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et dont le nom seul a survécu dans l'histoire. Pourquoi chercher dans des causes extérieures le secret de la décadence des empires? Les accidents imprévus qui semblent déterminer la chute d'un peuple ne font que hâter ou consommer la ruine commencée; tout gouvernement qui tombe, tombe de lui-même pour avoir violé la règle suprême de l'ordre social :

Soit qu'il ait manqué de principes et pris pour règle ses caprices; car tout pouvoir est précaire s'il ne reconnaît une justice souveraine dont il autorise ses prescriptions.

Soit qu'il ait violé son principe; car que sert de proclamer dans l'État une vérité qui reste stérile si elle n'est pratiquée dans toutes ses conséquences ?

Soit qu'il ait été fondé sur un principe défectueux; car c'est en vain qu'un dogme est réalisé dans les institutions, s'il ne rend l'ordre social nécessaire, obligatoire, indissoluble pour tous.

L'introduction de la République nous montre les conséquences fatales d'une doctrine qui proclame la souveraineté de la force et la tyrannie arbitraire du plus puissant, c'est-à-dire la négation de tout principe. C'est le tableau d'une société qui ne relève que du caprice, du hasard, de la force aveugle et brutale, nie la vérité, la justice, ne respecte que le succès. Point de principe qui autorise les institutions sociales: au lieu d'être appuyé sur la base inébranlable du droit, le gouvernement repose sur des fails, sur des accidents, l'usurpation, la conquête, l'adresse ou la force:

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raison d'être incertaine ou fragile. Dans cette société sceptique qui prend pour devise l'athéisme des lois, l'action de l'État sur le citoyen tend à s'énerver ou à devenir tyrannique. Si la loi ne se fait oppressive, elle est impuissante, car ses décrets manquent d'autorité : nul ne les juge obligatoires dans sa conscience. Les actes du gouvernement sont donc arbitraires, et son existence est tôt ou tard compromise, car l'éducation de la jeunesse lui échappe. L'enfant suit les exemples dont il se voit entouré: tout l'invite à satisfaire ses fantaisies. Qu'il travaille à devenir le plus fort, c'est là toute sa destinée. Comment donner le nom de gouvernement à cet état permanent de désordre? Les citoyens se considèrent tous comme ennemis, faute d'un principe qui leur révèle une origine commune et un but commun; nul ne respecte la personne de son semblable, et le faible se venge sur le plus faible de la tyrannie du plus fort (1).

Mais l'athéisme ne corrompt pas seulement les sociétés où il règne sans partage; il altère insensiblement ces États, en apparence ennemis du matérialisme, qui prononcent le nom de Dieu sans reconnaître que Dieu est le soutien de l'ordre social, ou du moins sans faire passer ce dogme dans les lois qui régissent la société. C'est peu de proclamer dans l'État une idée abstraite qui ne parle qu'à la raison: il faut que cette idée devienne une croyance, une règle d'action. Si Dieu

(1) Platon, dans le Gorgias ( Disc. de Callicles), expose admirablement cette doctrine; Thucydide la met en action (au livre V de son histoire) dans l'éloquent dialogue des Méliens avec les Athéniens.

est le principe que nous cherchons, il faut que tous les décrets du gouvernement, toutes les institutions de l'État, tous les actes de la nation réalisent l'idée de Dieu. Or on ne peut atteindre ce but si l'on ne parvient à démontrer que la croyance en Dieu est le seul fondement légitime de la société humaine: règle infaillible qu'il faut imprimer dans toutes les consciences, vérité féconde dont le développement est pour ainsi dire toute la République de Platon.

Le législateur de la République s'avance par degrés vers le but qu'il poursuit; mais cette habile gradation, qu'est-ce autre chose qu'une savante et profonde analyse de l'idée de Dieu considéré comme principe social? Partir des éléments les plus simples de la société humaine, et faire voir qu'ils sont impuissants par leur vert propre à remplir la mission qui leur est assignée, qu'ils ont besoin de recourir à quelque élément supérieur ; prouver que cet élément nouveau dépend à son tour d'un terme encore plus élevé; et qu'il faut ainsi remonter toujours, jusqu'à ce que la pensée atteigne l'Être Suprême, n'est-ce pas forcer la raison humaine de reconnaître que toute perfection de la société doit être rapportée par l'homme à son Créateur? N'est-ce pas montrer Dieu lui-même descendant en quelque sorte jusqu'au plus bas degré de l'échelle sociale, pour communiquer à tous les éléments de l'État, aux plus élevés comme aux plus infimes, la perfection relative qui leur est nécessaire, et qu'ils ne sauraient trouver hors de lui.

La méthode que suit Platon dans l'exposition de sa doctrine, représente ce mouvement de la pensée humaine, qui, portée par un progrès constant, s'élève vers Dieu. Platon ne commence point par énoncer le dogme essentiel de la science sociale: il montre peu à peu comment tout, dans l'État, appelle cette idée des idées au-dessus de laquelle rien ne se peut concevoir. Il suppose d'abord un État naissant où l'on trouve à peine de quoi pourvoir au bien-être des citoyens. La seule nécessité de satisfaire les besoins matériels exige une répartition régulière des professions sociales; les rapports d'échange, les transactions s'établissent. Chaque citoyen étant tenu de bien remplir les fonctions qui lui sont échues, il devient indispensable de préparer les enfants à la profession qu'ils devront exercer un jour : dès lors l'ordre social suppose l'éducation, d'où dépend toute sa perfection. L'éducation suppose une règle qui détermine la distinction du bien et du mal, et doit être conforme à la justice et au droit; l'État ne peut donc se maintenir que par la justice. Enfin la justice elle-même est fondée sur l'existence de Dieu.

En effet, la justice est une vertu générale et complexe, qui se décompose en vertus particulières, vertus civiles et politiques, vertus domestiques, vertus individuelles:— considérez toutes ces vertus qui expriment l'idée du juste: il n'en est pas une qui soit possible, sans la conviction que Dieu est le principe et la fin de l'homme.

La chasteté est la résistance de l'homme à l'empire des sens le désintéressement est le sacrifice

de son intérêt à celui des autres. Si vous isolez sa raison de l'idée d'une cause parfaite qui l'appelle à des destinées plus hautes et doit lui servir de modèle, pourquoi vaincrait-il ses désirs? pourquoi s'abstiendrait-il de jouir des biens de ce monde ?

La bonne foi est la fidélité de l'homme à la parole donnée. D'où vient que l'on fuit le parjure aux dépens de l'intérêt même ? Sur quel fondement repose l'amour de la vérité? Sur la conformité de la raison humaine avec la raison divine, sur l'idée de Dieu, c'est-à-dire de l'Être qui ne trompe jamais et que l'on ne saurait tromper.

La probité est le respect du droit d'autrui : la charité est le soulagement volontaire des souffrances des autres hommes la fraternité est l'amour de nos semblables. Comment la personnalité d'autrui sera-t-elle sacrée pour nous, comment verrons-nous des frères dans les autres hommes, si l'idée de Dieu ne nous révèle une origine commune, un père commun pour tous les humains?

Le patriotisme est le dévouement du citoyen au bien public, soit qu'il défende, au péril de ses jours, le pays menacé par d'injustes attaques, soit qu'il se consacre à la défense de l'ordre et de la liberté. Porter atteinte à la liberté politique, c'est offenser Dieu, qui n'a pas en vain créé l'homme libre et responsable de ses actes. Troubler l'ordre intérieur d'un pays, c'est violer, pour satisfaire notre égoïsme, le droit que nos concitoyens tiennent de Dieu, car il ne nous est pas permis

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