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Être dirigé par un maître sage et divin, guide infaillible qui habite au sein de la conscience, telle est pour l'homme la source du bonheur. Obéir à des chefs qui eux-mêmes écoutent intérieurement la voix de Dieu, voilà, pour l'État, la véritable félicité. Si nous avons travaillé à établir entre tous les hommes une entière conformité de mœurs et de croyances, un respect universel de la loi, si nous avons tenu les enfants dans une austère dépendance, ne souffrant pas qu'ils pussent disposer d'eux-mêmes avant d'avoir établi en eux un gouvernement stable et solide, c'était pour les conduire à cette paix de l'âme où le bonheur et la vertu se confondent (2).

Comment croire, qu'un Dieu, qui est toute sagesse et toute bonté, ait créé les hommes pour les vouer à la souffrance, en troublant leur âme par une éternelle anarchie, en mettant aux prises leur devoir et leur intérêt, comme deux forces ennemies, deux rivaux irréconciliables? N'estce pas par notre faute et notre ignorance que la vertu semble exclure le bonheur? Insensés que nous sommes, nous nous laissons séduire à l'appât décevant des biens périssables qui nous éloignent du bien suprême; et nos gouvernements corrompus nous encouragent dans une erreur qui nous flatte.

C'est pour prévenir ces désordres que nous avons proscrit de la République les artistes qui prennent le fantôme pour la réalité, et charment les esprits par de dangereuses fictions (2). Il ne

(1) Ibid., p. 590, a, b, c, d, e.

faut admirer que l'artiste suprême, Dieu, source éternelle de l'être, en qui nous contemplons la réalité immuable, au lieu de l'apparence fugitive des choses, la vérité souveraine et la justice infinie, au lieu de ces illusions menteuses dont nous avons été le jouet (1).

Ainsi Platon rejette avec dédain tout ce qui diffère de la perfection absolue. S'il ne confond pas dans une égale réprobation tous les gouvernements de la terre, s'il leur assigne des rangs et des degrés, il les efface tous devant leur céleste modèle, et, par cette exagération, il obscurcit la lumière que les hommes d'État et les sociétés devaient tirer des lois qu'il leur a assignées.

L'enseignement politique y perd quelque chose, si l'on regarde le présent: l'excuse de Platon est dans l'avenir.

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Il me semble, dit un de ses disciples, que si › chacun, docile à tes avis, fuit ce qui peut troubler » l'ordre qui règne dans son âme, tout le monde » refusera de se mêler des affaires publiques (2). › - Dans notre République, répond Socrate, les citoyens se chargeraient volontiers du gouver»nement; mais je doute qu'ils le fassent aussi vo» lontiers dans leur patrie, à moins de quelque miracle du ciel. -Je t'entends: tu parles de cet État dont nous avons tracé le plan, mais qui n'existe » que dans notre pensée, car je ne crois pas qu'il y » en ait un pareil sur la terre. Du moins, reprend

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(1) Platon, p. 595 et sqq.

(2) Ibid., p. 592. a. b.

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DÉCADENCE DES ÉTATS MATÉRIALISTES.

» Socrate, peut-être y en a-t-il un modèle en Dieu, » pour qui le veut contempler (1). »

Lorsque Platon semble injuste pour cette vie, c'est qu'il est préoccupé d'une vie meilleure(2): il a devant les yeux un but supérieur, qui doit couronner son œuvre, en consommant l'accord du bonheur et de la vertu.

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« SOCRATE.-Nous avons prouvé, que ni la re» nommée, ni la richesse, ni la puissance, ni la poésie, ne méritent qu'on néglige pour elles la justice. Nous n'avons pas encore parlé du plus » riche prix, de la plus haute récompense réservée » à la vertu.

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» En effet, comment trouver dans notre courte > existence quelque chose de véritablement grand? » Qu'est-ce que la durée qui s'étend de l'enfance à » la vieillesse, en comparaison de la durée infinie? » Et faut-il qu'un être immortel ait plus de souci » d'un temps si court que de l'éternité tout entière? » GLAUCON. — Non, sans doute. Mais où tend ce » discours?

» SOCRATE.Eh quoi? ne sais-tu pas que notre » âme est immortelle, et qu'elle ne périt jamais?... »

(1) Plat., p. 592, a, b. (2) Ibid., p. 608, d, e.

CHAPITRE X.

LA VIE FUTURE, SANCTION DES LOIS HUMAINES.

SOMMAIRE: De l'immortalité de l'âme, dernier terme et couronnement Nécessité de faire passer ce dogme dans la conscience

de la politique. publique.

Platon nous révèle ici le but suprême où tendait toute sa République : c'est l'adieu de la politique aux choses de la terre.

Dans le Phédon l'immortalité de l'âme est un dogme proposé à la conscience individuelle: Socrate va mourir dans sa prison: calme et souriant au moment de boire la ciguë, entouré de ses disciples qui l'écoutent en pleurant, il leur rappelle que la philosophie n'est qu'un apprentissage de la mort, et que le trépas, qui affranchit l'âme de sa prison, est le vrai commencement de la vie; il leur démontre, avec une éloquence noble et sereine, la nécessité d'un monde meilleur, où la destinée de l'homme, entravée par mille obstacles sur cette terre, s'accomplira librement dans l'éternité (1).

(1) Plat., p. 60 et sqq.

Dans la République, l'immortalité de l'âme est un dogme politique et national proposé par le législateur à la société tout entière, car l'individu ne saurait accomplir sa destinée s'il n'est citoyen d'un État gouverné par la sagesse.

Au reste, les arguments sont semblables de part et d'autre, bien que le but soit différent. Jusqu'à ce jour, le Phédon n'a point été dépassé (1) ; or, toutes les démonstrations contenues et développées dans le suprême entretien de Socrate avec ses disciples reviennent à cette preuve unique résumée dans la République :

Les changements de la matière n'atteignent point le principe immatériel.

Ceux qui regardent l'âme avec les yeux du corps, s'imaginent qu'elle est esclave des sens et des passions terrestres, qu'elle tient son être de la matière, et qu'elle est assujettie à ses lois; il faut la contempler avec les lumières de la raison, dans sa nature propre et dans sa dignité, dans ses nobles instincts, dans ses sublimes espérances, dans sa liaison naturelle avec ce qui est divin et impérissable. L'instinct de l'immortalité lui viendrait-il de son enveloppe mortelle, la connaissance et l'amour de la perfection, de ses organes imparfaits, l'unité qui est son essence, des éléments multiples et hétérogènes qui forment le corps?

(1) Mosès Mendelsolin n'a guère fait, comme il le reconnait lui-même dans la préface de son Phédon, « qu'accommoder les preuves métaphysiques de Platon au goût de notre siècle. » Peut-être même a-t-il affaibli les arguments les plus solides du Phédon antique, ceux que Platon tire de la réminiscence et de la théorie des idées.

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