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les juifs n'ont pas

Vous, voulez-vous dire que tué le verbe de Dieu ? vous dites vrai. Voulez-vous dire qu'ils n'ont pas tué l'humanité? vous avez tort. Nous, nous disons : séidna Aïça n'est pas mort comme parole de Dieu, et en cela nous croyons comme vous. Il a laissé la nature humaine sur la croix ; vous dites qu'il y a laissé un fantôme. Au lieu de fantôme, dites nature humaine, et vous croirez comme nous, et vous serez plus d'accord avec les Écritures. L'Évangile est exprès là-dessus, et le Koran, si vous l'interprétez conformément à la vérité, ne peut contredire l'Évangile.

MUPHTI. L'Evangile est le livre de la lumière. PRÊTRE. L'Évangile dit que, moins de quarante heures après la mort de séidna Aïça, le verbe res prit la nature humaine, et que quelques jours après, séidna Aïça s'éleva plein de vie dans le ciel, d'où il reviendra pour rendre témoignage aux bons et contre les méchants.

MUPHTI. séid Aïça s'est élevé en vie dans le ciel... Il reviendra sur la terre... Nous croyons la même chose. Pour croire comme vous, pour mettre le Koran d'accord avec l'Évangile, nous devrions donc seulement dire que ce que nous appelons fantôme, c'est la nature humaine? la différence n'est pas grande.

PRÊTRE. Tu dois croire la mort de Jésus-Christ, comme la croient les chrétiens, si tu veux mettre le Koran d'accord avec l'Évangile, et j'ajoute, si tu veux mettre le Koran d'accord avec lui-même. MUPHTI. Est-ce que le Koran dit quelque part que séid Aïça soit mort?

PRÊTRE. Dieu dit de Jean : « La paix a été sur lui au jour de sa naissance, la paix sera sur lui au jour de sa mort et au jour de sa résurrection : »

و سلام عليه يوم ولد ويوم يموت ويوم يبعث حيا

Reconnais-tu ce verset?

MUPHTI. Naam (oui). Sourate Marie, v. 15. Mais le verset s'applique à Jean, fils de Zacharie, et non à Jésus, fils de Marie.

PRÊTRE. Dans la même sourate, v. 34, SéidnaAïça a dit : « La paix a été sur moi au jour où je naquis, la paix sera sur moi au jour où je mourrai et au jour où je ressusciterai: >>

ابعث حياً والسلام على يوم ولدت ويوم أموت ويوم

Reconnais-tu ce verset?

MUPHTI. Naam: celui-ci s'applique à Aïça. Que la paix soit avec lui!

PRÊTRE. Dans ce verset comme dans celui qui s'applique à Jean, il est dit : « La paix sera sur moi le jour de ma mort. »

MUPHTI. C'est la même chose.

PRÊTRE. Saint Jean est-il mort?

MUPHTI. Il est mort sur la terre, il vit dans le ciel.

PRÊTRE. Peut-être n'est-il pas mort et qu'un fantôme a été mis à sa place.

MUPHTI. Mais il est écrit de Jean: « La paix sera sur moi le jour de ma mort. » Si Jean n'était pas mort, ces paroles n'auraient pas de sens, et ce qui est écrit, est écrit.

PRÊTRE. Tu as raisonné juste ; Jésus a dit aussi :

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« La paix sera sur moi le jour de ma mort et le jour de ma résurrection. » Où serait la vérité de ces paroles, si Aïça n'était pas mort dans le sens dont nous avons parlé plus haut? Aïça est mort, rien de plus clair, et d'après le Koran et d'après l'Évangile.

MUPHTI. Ce passage a plus d'une fois jeté des doutes dans mon esprit. J'ai lu des commentaires, ils ne m'ont jamais satisfait.

PRÊTRE. Le meilleur des interprètes, c'est la clarté; le meilleur juge, la bonne foi, la franchise.

MUPHTI. Menget (cela est vrai); tu parles droit et juste.

PRÊTRE. On parle toujours droit et juste quand on prend pour kebla (1) du discours la vérité.

MUPHTI. Mais dis-moi pourquoi Aïça est mort; pourquoi s'est-il laissé tuer par les hommes, lui, parole de Dieu, la force de Dieu ?

PRÊTRE. Avant de passer à cette question, il est nécessaire d'en traiter d'autres. Il nous faudra voir ce qui s'est passé au paradis terrestre entre Adam, Eve et Eblis (2); alors tu comprendras ma réponse. Tout ce que je puis te dire pour le moment, c'est que Aïça n'est pas mort par faiblesse, mais bien par amour pour les fils d'Adam.

(1) Kebla, point vers lequel se tournent les musulmans dans leurs prières; c'est le point qui correspond à la Mec

que.

(2) Eblis, nom de l'ange rebelle, qui joue depuis sa révolte le rôle de tentateur. La chute de l'homme est rapportée dans le Koran à peu près comine dans la Bible.

MUPHTI. Je te comprends pour arriver à la cime d'un arbre, il faut commencer par avant de sucer l'orange, il faut

percer

le pied;

l'écorce.

PRÊTRE. Pour étudier avec avantage l'astronomie, il faut connaître les mathématiques.

§ IV.

MUPHTI. J'ai une autre explication à te demander; j'ai vu dans ton église une chose dont on m'avait déjà parlé, mais que j'avais peine à croire; la voyant de mes yeux, j'ai senti mon âme ren

versée.

PRÊTRE. Peut-il y avoir dans notre église quelque chose indigne de Dieu? Quel est donc ce prétendu désordre ?

MUPHTI. J'ai vu la croix; de tous côtés, des statues, des images, et le peuple prosterné vers ces objets pourquoi cet acte d'idolâtrie?

PRÊTRE. Quand je passe devant la mosquée, je lis sur le frontispice, sur la porte d'entrée, des versets du Koran, je vois le croissant, je vois le peuple prosterné vers une niche que vous appelez mihrab (1). Adorez-vous les versets du Koran? Adorez-vous le croissant? Adorez-vous le mihrab?

(1) Point correspondant à la Mecque. A Alger, dans la mosquée cédée au culte catholique, mais qui a presque entièrement disparu par la construction de la nouvelle cathédrale, le mihrab devint la niche de la statue de la sainte Vierge, et dans cette niche se trouvait un verset du Koran appliqué à Marie et traduit par M. l'abbé Bargès. Voir Journal asiatique, cahier de février 1841, p. 184.

MUPHTI. Non, mille fois non; nous nous servons des versets du Koran pour nous rappeler les maximes qu'ils renferment et élever ainsi notre âme vers Dieu. Le Croissant nous rappelle un miracle opéré en faveur de la mission de séid Mahomet. Nous nous prosternons devant le Mihrab afin de nous tourner vers la Mecque, objet de vénération; le prophète l'a ainsi prescrit.

PRÊTRE. Eh bien, l'usage que vous faites de ces signes est celui que nous faisons de nos images. Nous n'adorons pas les images, nous nous en servons pour mieux penser aux objets qu'elles représentent. Les images sont surtout le livre du peuple. Quand quelqu'un voit la croix, il se rappelle à l'instant la vie et la mort de Jésus-Christ, plus vite que toi et que moi, qui lisons l'Évangile.

MUPHTI. C'est ainsi?

PRÊTRE. Ni plus ni moins.

MUPHTI. Je t'assure que tu lèves un grand scandale à mes yeux. J'ai été souvent profondément peiné en entendant les juifs, les musulmans, tourner en dérision la religion de séid Aïça à cause de la croix et autres signes que vous étalez à nos yeux; moi, je souffrais, mais je me taisais. Maintenant, partout ou j'irai, je dirai que les chrétiens ne sont pas idolâtres (1).

(1) C'est littéralement la réponse qu'ont faites à l'auteur deux musulmans, l'un d'Alger, l'autre de Constantine, en 1846, dans un voyage à bord de la Joséphine. Le culte extérieur, loin d'imposer aux musulmans, ne fait que les confirmer dans l'idée que nous sommes idolâtres. Il est à regretter que, soit en Afrique, soit en Orient, on n'ait pas imité la loi du secret

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