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de mettre obstacle au développement légitime de nos semblables. Menacer la sécurité d'une nation, c'est mettre en péril l'ordre et la liberté ; c'est briser violemment une association volontaire d'hommes libres, unis pour accomplir en commun leur destinée. L'amour de la patrie, la vertu civique naît de cette conviction commune à tous les hommes que la société est pour eux l'unique moyen de remplir les devoirs que leur prescrit la volonté divine, et de réaliser leur croyance en Dieu; tous veulent concourir au bien de l'Etat qui répand ses bienfaits sur chacun de ses enfants.

Ainsi, toutes les vertus nécessaires au citoyen dérivent de l'idée de Dieu; l'homme s'efforce de devenir meilleur, de perfectionner sa nature, parce qu'il a le sentiment de la perfection: non d'une perfection abstraite et imaginaire, mais d'une perfectiou réelle et vivante dont Dieu est le type: au-dessus de lui, la nature ne peut fournir, ni l'imagination concevoir une justice plus infaillible, une sagesse plus parfaite, une félicité plus pure, une puissance plus redoutable. Dans cette doctrine où la raison connaît Dieu parce qu'elle émane de lui, le parfait n'est plus une idée stérile pour l'homme, mais une véritable règle d'action il apparaît à la fois comme Créateur et comme Cause finale, comme principe et comme fin. L'Etre Suprême ne possède pas seulement les perfections qu'il a communiquées à la créature, mais encore celles qui lui manquent : il est donc le but idéal que nous devons poursuivre sans cesse, le modèle que nous devons imiter, autant que le

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permettra la faiblesse humaine. En ce seul point (ápólwoig few, ressemblance à Dieu), Platon fait consister toute la morale et toute la politique, la justice sociale et la justice privée; c'est en ce sens qu'il demande que la société soit tout à la fois l'image de la nature divine et de la nature individuelle; c'est-à-dire, que l'idée de Dieu joue le même rôle, occupe le même rang dans l'État que dans les individus dont il est formé, que la politique dépende des mœurs qui ont pour principe régulateur l'idée de Dieu. Alors les citoyens auront de la vertu; la foi de l'homme en sa liberté ne dégénérera pas en licence, car elle sera réglée par sa foi en Dieu; les institutions humaines seront revêtues de ce caractère de justice, de pureté, de grandeur qui les rend inviolables; la Constitution sera respectée, non-seulement dans la lettre, mais dans l'esprit de la loi. Les citoyens n'éluderont pas les décrets du souverain, car ils y verront l'image de la sagesse divine; et le gouvernement, placé sous la main de Dieu, ne fera point de sa puissance l'instrument des passions politiques, mais le symbole de la justice absolue.

Non-seulement ce dogme national oppose une barrière invincible aux déréglements de la liberté humaine; il fonde l'unité sociale sur une base inébranlable: unité naturelle et volontaire, puisqu'en vertu de cette croyance, tous les citoyens poursuivent le même but, comme ils sont issus d'une origine commune. Quand le principe divin aura imprimé sa stabilité dans les lois et le carac

tère d'une nation, l'ordre social ne sera plus une convention douteuse dont les hommes puissent se délier, mais un pacte solennel avec l'Être Suprême, vengeur de toute contravention à la loi.

Qu'on ne dise pas que ces théories sont impraticables: elles ont été réalisées dans l'histoire et justifiées par un éclatant succès. Moïse a donné l'exemple unique d'une législation fondée tout entière sur l'idée de Dieu; et par la seule vertu de ce principe qui dominait en Israël les lois civiles, politiques ou criminelles, les relations de cité, de famille, l'éducation, le culte, les croyances, le peuple juif a donné au monde le spectacle inouï d'une petite et faible nation, plus vivace que tous les grands empires qui s'étaient flattés de l'abattre; suivant avec persévérance, en dépit de tous les orages, sa merveilleuse destinée; voyant tomber autour d'elle Babylone, Ninive, l'Égypte, la Perse, la Grèce, la Macédoine; invincible dans sa faiblesse, parce qu'elle était inflexible dans sa foi.

Quelques lignes écrites sur le mont Sinaï, voilà le secret de cette durée sans bornes et de cette grandeur mystérieuse; mais que ces lignes étaient fécondes! Un Dieu vivant qui crée l'homme à sa ressemblance; un peuple élu parmi ceux qui se sont souvenus de cette origine; ce peuple tiré par Dieu de sa servitude, conduit par Dieu dans la terre promise, consacré au culte de Dieu qui lui dicte sa loi c'est là toute l'histoire d'Israël dont Moïse a fait le préambule de sa constitution; c'est là toute la législation de Moïse.

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Tous les peuples descendent de l'Éternel comme

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fils d'Adam; mais seul le peuple juif a gardé la tradition du vrai Dieu qui l'a lié à lui par un contrat solennel, par une indissoluble alliance. Toute loi émane donc de Dieu toute action conforme à sa volonté est bonne, toute action qui s'en écarte est mauvaise.

En politique, les citoyens ne relèvent que de Dieu, trouvant ainsi dans la religion même la règle et la garantie de leur liberté. Jehovah est le roi des Juifs le chef politique n'est que le ministre de la loi. Ce n'est donc plus un homme qui commande, c'est la vérité, c'est la loi, c'est Dieu même.

Toute loi civile exprime l'égalité des citoyens devant Dieu et le droit suprême de Dieu sur les citoyens :

Lois sur les personnes : Dieu est le seul maître des Juifs; il les a tirés de la terre d'Égypte.

Lois sur les choses: Dieu dispose de toutes les richesses; il a donné aux Hébreux la terre promise, la terre lui appartient.

Lois de purification et d'hygiène : « Soyez saints, parce que moi, votre Seigneur, je suis le Dieu de sainteté. »

Le même dogme qui établit et maintient l'ordre social, dicte des règles infaillibles pour la conduite de la vie privée : un seul Dieu, un seul culte, un seul gouvernement, une seule loi. Cette loi, fondement de l'unité politique : le sacerdoce, sa seule sauvegarde l'arche sainte, symbole de l'alliance avec Dieu, signe visible de la loi, gage de l'unité nationale.

Voilà la société que rêve Platon : cette chimère de la République, la voilà réalisée sur la terre, mise en action, pratiquée par tout un peuple qui en emprunte une force miraculeuse et une stabilité inouïe.

Mais l'œuvre de Moïse est fondée sur un contrat purement accidentel et verbal, et par cela même réservée à un peuple élu, à une nation privilégiée qui se sépare du reste des nations. L'œuvre de Platon repose sur un rapport naturel entre Dieu et l'homme, sur la conformité de la raison humaine avec la raison divine. Ce n'est plus une doctrine étroite, exclusive, c'est un dogme universel qui convient à tous les États; c'est une règle absolue qui doit être adoptée par toutes les nations; c'est le modèle de toute société humaine.

Non-seulement Platon a prouvé théoriquement la nécessité de fonder l'ordre social sur la notion d'un Dieu parfait. Il confirme par des exemples les règles qu'il a tirées de la nature de l'homme. Après avoir démontré que Dieu doit être le soutien de la société, il fait voir que tous les Etats qui ont violé cette loi ont péri misérablement. Il trace le tableau des révolutions des empires, et ramène à cette cause suprême toutes les causes particulières qui semblent avoir déterminé leur décadence. Il s'étonne de la vanité des moyens qu'ils ont employés pour se soutenir : la ruse, la force, les règlements, les décrets sont impuissants pour donner de la durée aux institutions humaines. Sans Dieu, l'éducation n'a plus de but dans l'État, car elle doit se proposer le perfectionnement de l'homme ;

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