui éclaire, ont grandi, se sont fortifiés. Ils n'ont qu'à faire un pas sur la route qu'a parcourue l'Arabe, et, à proportion que la lumière s'avance, l'ignorance se dissipe. L'Européen écarte ainsi le sable et reprend son domaine. Le fanatisme, force conquérante, n'a plus d'aliment; l'ignorance, barrière conservatrice, se dissipe. Encore quelque temps, et l'Islam de séid Aïça doit régner en souverain sur la terre.

§ III.

MUPH TI. Louange à Dieu! telle est aussi notre croyance. Le règne de séid Aïça doit se rétablir

sur la terre d'après certains commentateurs, ce serait dans trente-six ans; d'après d'autres, dans quarante.

PRÊTRE. Le Koran renferme deux passages qui doivent vous frapper plus que ceux de vos commentateurs. Le premier de ces passages est celui-ci : Chaque peuple a 'son terme. Et certes si nous pouvions en douter, les ruines des grandes villes que nous foulons aux pieds, les restes des monuments de grandes puissances avec lesquels vous bâtissez vos maisons, seraient là pour dissiper nos doutes.

L'autre passage a déjà été cité: Celui-là seul peut appartenir à la famille des Écritures, qui croira avant sa mort au messie Aïça, et auquel Aïça rendra témoignage au jour de la résurrection.

Mahomet, qui savait que son règne n'avait pas de bases solides, vous a laissé ces passages pour avertissement. Oui, Messieurs, conquérants, docteurs, faux et vrais prophètes, tous passent; mais séid Aïça, verbe de Dieu, le sceau des prophètes, ne passe point. Heureux ceux auxquels il rendra témoignage au jour de la résurrection! Ce sont ceux qui auront cru en lui avant leur mort.

MUPHTI. Mais il y a tant de peuples qui ne connaissent pas séid Aïça; la plupart des musulmans n'en ont qu'une idée vague; nous-mêmes, nous n'en avions il y a quelques jours qu'une connaissance inexacte. Crois-tu que ceux-là soient damnés?

PRÊTRE. La mort! Ce mot, Messieurs, nous impose silence. Qui vous a dit qu'il n'y a pas l'ange du trépas, et qu'assis sur le cheyet du moribond,

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