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n'hésite avant de frapper? que d'exemples d'erreurs fatales commandent à la justice humaine la timidité, la circonspection, la défiance d'ellemême !

Dieu juge sans appel, parce qu'il sonde, comme dit l'Écriture, les reins et les cœurs. La société n'a le droit de justice que là où sa propre existence mise en péril ne permet pas d'attendre le jugement suprême.

Ce qui force encore l'État à restreindre, à limiter la sphère de sa juridiction, c'est le respect de la liberté humaine, qui serait violée dans la personne de chaque citoyen, si l'intention, qui fait la valeur morale des actes, était justiciable des tribunaux, si la pénalité pouvait atteindre les consciences.

Préventives ou restrictives, les lois humaines contrôlant chaque détermination de la volonté, scrutant jusqu'aux plus secrets replis de l'âme, enchaîneraient le libre arbitre par leur surveillance continuelle et leur action immédiate. La contrainte d'une obéissance passive effacerait le mérite et le démérite les méchants rejetteraient sur l'État la responsabilité de leurs fautes, et les bons, perdant avec leur indépendance l'émulation qui pousse aux grandes choses, seraient sans force et sans ardeur pour le bien.

N'est-ce pas en vertu du même principe que ceux qui aiment et comprennent la liberté repoussent toute loi préventive comme une injure à la dignité humaine, comme une défiance indigne d'un gouvernement et d'un peuple libre, comme

une servitude qui, rejetant les nations dans la barbarie, étouffe la civilisation sous le despotisme?

Mais si la justice humaine, effrayée de son ignorance et de sa faiblesse, attentive à respecter le libre arbitre des hommes, s'impose cette prudente réserve et s'enferme dans ces limites étroites, là du moins elle sait rendre hommage à la justice absolue, et s'incliner devant la loi de Dieu.

Nos lois écrites proclament et reconnaissent un droit éternel, antérieur et supérieur à leurs prescriptions, gravé dans le cœur de chaque homme, et dont toute leur puissance est empruntée (1).

Encore qu'elles aient l'appui d'une force publique capable de les faire respecter, les législations ne se bornent point à ordonner ou à défendre leurs décrets ressembleraient à une menace, à une injonction tyrannique. Chaque loi porte un préambule qui s'adresse à la raison et à la conscience de tous, invoque le droit naturel, explique le but du législateur et les motifs puissants qui l'ont déterminé, prouve la légitimité de ses décisions et la justice de sa cause (2).

Enfin les juges de la terre, s'efforçant d'imiter leur divin modèle, absolvent tout péché d'ignorance et toute faute involontaire, supposent innocent tout accusé dont la culpabilité n'est point manifeste, distinguent toujours un égarement passager d'une

(1) Plat., p. 470, et sq3. (2) Ibid., p. 72a, 724.

faute préméditée (1), apportent tous leurs soins à démêler l'intention du criminel et le but du crime, et dans la mesure de ce qui est possible à l'humanité, proportionnent la peine à la gravité du délit.

Ainsi les objections que l'on empruntait au prétendu matérialisme des sociétés humaines tombent devant les faits et s'humilient devant les principes: le droit public n'est plus un vain mot, la conscience publique une chimère, les vertus publiques une convention. L'État, créé non pour lui-même, mais pour ceux qui le constituent, destiné à servir l'accomplissement de leur destinée, peut et doit comme eux prendre pour devise le dogme de l'immortalité (2). Que s'il se borne au soin de sa conservation, il marche à son insu vers la décadence, par l'abaissement et la dépravation de ses citoyens.

On nous répondra que la vérité elle-même ne saurait être imposée par la force, que l'État ne doit jamais contraindre les convictions et violenter les consciences. En effet, ce n'est point ainsi que le principe de l'immortalité de l'âme veut être introduit dans la politique (3). En cela, comme dans tout le reste, la loi ne peut être que répressive; son

(1) Plat., p. 862, a, b, c, d.

(2) « Les sociétés humaines naissent, vivent et meurent sur la terre; mais elles ne contiennent pas l'homme tout entier. Il lui reste la plus noble partie de lui-même, ces hautes facultés par lesquelles il s'élève à Dieu, à une vie future, à des biens inconnus dans un monde invisible. (Royer-Collard.)

(3) Il ne suffit pas que le législateur, debout au milieu de la cité, me nace quiconque refuse de croire à l'existence des dieux.... sans joindre la » persuasion à la force.» (Plat., p. 891, a, b, c, d.)

droit et son devoir est de frapper ceux qui mettent la société en péril, parce qu'il n'est pas juste qu'un seul entrave la destinée de tous, en troublant l'ordre social, instrument nécessaire de la destinée humaine en ce monde. Hors de là la liberté de l'homme est chose sainte et inviolable, et pour consacrer dans l'État les dogmes qui doivent lui servir de sauvegarde, il n'est pas besoin de violence.

L'éducation, plus puissante que la contrainte, tournant de bonne heure les jeunes esprits vers les plus pures doctrines, fera pénétrer dans toutes les âmes les grandes leçons de la morale éternelle, par la voix éloquente des grands génies de tous les pays et de tous les siècles. Dieu, l'immortalité de l'âme, le libre arbitre, telles seront les croyances qui domineront l'éducation nationale; et les maîtres chargés d'instruire la jeunesse placeront avant toute connaissance la science de la destinée humaine et des devoirs de la vie.

Les institutions porteront l'empreinte des mêmes principes, supposant partout un avenir meilleur dont cette vie n'est qu'un apprentissage. On ne souffrira pas que la Constitution du pays proclame la volonté du peuple infaillible, supérieure au droit et à la justice: funeste égarement d'une multitude enivrée de sa puissance jusqu'à oublier que les individus qui forment le peuple sont destinés à paraître un jour devant Dieu.

On effacera de la législation toute pénalité qui refuse au coupable la liberté de se repentir et de réparer ses erreurs: l'autorité du châtiment repose

sur le sentiment du devoir, qui est commun à tous les hommes; toute punition doit être un acte expiatoire, un retour à la loi morale, avec le regret d'avoir troublé l'ordre et méconnu les voies de la Providence. Les criminels ne seront donc point traités comme s'ils devaient après le supplice tomber dans le néant; on leur laissera le moyen de se purifier pour mériter la vie éternelle.

Au lieu de favoriser le culte des intérêts matériels, qui enchaîne la pensée de l'homme aux choses terrestres, aux biens de ce monde, au lieu de dépraver les citoyens pour régner par la corruption, ceux qui gouvernent s'appliqueront à élever les âmes, sans craindre d'éveiller la passion de la liberté. La démocratie serait sans péril, et la liberté sans excès, chez un peuple moins oublieux de sa destinée, moins asservi au culte du bien-être et des jouissances matérielles.

Enfin, le gouvernement agira selon la morale et les lois de la justice éternelle, et la politique répudiera pour jamais les artifices des Machiavel: ce n'est pas assez de reconnaître, de proclamer les principes: il faut les respecter et les mettre en pratique.

Depuis l'auteur du Contrat social on a répété souvent que le but des institutions politiques, c'est de diriger les hommes vers la justice qui est

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à la fois le bonheur public et le bonheur privé; » que le fondement unique de la société civile, > c'est la morale; que toute la science politique se » réduit à mettre dans les lois et dans l'administra» tion les vérités morales reléguées dans les livres

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