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DE CARTHAGE.

DIALOGUE I.

ENTRE UNE SOEUR DE LA CHARITÉ ET UN MUPHTI.

SUJET: La sœur de la charité. Parallèle entre la femme

chrétienne et la musulmane.

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l'Évangile.

S I.

La sœur de la charité vient de soigner la femme du muphti; avant qu'elle sorte de chez lui, le muphti engage ainsi la conversation:

-Salut! Tu es venue soigner ma femme; que Dieu multiplie ses bénédictions sur toi et soit propice à l'âme de tes parents.

SOEUR. A toi salut, ia Sidi (ô Monsieur)! que Dieu exauce tes voeux et répande aussi ses abondantes bénédictions sur toi et sur les tiens.

MUPHTI. Comment trouves-tu ma femme aujourd'hui ?

SOEUR. Ta femme va bien. Le remède qu'elle a pris hier a bien opéré; encore quelques jours, et ta femme sera guérie, s'il plaît à Dieu.

MUPHTI. Louange à Dieu! Ma femme te devra la

vie. Que pourrais-je faire pour toi, en reconnaissance des services que tu nous rends?

SOEUR. Nous rendrons grâces à Dieu. Ce n'est pas moi qui aurai guéri ta femme; nous donnons les remèdes, et Dieu opère la guérison.

MUPHTI. Tout vient de Dieu, sans doute; rien ne se fait que ce qui est écrit. Mais tes soins n'en sont pas moins dignes de reconnaissance. Je voudrais trouver le moyen de te prouver que je ne suis pas ingrat. Ton père et ta mère vivent-ils encore? SOEUR. Par la grâce de Dieu, mon père et ma mère vivent encore.

MUPHTI. Comment as-tu pu te résoudre à t'éloigner d'eux? quitter ta patrie et tes parents, t'exposer aux dangers de la mer, pour venir vivre parmi des étrangers et soigner des plaies étrangères, c'est ce qui me remplit d'étonnement.

SOEUR. Je me suis imposé ces sacrifices pour mieux servir Dieu et être plus utile à mes semblables, et, quelques sacrifices que nous fassions pour Dieu, Dieu se trouve toujours plus généreux que nous.

MUPHTI. Dieu est plus généreux que les plus généreux; tu as raison. Mais qu'il me soit permis de te faire part d'une pensée qui m'est venue à ton sujet peut-être n'as-tu pas trouvé à te marier dans ton pays, faute d'argent? car, chez vous, c'est la femme qui doit apporter une dot dans la maison de son mari; chez nous, c'est le contraire. S'il en était ainsi, je te donnerais de l'argent pour que tu puisses te marier avec qui tu voudras.

SOEUR. Ja Sidi, si un Européen me tenait un tel langage, la rougeur me monterait au front, et ce serait toute ma réponse. Toi, tu es dans la bonne foi, tu parles par bonté, je ne suis pas offensée de ton langage. Mais sache que ta maison serait-elle convertie en or, les fleurs de ton jardin seraient-elles changées en diamants, me les offrirais-tu pour dot de mariage, je mépriserais ton or et tes brillants et resterais ce que je suis. Mon mariage est le plus beau des mariages.

MUPHTI. Tu es donc mariée ?

SOEUR. Oui, je le suis. Et auprès de mon époux pâlissent tous les autres époux ; le soleil et la lune admirent sa beauté; ma famille est innombrable, mon domaine est sans limites.

MUPHTI. Serais-tu la femme du grand sultan, ton langage est nécessairement hyperbolique.

SOEUR. Loin d'emprunter l'hyperbole, mon langage est simple et se trouve au-dessous de la vérité. Élève un moment ta pensée vers celui qui est beau; ouvre ton cœur aux sentiments qu'inspire le Généreux, le Clément, le Miséricordieux, et tu comprendras. Un jour je priais et demandais la sagesse.....

MUPHTI. « Dieu donne la sagesse à qui il veut, et quiconque a obtenu la sagesse a obtenu un bien immense; mais il n'y a que les hommes doués de sens qui y pensent: »

خيراً يشاء و من يُوتَ الحكمة فقد أوتى

يوتى الحكمة من. كثيرا و ما يذكر الا ولوا الالباب (272 .Sourate, la rache, v)

SOEUR. Je demandais la sagesse. Je pesai une à une dans mon esprit les choses d'ici-bas; tout me parut vide, illusion d'un jour. Mais Dieu!... Dieu me parut l'unique bien solide, il me parut aimable!... et je résolus de l'aimer sans réserve. Le soin de plaire à un époux, les affaires d'une maison auraient partagé les affections de mon cœur ; j'ai voulu le donner tout entier à Dieu, et Dieu est le meilleur des époux. Je promenai mes regards sur cette multitude d'enfants d'Adam, pauvres, souffrants, trop souvent délaissés, et cependant créatures de Dieu comme moi; leur état parla à mon cœur, et j'ai cru être agréable à Dieu en vouant mon existence au soin des pauvres et des malades. Je les appelle mes frères, ils m'appellent ma sœur ; je leur dis mes enfants, ils me répondent ma mère. Les affections de famille ont leur douceur sans doute; mais soulager celui qui souffre, donner du pain à celui qui a faim, vêtir celui qui est nu, essuyer les larmes de celui qui pleure, a des charmes aussi pour ceux qui le comprennent.

Un époux aurait pu m'entourer de plaisirs et de richesses, faire de moi son orgueil, faire de lui le mien; mais Dieu m'assure de plus douces. délices, des richesses plus précieuses, la paix, le paradis; et la paix est la première des jouissances, le paradis le plus beau des patrimoines.

MUPHTI. Le paradis est le plus beau des royaumes. On dirait que tu as voulu prendre pour règle de conduite ce verset du Koran : Tout ce que vous avez donné aux pauvres, non par un

motif humain, mais en vue de l'autre vie, dans le désir de contempler la face de Dieu, vous sera payé :

من خير فلانفسكم و ما تنفقوا الا ابتغاء وجه و ما تنفقوا . الله يوف اليكم

(Sourate, la Vache, v. 274.)

Tu as seulement eu tort d'aller plus loin que le verset. Un époux ne t'empêcherait pas d'aller au ciel. Le ciel est promis à toutes les conditions, à tout le monde.

SOEUR. Le ciel est promis à tout le monde, cela est vrai; mais il est facile de s'endormir dans le chemin qui y conduit ou de prendre celui qui en détourne. Le pèlerin sage se débarrasse des lourds fardeaux, se contente des provisions nécessaires. Dans le court pèlerinage de cette vallée de larmes, je regarde comme un bon marché que d'arriver d'un pas sûr à la patrie éternelle, au prix des plus grands sacrifices.

toi.

MUPATI. Par le prophète! la sagesse est avec

<< Celui qui entreprendra le pèlerinage, dit le Koran, doit s'abstenir du commerce des femmes. -La meilleure de ses provisions, c'est la piété, c'est la crainte de Dieu: >>

فان خير الزاد التقوى

.....

فمن فرض فيهن الحج فلارفت

(Sourate, la Vache, v. 193.)

Toi, dans le grand pèlerinage, dont celui de la Mecque n'est que la figure, tu évites le commerce des hommes; tu ne veux que la piété et la crainte de Dieu pour provisions et pour compagnes.

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