Images de page
PDF
ePub

PRÊTRE. Comment peut-on supposer les chrétiens capables de telles erreurs? On avoue que les chrétiens ont du compa's (1). Eh bien, ils l'ont pour les choses de religion comme pour les choses de la terre. Leur guide, c'est le livre de la lumière; parmi les chrétiens comme parmi les autres, il y en a qui ont le cœur malade, mais leur esprit est trop éclairé pour faire des actes d'idolâtrie.

MUPHTI. Que veux-tu! quand on ne connaît pas les choses, on croit facilement le mal d'autrui; de plus, les préjugés de l'enfance influent toujours sur nos idées le reste de la vie. Mais, grâce à Dieu, je suis détrompé d'une infinité de faux jugements. Je comprends maintenant que vous n'adorez pas trois dieux, mais un seul Dieu comme nous; que séid Aïça est le verbe de Dieu, non l'esprit ; que le verbe de Dieu n'est pas mort, que l'humanité seule est morte. Je comprends que séid Aïça vit dans le ciel, d'où il descendra un jour. Je comprends enfin que vous n'êtes pas adorateurs d'images, mais que vous faites de vos signes le même usage que nous faisons des nôtres. Je te remercie et te laisse en paix.

PRÊTRE. Va en paix.

des premiers siècles de l'Église à l'égard des païens: n'admettre aucun musulman aux églises, ne produire aucune croix, aucune image à ses yeux avant d'avoir levé le scandale qu'il y trouve. Cette réflexion pourra paraître paradoxale, téméraire à quelques-uns, mais pas à ceux qui ont observé de près les musulmans.

(1) Pour dire du jugement.

DIALOGUE VIII.

ENTRE LE MUPHTI ET LE CADI.

SUJET : Récapitulation du dialogue précédent.

CADI. Salut, etc.

MUPATI. Salut, etc.

§ I.

CADI. Aujourd'hui tu as, s'il plaît à Dieu, des choses intéressantes à m'apprendre. As-tu vu le marabout?

MUPHTI. Je l'ai vu, nous avons parlé fort au long sur les points qui nous scandalisent: la Trinité, la mort de séid Aïça et le culte des images. CADI. Raconte-moi donc tes questions et ses réponses.

MUPHTI. Mes questions ont été directes et claires; ses réponses m'ont appris qu'avant de juger il faut connaître.

CADI. Est-ce que cette fois-ci encore le marabout a jeté des doutes dans ton esprit?

MUPATI. Oui, et des doutes très-forts. Je te rapporte ce qui a été dit, et tu me feras tes réflexions.

CADI. En challah (s'il plaît à Dieu).

MUPHTI. A la question: Pourquoi les chrétiens

adorent trois dieux? le marabout m'a répondu que celui qui adorerait plus d'un Dieu, ne serait pas chrétien; que ce que nous appelons trois dieux chez eux, ne sont que les trois propriétés essentielles que nous reconnaissons nous-mêmes en Dieu, le Principe, le Verbe et l'Esprit ; qu'au lieu de dire: au nom du Principe, du Verbe et de l'Esprit, un seul Dieu, les chrétiens disent: au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu.

CADI. Ceci est nouveau. N'allons pas vite, laissemoi peser chacun de ces mots. Au lieu de Principe, dis-tu, les chrétiens disent Père... Quel rapport y a-t-il entre ces deux mots...?

MUPHTI. Ces deux mots renferment l'idée de cause, de fondement; par exemple, si quelqu'un disait le soleil est le principe de ses rayons, ou le père de ses rayons, il voudrait dire que le soleil est la cause, le centre de ses rayons.

CADI. C'est juste. C'est ainsi que séidna Mahomet, le salut de Dieu soit sur lui! au commenceque ment de la sourate Imran, nomme les principaux versets du Koran la mère du livre, pour dire le fondement du livre. Va donc pour le mot père, passons outre.

MUPHTI. Viennent les mots Verbe et Fils.

CADI. Je ne dirai pas comme le vulgaire : Dieu n'a pas de femme, pourquoi lui donner un fils? MUPHTI. Non, d'après le Koran même, les chrétiens te diraient la mère de Jésus a eu un fils sans avoir connu de mari.

CADI. D'ailleurs, il ne s'agit pas ici d'une chose charnelle, il s'agit d'une chose spirituelle : aussi

je me contente de te demander quelle relation il y a entre les mots: Verbe et Fils?

MUPHTI. Le marabout m'a donné une explication qui paraît juste. Il dit que, d'après le Koran même, en Dieu la parole naît du principe (1), comme en nous la pensée ou la parole vient de notre intelligence; et de même que nous pourrions appeler notre pensée ou notre parole la fille de notre intelligence, de même les chrétiens appellent le Verbe fils de Dieu.

CADI. Les chrétiens ne sont pas aussi absurdes que je croyais.

MUPHTI. J'ai fait en moi-même la même réflexion que toi.

CADI. Que vient-il ensuite?

MUPHTI. L'Esprit. Les chrétiens l'appellent aussi Esprit; ainsi, chez nous, Principe, Verbe, Esprit; chez les chrétiens, Père, Fils, Esprit;

c'est la même chose.

CADI. Cependant le Koran reproche expressément aux chrétiens d'adorer trois dieux : Ne dites pas trois dieux... car il n'y a qu'un dieu:

ولا تقولوا ثلثة... انها الله اله واحد 1 ,Sourate, les Femmes)

MUPHTI. Ce reproche, il me semble, ne peut pas plus s'adresser aux vrais chrétiens qu'il ne peut s'adresser aux vrais musulmans; comme nous venons de le voir, les chrétiens ne reconnaissent en Dieu, quoique sous des noms différents, que ce que reconnaissent les musulmans.

.(40 .Imran , v) بكلمة منه (1)

[ocr errors]

Les chrétiens, comme nous, n'adorent qu'un Dieu. Peut-être que du temps de séidna Mahomet, que la bénédiction de Dieu soit sur lui! il y avait quelques sectes de chrétiens qui adoraient trois propriétés de Dieu comme trois dieux, et que c'est à ces sectes que s'adresse le reproche.

CADI. Cela doit être, car le Koran (sourate, la Vache, v. 59) affirme que les chrétiens seront sauvés, pourvu que leur conduite soit conforme à leur croyance. Il suppose donc que les chrétiens, pris dans le vrai sens, ne sont pas polythéistes, qu'ils croient à l'unité de Dieu, le Koran disant ailleurs: Dieu ne pardonnera pas le crime de ceux qui lui associent d'autres divinités ; il pardonnera tout le reste à qui il voudra; quiconque lui associe d'autres dieux est sur une fausse route, qui l'égare bien loin.

ذلك لمن ما دون الله لا يغفر ان يشرك به ويغفر ان يشاء و من يشرك بالله فقد ضل ضلالاً بعيداً

(Sourate, les Femmes, v. 116.)

MUPHTI. Le Koran dit encore: Ceux qui croient, et les juifs, et les sabéens, et les chrétiens, en un mot, quiconque croit en Dieu et au jour dernier, et aura pratiqué la vertu, ceux-là seront exempts de toute crainte, et ne seront pas affligés:

من ان الذين امنوا والذين هادوا والصابون و النصارى امن بالله واليوم الآخر و عمل صالحاً فلا خوف عليهم ولا هم

(Sourate, la Table, v. 73.) js.

D'après ce passage encore, on voit que les chrétiens sont dans la voie du paradis; tandis que s'ils

« PrécédentContinuer »