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La fragilité du corps humain n'a rien qui doive surprendre: la matière étant divisible, la mort dissout cette agrégation mobile de molécules variables; mais l'âme, qui ne tombe point sous les sens, ne saurait être divisée en parties; les accidents d'une substance étrangère ne peuvent l'anéantir (1).

L'idée de mort et de néant est vraiment inintelligible pour la raison : dans la nature il y a transformation des substances, dissolution de leurs parties, jamais de destruction. Comment l'être le plus divin de la création, l'âme, que Dieu a rendue capable de l'aimer et de le connaître, serait-elle placée le plus bas dans l'échelle de la nature, exceptée seule de la loi qui régit toutes les créatures, seule périssable et vouée au néant? Tout en elle porte l'empreinte de l'Éternel qui, l'ayant faite à son image, l'attache à lui-même comme à son principe.

C'est dans cette croyance toute morale que Platon cherche la fin dernière, le couronnement de

(1) SOCRATE : -Reconnais-tu qu'il y a du bien et du mal; que le mal est ce qui altère et détruit les choses, le bien ce qui les conserve et les fait vivre ; que si quelque chose périt, c'est par le principe de destruction que contient sa nature; que pour un être que son propre mal corrompt sans pouvoir le dissoudre et l'anéantir, il n'y a pas de destruction possible,.... car un mal étranger ne saurait détruire une chose qui ne peut tuer le mal qui lui est propre ?

» L'injustice, le déréglement, la bassesse, l'ignorance, voilà la maladie essentielle de l'âme. Peut-on lui attribuer le trépas? Dira-t-on que l'iniquité, que les vices, qui s'attachent à l'âme, la minent insensiblement jusqu'à ce qu'elle meure et abandonne le corps.

» Quant aux maladies du corps, comment causeraient-elles la ruine de l'âme, puisqu'il n'est pas en leur pouvoir de la dépraver? Qui a jamais pensé que l'âme de celui qui meurt de la fièvre en devint plus injuste? Or, si la perversité de l'âme, si son propre mal ne peut la tuer, comment le mal d'une substance étrangère, comment la dissolution du corps entraînerait-elle la destruction de l'âme? » (Platon, p. 609, sqq.)

sa République idéale; et l'immortalité de l'âme est pour la première. fois proclamée le but de la vie sociale, en même temps que la règle des consciences particulières, la sanction de la politique aussi bien que de la morale.

Tel est ici le point véritable de la question: il ne suffit pas d'établir que dans la République, comme dans le Phédon (1), l'immortalité de l'âme est fondée sur des preuves solides et invincibles : il faut justifier l'application hardie que Platon fait de ce dogme à la vie publique, et détruire les raisonnements qui tendraient à ramener la politique vers le matérialisme en bornant la pensée du législateur aux intérêts de ce monde.

N'est-ce point ici-bas que l'existence de l'État s'accomplit, que sa destinée se réalise tout entière?

Comment Platon demande-t-il que la vie future soit le but des institutions sociales, s'il reconnaît lui-même que l'individu ne pourra compléter sa destinée qu'en dehors de cette société imparfaite et en présence de la Divinité? De son propre aveu, l'État n'est que la condition temporaire de la vie terrestre. La société ne sort donc pas du présent; son unique loi, son but suprême, c'est sa propre conservation :

« Salus populi suprema lex esto. »>

Un fait universel vient fortifier ce principe.

(1) On trouve le même rapport entre le Phédon et la République, lorsqu il s'agit de déterminer ce que sera la vie future les deux dialogues ont pour conclusion un système de punitions graduées et expiatoires, fondé sur le jugement dernier des âmes après la mort.

Considérez les lois humaines : elles s'arrêtent aux actes extérieurs de l'homme, n'atteignent que ce qui menace la sécurité de l'État, ne frappent que ce qui viole l'ordre social. Mille délits, plus coupables devant Dieu que ceux qui tombent sous le glaive de la loi, demeurent impunis: en un mot, le vrai théâtre de la vie morale, la conscience humaine échappe aux lois positives et à la sanction sociale.

C'est pourquoi le principe qu'on opposait tout à l'heure à Platon se montre à découvert dans les législations écrites, et dans la pénalité qui les accompagne. Vivre dans le présent, se défendre, se conserver, voilà toute la politique des sociétés.

Platon a répondu d'avance à cette objection, qui repose, d'une part, sur un principe qu'on défigure, et, de l'autre, sur un fait mal interprété.

Il est vrai que l'individu seul est immortel, que la société ne doit pas revivre hors de ce monde, que l'État n'est rien par lui-même, et qu'il emprunte sa réalité tout entière des membres qui le constituent; mais en conclure que la politique doive rester étrangère an dogme de l'immortalité de l'âme, ce serait une étrange erreur. Si la société n'est qu'une condition de la vie présente, un milieu nécessaire au développement actuel de l'individu, l'instrument de sa destinée en ce monde, c'est là précisément ce qui fait que l'État, n'ayant point un but propre, une destinée spéciale, doit épouser la destinée des individus qu'il renferme, seconder leur nature, embrasser leur intérêt, pour

suivre leur bien, en un mot, conduire les citoyens à leur fin.

Or, on a vu plus haut ce qu'il faut entendre par là.

Les matérialistes qui veulent maintenant enfermer la société dans le soin de sa conservation prétendaient alors lui donner pour principe unique les besoins matériels des hommes. Nous avons montré qu'il existe à côté de ces grossiers désirs, des désirs plus relevés, non moins impérieux, non moins légitimes, et que la société doit satisfaire aussi bien que les appétits matériels de l'homme instincts du cœur, qui sont le lien sacré de la famille et de la patrie; instincts de la conscience, qui dans ses joies, dans ses remords, réclame une sanction morale placée hors du caprice des passions humaines; instincts de la pensée, qui aspire à la perfection, poursuit ardemment la vérité, la beauté, la justice absolue, qu'elle ne trouve qu'en Dieu.

A ces nobles tendances de l'âme humaine correspondent autant de devoirs que l'homme isolé ne pourrait remplir.

C'est ce qui rend la société nécessaire, obligatoire, indissoluble, pour l'individu, puisque là seulement sa volonté, placée en présence de tous les devoirs qui constituent notre destinée, peut librement opter entre le bien et le mal, et revendiquer ce qui fait la grandeur de l'homme, la responsabilité de son choix.

De là les devoirs de la société non point envers elle-même, mais envers chaque citoyen.

Si l'individu a besoin de croire en Dieu, sans qui l'ordre, le bien, la morale, ne se peuvent concevoir, il faut que la société croie en Dieu. Couvrir du nom sacré de tolérance et de liberté des consciences le scepticisme avoué d'un gouvernement qui se proclamerait supérieur à toute croyance, c'est-à-dire athée et matérialiste, ce serait glorifier l'impiété.

Si l'homme a besoin de croire à l'immortalité de l'âme, si sa conscience et sa raison repoussent l'idée du néant, il faut que la société ait foi en ce principe, auquel est attaché le salut de tous ses membres; qu'elle agisse conformément à ce dogme, pour le rappeler à ceux qui l'oublient; qu'au lieu de traiter les citoyens comme des êtres périssables, voués à la destruction et au néant, elle songe, en les gouvernant, à leur destinée immortelle.

On nous dit que les lois humaines se bornent à protéger l'existence et la sécurité de l'État : on veut voir là comme une profession de matérialisme faite d'un concert unanime par toutes les sociétés établies; c'est méconnaître le vrai caractère du fait qu'on invoque.

Pourquoi les lois positives n'atteignent-elles que les actes extérieurs qui troublent la société ?

D'abord, parce que la justice humaine, ignorante et fautive, se sent impuissante à se substituer à la justice infaillible de Dieu. C'est l'intention qui constitue la faute or qui peut s'assurer de lire dans le cœur de ses semblables? Quel tribunal ne tremble en prononçant ses arrêts? Quel juge

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