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associaient d'autres divinités au Dieu unique, ils n'auraient à attendre que le châtiment de Dieu. CADI. Je me rappelle d'une manière confuse un passage d'Aboulfeda, où il est rapporté qu'un roi arabe, Almondhir, s'était fait chrétien; qu'il avait bâti plusieurs églises en Arabie; je me rappelle aussi avoir ouï dire dans mon enfance que les chrétiens de l'Arabie mêlaient l'idolâtrie à la religion d'Aïça. C'est apparemment à ces chrétiens que séidna Mahomet reproche d'associer des dieux au Dieu unique.

MUPHTI. Le reproche peut s'adresser aussi aux adorateurs des planètes el-Moschtari (Jupiter), elZoharah (Vénus), et el-Zohal (Saturne), à qui le temple de la Mecque était consacré. Il peut s'adresser aussi aux adorateurs des trois divinités Ellat, Alozza et Menat, que les Arabes adoraient comme filles de Dieu. (Koran, sourate, l'Étoile.)

CADI. Il faut avouer que les musulmans sont plus sévères à l'égard des chrétiens que ne le permettent l'histoire et le livre; mais ceux qui jugent contrairement à l'histoire, vont contre le bon sens; ceux qui jugent sans le livre, déplaisent à Dieu; puisque les chrétiens peuvent se sauver, ils n'adorent pas plusieurs dieux. Nous l'avons vu, les le chrétiens admettent, comme nous admettons, Principe, la Parole, l'Esprit, dans le Dieu unique: il n'y a rien à dire.

MUPHTI. Louange à Dieu! Le jugement du cadi est d'accord avec celui du muphti. Il me semblait bien que le babas avait raison, dans l'explication qu'il m'a donnée, mais je me méfiais de

mon jugement; je le savais si opposé à l'opinion générale!

CADI. Le muphti et le cadi doivent compter pour peu l'opinion du vulgaire ; elle n'a aucune valeur le peuple se contente de réciter les versets du Koran sans les peser, sans les comprendre. Quels sont les musulmans qui ont examiné cette question comme nous venons de le faire?

MUPHTI. C'est juste, et ceux même qui comprennent peut-être la question comme nous la comprenons, n'osent pas faire connaître leur opi

nion aux autres.

CADI. Ils s'en garderaient bien, ils seraient regardés comme suspects; ce ne serait pas non plus prudent à toi ni à moi de parler en public comme nous le faisons ici.

MUPHTI. Cependant les temps ont bien changé. CADI. C'est vrai; il faut pourtant encore de la prudence, à moins qu'on ne parle avec des personnes instruites, capables de comprendre. Quels sont les autres points que tu as traités avec le marabout?

§ II.

MUPHTI. Nous avons coutume d'appeler séid Moïse, Parole de Dieu; séid Aïça, Esprit de Dieu, et séidna Mahomet, que la prière de Dieu soit sur lui! serviteur de Dieu. Le marabout a relevé ce langage en me disant que séid Moïse est l'envoyé de Dieu, séid Aïça le Verbe de Dieu, que c'est le Verbe, et non l'Esprit de Dieu, qui a pris chair. Il m'a cité à ce sujet le verset du Koran où

l'ange annonce expressément à Marie le Verbe de

Dieu.

CADI. Cela ne souffre pas difficulté, le Koran est précis là-dessus. Le marabout aurait pu te citer un autre passage de notre livre plus formel encore. Le Messie, Aïça, fils de Marie, est l'apôtre de Dieu et son Verbe qu'il jeta dans Marie :

. و كلمته القاها الى مريم

....

المسيح عیسی ابن مریم

(Sourate, les Femmes, v. 169.)

MUPHTI. Le babas m'a encore cité à ce sujet un passage de l'Évangile: Au commencement était le Verbe, le Verbe était en Dieu... Et le Verbe s'est fait chair.

CADI. C'est la même chose. Et que t'a dit le babas touchant la mort de séid Aïça?

MUPHTI. Le marabout m'a donné une explication que je soumets à ton jugement. Répondant à ce verset du Koran : les Juifs disent : Nous avons mis à mort le Messie, fils de Marie; ils ne l'ont point tué, ils ne l'ont point crucifié, le babas a dit qu'en Aïça, Verbe de Dieu fait chair, le Verbe n'était pas mort; que les juifs avaient tort de dire qu'Aïça est mort tout entier, que la nature humaine seule était morte; mais que moins de quarante heures après, le Verbe avait ranimé la nature humaine, et qu'après quelques jours il s'était élevé triomphante dans le ciel.

CADI. Le marabout t'a dit que séid Aïça après sa mort s'est élevé dans le ciel?

MUPHTI. Il me l'a prouvé, le livre de la lumière à la main.

CADI. Ceci jette du jour sur la question et m'explique ce passage du Koran qui a toujours été une énigme pour moi: Dieu dit à séïd Aïça : C'est moi qui te ferai subir la mort. C'est moi qui t'élèverai à moi. C'est moi qui te soustrairai au pou voir des infidèles, et élèverai ceux qui suivront ta loi au-dessus de ceux qui ne croient pas :

انا متوفيك ورافعک الی و مظهرك اد قال الله یا عیسی الذين كفروا وجاعل الذين اتبعوك فوك الذين كفروا

من

(Sourate, Imran, v. 48.)

veut dire, je te ferai finir par la mort., je t'élèverai à moi, me semblait contredire le premier membre de la phrase, et de là la croyance du vulgaire, que séid Aïça n'est pas mort. La manière dont l'entendent les chrétiens concilie tout. Séid Aïça est mort, et puis Dieu l'a ressuscité et l'a appelé à lui, jusqu'au jour de la

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القيامة : resurrection

MUPHTI. Le marabout m'a cité en faveur de sa croyance cet autre verset du Koran, où Aïça dit: La paix a été sur moi le jour où je naquis, la paix sera sur moi le jour de ma mort et le jour de ma

résurrection.

CADI. Quoi de plus clair? La même chose a été dite de Jean; on n'a jamais mis de doute sur la mort de Jean, pourquoi en mettre sur la mort d'Aïça? Voilà encore la croyance des musulmans en désaccord avec le livre. Et une croyance qui n'est pas fondée sur le livre, est sans fondement.

MUPHTI. Comment a pu s'établir cette croyance en désaccord avec le livre?

CADI. Quelque docteur de la loi l'aura ainsi expliquée en haine contre les chrétiens; le peuple, la plupart des savants même sont comme les oies, ils se suivent les uns les autres sans examiner. Du reste, nous avons des commentateurs sincères, comme Elbéidaoni, Elkortoubi, qui n'ont pu expliquer ces passages sans avouer que séid Aïça était mort, mais pendant trois heures seulement. Les chrétiens et l'Evangile disent pendant quarante heures; un peu plus, un peu moins longtemps ne fait rien à la question. Les juifs disent que séid Aïça est mort; les chrétiens, qui avaient intérêt à le nier, disent qu'il est mort; le Koran le dit aussi pour ceux qui veulent comprendre; les grands commentateurs l'entendent ainsi, comment pourrions-nous en douter?

MUPHTI. Tu as raison; certainement tu n'en demandes pas davantage dans les jugements pour établir une preuve juridique.

CADI. Hélas, non!

MUPHTI. Je m'attendais à ce que le marabout m'apporterait en sa faveur une raison, laquelle, il semble, serait plus forte que les autres.

CADI. Quelle est cette raison?

MUPHTI. Pourquoi appelons-nous Jérusalem la ville sainte? parce qu'elle renferme le tombeau d'Aïça. Bien plus, de tout temps les musulmans ont fait payer un tribut aux chrétiens qui veulent entrer dans l'église du Saint-Sépulcre.

CADI. Voilà encore une preuve historique, une preuve permanente, dont le marabout aurait pu tirer grand parti. Si séid Aïça n'est pas mort, aurait

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