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CADI. Si nous mangeons plus, nous buvons moins. A quoi vous amusez-vous?

MUPHTI. Que veux-tu! je rapporte l'entretien. Le marabout dit qu'en passant la nuit à autre chose qu'au repos, nous nous rendons incapables de bien traiter les affaires pendant le jour.

CADI. Si nous négligeons nos affaires, ce ne sont pas les chrétiens qui viennent nous les faire. Ce que nous ne pouvons faire pendant le ramadan, nous le renvoyons au mois suivant. Ces chrétiens ne savent pas que les musulmans sont plus patients qu'eux; chez nous, on préfère perdre une affaire que de déranger le cadi, tandis que chez eux le retard est accompagné de murmures et de menaces.

MUPHTI. Le marabout trouve que les nuits de notre ramadan sont des nuits de désordres.

CADI. Les nuits du mois sacré sont des nuits de désordres. Hélas! ceci n'est que trop vrai pour un grand nombre! Je crains que de tels désordres ne nous attirent les châtiments de Sodome et de Gomorrhe. Ce maudit caracous (1), par exemple, est une école publique d'obscénités.

§ II.

MUPHTI. Le marabout ne croit pas que ce soit un péché pour nous de boire du vin; à ce sujet, il m'a cité le verset du Koran qui nous promet

(1) Caracous, mot turc. On nomme ainsi une espèce de lanterne magique qu'on représente pendant les nuits du ramadan. Rien de plus immoral.

du vin exquis dans le paradis, du vin qui ne donne pas d'étourdissements. Si le vin était une chose mauvaise auprès de Dieu, dit le marabout, il ne serait pas plus permis dans le ciel que sur la terre. Dans le ciel, il ne donne pas d'étourdissements; pour qu'il n'en donne pas sur la terre, il n'en faut boire qu'avec modération.

CADI. Qu'as-tu répondu?

MUPHTI. Rien; qu'aurais-tu répondu, toi?
CADI. J'aurais répondu... Continue.

MUPHTI. Le babas, tout en avouant que la chair de porc est très-malsaine, très-indigeste, ne convient pas qu'elle soit interdite aux musulmans; il dit que si, dans le temps, sid Mahomet, que la prière de Dieu soit sur lui! a défendu cette viande, il a levé plus tard la défense par ce verset du Koran Aujourd'hui j'ai complété votre religion... aujourd'hui on vous a permis tout ce qui est bon; la nourriture de ceux qui ont reçu les Écritures est licite pour vous, la voire l'est également pour

eux.....

:

اليوم ..

CADI. Qu'as-tu répondu à cela?

MUPHTI. J'ai répondu que je réfléchirais. Je me réservais de te voir avant de donner une réponse catégorique; que répondrais-tu, toi?

CADI. Je réfléchis.... la question est grave; c'est lors du cinquième pèlerinage à la Mecque, au moment où notre religion a reçu son perfectionnement, que le prophète a entendu et promulgué ce verset; nous ne pouvons aller contre, mais il ne faut jamais répondre au marabout, ni à qui que ce soit Je n'en sais rien. Le musulman ne peut

s'avouer ignorant devant un Roumi (Européen). Il ne faut pas non plus protester contre l'évidence; le défaut de franchise nous ferait plus déshonneur auprès des hommes, et serait plus condamnable auprès de Dieu que l'ignorance. Le livre Amoul-elfouka nous fournit le moyen de nous en tirer avec honneur.

MUPHTI. C'est heureux! Que la gloire du prophète reste intègre aux yeux de tous les fils d'Adam!

CADI. Dans ce livre on distingue ce qui est de précepte, ce qui est de conseil, ce qui est défendu, ce qui est immonde et ce qui est indiffé

rent.

Ce qui est commandé par la nature, comme adorer Dieu, honorer ses parents, est de précepte de tous les temps.

Ce qui est contre la nature est toujours mauvais, toujours défendu; comme blasphémer le nom de Dieu, déshonorer ses parents.

Ce qui est de conseil peut devenir de précepte par circonstance; ce qui hier était de conseil peut devenir de précepte aujourd'hui, et être demain de conseil. Ainsi Moïse avait défendu l'usage du vin. Sid Mahomet, que la prière de Dieu soit sur lui! par le verset 216 de la Vache: Le vin offre plus de mal que d'avantages, a donné le conseil de ne pas en boire; mais il n'y a pas de défense.

Ce qui est immonde peut devenir objet d'une défense, à cause de quelque circonstance de temps ou de lieu; ainsi, la chair de porc a été

défendue par Moïse, et permise par Jésus. Elle a été prohibée par sid Mahomet, qui a levé cette défense au moment où il a parfait la religion. La chair de porc reste immonde; mais elle n'est pas défendue en mange qui veut, la laisse qui n'en veut pas. De même que le chameau est immonde pour les chrétiens, il ne l'est pas pour nous. Le chat est immonde pour la plupart des hommes, il ne l'est pas pour les Persans, qui en mangent. Tout cela dépend des opinions et des usages.

MUPHTI. Tes paroles sont sages et d'une science élevée; je comprends de plus en plus l'avantage de nous entretenir sur la religion, même avec les chrétiens; nous les comprenons, ils nous comprennent; nous nous comprenons mieux nousmêmes. Jusqu'ici nous nous trouvons à peu près d'accord avec le marabout et les siens.

CADI. Nous serions toujours d'accord s'ils avaient la même franchise que nous, s'ils voulaient se défaire de cette grossière erreur d'adorer plusieurs dieux; mais tu verras, quand tu en seras venu à cette question : le marabout ne saura que répondre, et il persistera dans son égarement.

MUPHTI. Nous le saurons bientôt; je verrai le marabout, et ne manquerai pas d'aborder tout de suite la question.

CADI. Il me tarde de savoir le résultat; à demain. Reste en paix.

MUPHTI Va en paix.

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MUPHTI. Quand j'ai passé devant ton église, la porte était ouverte; j'ai observé plusieurs choses que je n'ai pas comprises; tu auras la bonté de m'en donner l'explication.

PRÊTRE. Très-volontiers; tu me feras toujours plaisir de me fournir l'occasion de conférer avec toi sur des choses qui intéressent la gloire de Dieu; j'aime les hommes graves et sérieux. Qu'as-tu donc remarqué?

MUPHTI. J'ai vu des chrétiens, se portant la main au front, sur les épaules et sur la poitrine; que signifient ces signes?

PRÊTRE. Ces chrétiens disaient apparemment la fathha au commencement de leur prière.

MUPHTI. Mais la fathha se dit ainsi : « Au nom de Dieu, clément et miséricordieux; louange à Dieu, maître de l'univers, le Clément, le Mi

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