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la volonté, peuvent accroître la force morale; l'âme au contraire doit s'amollir et s'énerver au sein d'une vie molle et efféminée.

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«Bien des gens s'imaginent que la musique et la gymnastique ont été établies, l'une pour former l'âme, et l'autre pour former le corps; mais il » me semble que l'une et l'autre ont été établies » en vue de l'âme (1).

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Embrassant ainsi sous un point de vue supérieur et la culture de l'âme et celle du corps, Platon imprime à l'éducation de sa République l'unité de direction dont elle a besoin. De la loi que nous venons d'établir, il suit que tous les préceptes d'éducation devront se concentrer sur l'âme qui ne peut se développer d'elle-même; qu'il suffira de seconder l'impulsion de la nature, en ce qui concerne le corps; que l'âme saura donner au corps toute la perfection dont il est capable, et faire un excellent usage des organes, pourvu qu'elle ait été cultivée avec une sollicitude active et intelligente. « Ce n'est pas le corps, si bien constitué qu'il soit, dont la vertu rend l'âme bonne; c'est au contraire » l'âme qui, lorsqu'elle est bonne, donne au corps, » par sa vertu propre, toute la perfection dont » il est capable. Si donc, après avoir cultivé l'âme » avec le plus grand soin, nous lui laissions former le corps, ne ferions-nous pas bien (2)? » A quoi bon s'entourer sans cesse de médecins? Laissons agir la nature et contentons-nous de prescrire ici

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(1) Plat., p. 403, a, b, c, d, e.

(2) Ibid.

les vertus qui en favorisent l'action, la sobriété, la continence, la modération dans les plaisirs qui énerveraient le corps et corrompraient l'âme (1).

Après avoir indiqué le but de l'éducation, Platon recherche les moyens dont l'instituteur doit faire usage pour exercer sur les jeunes âmes une forte et salutaire influence.

Déterminer la loi de l'éducation, c'est en faire connaître les vrais mobiles. Observons donc l'âme des enfants; car, on l'a dit plus haut, il ne s'agit point de cette éducation dernière qui est le fruit des méditations d'un esprit viril, qui embrasse les recherches les plus hautes, et qui exige toute la maturité de la raison. Nous nous occupons ici de l'enfance, de ces jeunes natures, tendres et flexibles comme la cire molle, qui reçoit et garde toutes les empreintes. Ce qui caractérise l'enfant, c'est que son esprit est longtemps rebelle aux matières abstraites; la science, austère, grave, rigoureuse lui semble aride et rebutante; au contraire l'imagination, le sentiment, l'instinct de l'art s'éveille en lui de bonne heure; c'est par là qu'il faut dès les premières années s'emparer de son âme, et lui faire aimer tout ce qui est bon, en le frappant vivement par le spectacle sublime de la beauté qui est la splendeur du bien (2). L'amour du beau, voilà le grand mobile de l'éducation des enfants; et c'est là, comme dit Platon, que doit aboutir tout entretien sur la culture de leur âme. Il compare les images vicieuses, les peintures grossières, les œuvres dif

(1) Plat.. p. 404 et sqq.

(2) Ibid., Phedre, Banquet, passim.

formes, ou éloignées du type de la beauté chaste et pure, à de mauvais pâturages; il montre que les jeunes âmes, nourries de ces funestes images, comme d'un aliment malsain, contractent insensiblement des vices profonds, s'accoutument à voir le mal sans dégoût, et le bien sans enthousiasme (1). Il prescrit donc de rechercher « des artistes que » leur génie mette sur la trace de toute beauté et » de toute harmonie, afin que les jeunes gens, vi» vant parmi leurs chefs-d'œuvre, comme dans un » air pur et sain, reçoivent de toute part, par les » yeux, par les oreilles, des impressions salutaires, » et que, dès l'enfance, ils se sentent portés insen» siblement à imiter, à aimer le beau, et à s'unir » avec lui par un parfait accord (2). » Le spectacle de ce qui est vraiment beau éloigne de notre cœur toute légèreté, toute sécheresse, toute amertume; il nous invite à la vertu par le sentiment de l'ordre et de l'harmonie des choses; il éveille en nous, avec l'amour de la grâce et de la beauté, le désir et l'amour de la perfection. Avant que l'esprit de discernement ait mûri, cet instinct sûr et presque infaillible entraîne le jeune homme vers l'honnête, et l'écarte du mal. C'est donc là la véritable initiation de l'homme à la vertu; il y puisera « le

mépris, la haine instinctive du vice, avant d'être » éclairé des lumières de la raison; et plus tard, quand la raison sera venue, il l'accueillera avec amour, parce qu'il lui semblera' reconnaître en

(1) Plat., p. 400, d, e; p. 401, a, b.

(2) Ibid., p. 401, b, c, d, e.

» elle la compagne de son enfance (1). » L'enfant n'aime pas encore la vertu parce qu'elle est sainte: il peut déjà l'aimer parce qu'elle est belle.

Le premier des arts qui ont pour objet de réaliser la beauté morale, c'est la littérature: Platon s'élève éergiquement contre les fictions et les fables dont elle s'inspire; il proscrit toute cette mythologie mensongère où la pureté de l'âme se corrompt. « J'y blame ce qu'il faut en effet, et par» dessus tout, blâmer dans ces mensonges corrup⚫teurs..... c'est qu'ils nous représentent les dieux » et les héros autrement qu'ils ne sont (2). » Quand tout cela serait vrai, «ce ne sont pas choses à dire > devant des enfants dépourvus de raison, » et dans le cas où ces récits couvriraient des allégories cachées, «un enfant n'est pas en état de distinguer » ce qui est allégorique de ce qui ne l'est pas (3). Comment souffrir cette poésie éhontée qui représente et glorifie chez les dieux les crimes que punit la justice humaine, le vol, l'adultère, le parricide? « Il faut que les poëtes nous représentent par« tout Dieu tel qu'il est, soit dans l'épopée, soit » dans l'ode, soit dans la tragédie (4), » c'est-àdire Dieu essentiellement bon, cause du bien et non du mal que l'ignorance et l'aveuglement des honimes osent lui imputer (5); Dieu immuable, car il n'est pas de puissance supérieure qui puisse altérer sa nature, et il ne saurait changer de lui

(1) Plat, p. 402, a. b.

(2) Ibid., p. 377, a, b, c. (3) Ibid., p. 378, a, b.

(4) Ibid., p. 378, c, d et sqq.

(5) Ibid., p. 380, b, c d.

même, possédant la perfection absolue (1); enfin Dieu, source de toute vérité, incapable d'abuser les hommes par des mensonges ou des fantômes (2). Se représenter la Divinité sous d'autres traits, c'est renverser toutes les idées sur lesquelles repose la société, c'est détruire dans les enfants la notion du bien et du mal, c'est ôter à l'homme la conscience de sa faiblesse et le sentiment de l'appui qu'il doit chercher en Dieu; en un mot c'est tarir toutes les sources de l'éducation. Dieu produit le bien : le mal vient de nous, du mauvais usage que nous faisons de notre liberté; mais comme il dépend de nous de la diriger vers le bien, l'éducation est possible (3). L'immutabilité est l'essence de Dieu : pour lui, changer serait déchoir. L'homme, au contraire, change et se transforme sans cesse, suivant la loi commune à toute créature; il peut changer en mal et se corrompre, mais il peut aussi changer en bien, devenir meilleur, et c'est là le ressort de l'éducation (4). Enfin Dieu n'est point trompeur. Que l'homme suive donc sans crainte sa destinée il n'est pas le jouet d'une illusion; un génie malfaisant ne se rit pas de ses travaux, ne tend point de piéges à sa crédulité. Il peut marcher avec confiance vers le bien, suivre l'inspiration de sa conscience et les conseils de la raison qui émane de Dieu (5). Nous ne souffrirons pas

(1) Plat., p. 381, a, b.
(2) Ibid., p. 383, a, b, c.

(3) Ibid., p. 379, 380.

(4) Ibid., p. 381, 382.

'(5) Ibid., p. 393, a, b, c, d.

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