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› changement suffit pour atteindre au but. Ce n'est pas une petite chose ni une chose facile, mais › elle est possible (1). »

J'entends déjà se récrier la foule bruyante des railleurs, gens légers, frivoles, irréfléchis, qui s'arrêtent à la surface des choses, et ne considèrent que l'extérieur de la pensée; ils s'apprêtent à épuiser sur nous les traits de leur moquerie; mais la vérité dédaigne ces vains outrages: « Dussé-je » être comme submergé sous le ridicule, je vais parler: écoute-moi :

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Tant que les philosophes ne régneront pas, ou que » ceux qu'on nomme aujourd'hui rois et souverains » ne seront pas véritablement et sérieusement philosophes, tant que le pouvoir politique et la philosophie ne se trouveront point unies dans un homme, » il n'est point de remède aux maux des États, » aux maux du genre humain; jamais la Ré

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publique dont nous avons tracé le plan ne » pourra naître et voir la lumière du jour. Voilà ce » que depuis longtemps j'hésitais à dire, prévoyant » bien que je révolterais l'opinion (2).

Nous avons froissé par nos discours ceux qui portent sur toute chose un jugement superficiel, ceux qui se font une idée vague ou fausse de la philosophie, confondant sous le même nom la vraie science et les rêveries, le sophisme et la vérité. Expliquons ici quels sont les philosophes dont nous osons dire qu'ils doivent régner (3). »

(1) Plat.. p. 473, c, d. (2) Ibid., p. 474, a, b. (3) Ibid., c.

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S'il fallait désigner sous ce nom tous ceux qui se portent avec ardeur vers les sciences, insatiables de connaître et d'apprendre, il y aurait, j'imagine, un grand nombre de philosophes. Discernons donc le vrai sage de celui qui a l'apparence de la sagesse car entre l'homme qui sait contempler l'essence des choses, s'élever à la conception de ce qui doit être, et celui que borne l'étroit horizon des faits, il n'y a guère moins de distance qu'entre le rêve et la réalité : « Soit qu'on dorme ou qu'on » veille, prendre la ressemblance d'une chose pour » la chose même, c'est rêver (1). ›

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S'il n'était point de milieu entre la science qui aspire à l'être et l'ignorance qui se perd dans le néant, on ne verrait pas à côté de la saine philosophie une philosophie menteuse dont la parure empruntée fait illusion (2). Mais entre la vérité rigoureuse et l'erreur grossière se place souvent l'opinion probable, la conjecture, moins obscure que l'ignorance absolue, moins distincte et moins lumineuse que la science; image fidèle de ce monde qui nous entoure, et de la contradiction inhérente à toutes les choses finies.

Considérez, en effet, les créatures qui peuplent cet univers voyez le monde et les choses sensibles tel objet vous paraît grand ou petit, telle chose est à vos yeux juste et belle

mais

(1) Plat., p. 476, c, d. 1

(2) Ibid., p. 493, a, b, c ; p. 477, a, b.

ce que vous trouvez grand me semble petit, je trouve injuste et laid ce que vous trouvez juste et beau. Lequel de nous a raison? Tous les deux, sans doute; car, si l'on ne cherche au-dessus des données sensibles quelque principe immuable, tout jugement est relatif, toute opinion probable, toute affirmation conjecturale (1). Voyez l'homme lui-même, et vous le trouverez à toute heure en révolte contre lui-même. On vous dira qu'il garde son identité depuis le berceau jusqu'à la tombe : vaine parole que démentent les phases mobiles de l'existence. Ne le voyez-vous pas changer sans cesse, sans cesse mourir et renaître dans sa substance, dans sa chair, dans ses os, dans ses mœurs, ses idées, ses désirs, dans son corps comme dans son âme (2)? Que sert à l'âme d'être de la nature de ce qui est divin et impérissable? Enchaînée à la matière comme un vivant à un cadavre, le poids du corps l'entraîne vers ce qui est changeant et périssable. Elle a le vertige, elle chancelle et tombe (3).

Toute connaissance qui s'enferme dans ce domaine de l'observation sensible et de l'empirisme est mobile et contradictoire comme la source d'où elle émane (4). Celui qui s'y arrête « ne peut avec > certitude ni affirmer, ni nier, ni choisir entre les » deux, ni s'abstenir de l'un et de l'autre. » Il ne mérite pas le nom de philosophe, puisqu'il n'ap

(1) Plat., p. 523 et sqq.
(2) Ibid., p. 207, c, d, e.
(3) Ibid., p. 519, a, b, c.
(4) Ibid., p. 533, c, d, e.

plique son intelligence qu'à cette multitude confuse d'objets insaisissables «qui roulent pour ainsi

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» dire entre le néant et l'être (1), laissant flotter l'esprit entre l'évidence et l'erreur. Ceux-là seuls qui s'attachent à la contemplation des choses immuables et absolues sont dignes d'être appelés philosophes. Portant sans cesse leurs regards sur l'exemplaire éternel de la vérité, ils savent appliquer aux choses d'ici-bas les règles éternelles de la justice, qui réside dans une nature étrangère aux erreurs de l'humanité (2). S'ils aiment la science, c'est parce qu'elle leur révèle un être parfait, « inaccessible aux vicissi»tudes de la génération et de la corruption (3); ils aspirent à embrasser dans leur pensée « l'universalité des choses divines et humaines (4). ›

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Comment ne serait-il pas salutaire pour les hommes d'être guidés par la sagesse de celui qui vit dans le commerce de Dieu? Comment cet homme divin, «qui s'efforce d'imiter et de reproduire dans son âme l'ordre parfait de la nature céleste (5) serait-il un mauvais maître pour ses semblables, « s'il était chargé de faire passer cette › perfection dans les mœurs et le gouvernement > des hommes, au lieu de ne corriger que lui» même (6)? »

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(1) Plat, p. 484, b, c, d. (2) Ibid., p. 485, b, c.

(3) Ibid.

(4) Ibid., p. 486, a, b. (5) Ibid., p. 500, d, e. (6) Ibid., p. 501, a.

Pour que cette révolution devienne possible, pour que le règne de la philosophie soit salué de tous comme un bienfait, il faut faire comprendre aux citoyens qu'ils sont misérables, que leur pensée est obscurcie par l'erreur, et leur cœur humilié par les passions, tant qu'ils ignorent la vérité suprême (1). Platon s'attache donc à montrer comment les âmes frivoles ou dégradées s'éveillent de l'engourdissement où les a retenues l'empire des sens et des préjugés, l'influence de l'habitude et de la mauvaise éducation. Il nous donne le spectacle de la pensée humaine doucement conduite à secouer sa torpeur et volontairement amenée jusqu'au seuil de la philosophie (2). Il enseigne à ceux qui dédaignent la science, ou désespèrent de l'atteindre, que tout homme peut l'espérer et la doit souhaiter, que la solution du problème de la destinée humaine n'est point un luxe de l'intelligence, mais la première nécessité de la vie.

Il y a dans la société deux types de l'ignorance (3): ceux qui croient tout savoir et ceux qui désespèrent de rien apprendre.

Les premiers possèdent la demi-science pire que l'ignorance comme ils n'ont jamais regardé les choses en elles-mêmes, mais seulement les apparences des choses qu'ils prennent pour la réalité, leur esprit crédule les rend esclaves de l'opinion. Les seconds, enchaînés de bonne heure à des fonctions. grossières et assujettissantes, n'ont eu ni le loisir ni

(1) Plat., p. 492, a, b, c, d.

(2) Ibid., p. 533, c, d, e.

(3) Ibid., p. 519 et sqq.; p. 70 et sqq.

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