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d'autres discours dans la bouche des instituteurs, » car nous voulons que nos enfants soient pleins » de respect pour les dieux et s'efforcent de leur » ressembler, autant que la faiblesse humaine le » peut permettre (1).

Il en sera de même des fictions relatives aux enfers elles entretiennent de lâches terreurs, et l'utilité qu'elles peuvent avoir, comme frein pour les mauvaises passions, ne compenserait pas l'abaissement de l'âme qu'elles dégradent. Enfin, il faut proscrire encore les récits qu'on débite sur les héros enfants des dieux, récits qui peignent leurs faiblesses, leurs fautes et leurs mauvaises passions. « Ces sortes de discours ne sont ni vrais ni religieux (2). » Ils portent l'esprit des lecteurs ou des spectateurs sur des objets dont il faut détourner la vue; sous prétexte de peindre le cœur humain, ils en dévoilent les replis qu'il faudrait cacher.

Régler d'une manière plus précise le sujet des œuvres littéraires, ce serait supposer ce qui est en question, l'objet même de nos recherches, la définition de la justice (3). Mais nous pouvons dès maintenant affirmer que notre conseil s'applique à tous les genres: vérité pure, absolue, inflexible, voilà pour la matière du discours. Venons à la forme (4).

Fidèle à la doctrine du Gorgias et du Phèdre, plein de mépris pour les sophistes et les rhéteurs de

(1) Plat., p. 383, a, b, c, d.
(2) Ibid, p. 391, c, d, e.
(3) Ibid., p. 392, a, b, c.

(4) Ibid., p. 392, d, e.

son siècle, persévérant dans sa lutte contre leur influence pernicieuse, Platon rejette ces vaines distinctions du fond et de la forme, cet art puéril de travailler sur les mots indépendamment des idées, tous ces frivoles ornements qui fardent la pensée pour en dissimuler le vide. Sans cesse on voit l'écrivain, le poëte entremêler aux idées, aux sentiments qu'il exprime en son nom, des discours qu'il prête à ses héros ; et il applique tout son art à dissimuler la fiction. Mais tous ces artifices sont de mauvaise grâce l'imitation abaisse et rapetisse les choses: elle exige une variété confuse de tons: il n'en est qn'un de convenable, le ton sérieux, grave et doux des hommes de bien qu'il faut seuls imiter. «Nous » nous arrêterons donc, pour la forme, à l'expres»sion pure et simple du bien et du vrai (1), » car il n'est point permis de se servir de la parole pour altérer ou déguiser la pensée. Telles sont les règles suprêmes de l'art vérité absolue pour le fond, simplicité absolue dans la forme.

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Que s'il nous vient, dit Platon, un de ces poëtes divins dont les chants enivrent l'oreille, « nous le congédierons après lui avoir versé des parfums » sur la tête et l'avoir couronné de fleurs. Et nous » choisirons un poëte plus austère et moins sédui» sant, un conteur utile, qui imite le langage de la » vertu (2).

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Il en sera de même de la musique proprement dite, du rhythme et de la mélodie: point de ces

(1) Plat., p. 393 et sqq.; p. 397, d, e.

(2) Ibid., p. 398, a, b, c.

harmonies molles et efféminées qui troublent le cœur ; point de ces tons variés, enivrants, qui allanguissent l'âme; point de ces instruments à cordes nombreuses, qui ne servent qu'à altérer la gravité, la simplicité religieuse des mélopées antiques; point de ces mesures multiples et variées, qui charment l'oreille aux dépens de l'élévation et de la sévérité du rhythme (1). Partout doit régner la gravité, l'unité, la simplicité.

Ce qu'on a dit de la musique et des lettres s'applique aux autres arts, peinture, sculpture, architecture; tous ont le même but élever par le spectacle du beau le cœur et l'intelligence des hommes; tous doivent observer ces règles souveraines de correction, d'harmonie, de proportion et de noblesse (2). La forme seule n'est rien elle suit la pensée, s'élève ou s'abaisse avec elle. Et la pensée suit à son tour l'âme de l'artiste : « Une belle » œuvre est l'image d'un esprit et d'un cœur bien » faits. D

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Que l'on observe nos conseils, « on verra partout › dans l'État le plus beau des spectacles, la beauté » du corps unie à la beauté de l'âme, et l'harmonie » de toutes les vertus (3). » N'avons-nous pas proscrit de l'éducation tout ce qui pouvait altérer l'âme ou le corps? La confusion eût produit le vice dans l'âme et la maladie dans le corps: la simplicité rend l'âme sage et le corps sain. Au contraire,

(1) Plat., p. 399, a, b, c, d, e; p. 400, a, b, c.

(2) Ibid., p. 400, d, e; p. 401, a, b, c.

(3) Ibid., p. 402, c, d, e.

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dans un État où les âmes ne sont pas sages ou les corps ne sont pas sains, on voit paraître l'injustice, il faut des tribunaux et des juges; la maladie règne, il faut des médecins, des hospices. «N'est-ce pas » chose honteuse et preuve insigne d'ignorance d'être forcé d'avoir recours à une justice d'emprunt, faute d'être juste soi-même, d'établir les » autres maîtres et juges de son droit, d'avoir » besoin d'un juge qui s'endort sans cesse ? Est-il moins honteux d'avoir toujours besoin du médecin, hors le cas de blessure, ou de maladie produite par la saison, et de se remplir le corps d'humeurs et de vapeurs par cette vie molle que > nous avons décrite. A-t-on le temps, dans un État » bien policé où chacun a ses fonctions à remplir, » de passer sa vie au milieu des remèdes (1)? »

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Quoi de plus honteux pour les plaideurs, pour les malades! Dans ces États corrompus, le médecin est forcé de fréquenter des hommes malsains, le juge d'étudier de près tous les crimes, de vivre dans une atmosphère d'iniquités, de traîner sa pensée sur tous ces désordres. «Dans notre République, la mé› decine et la jurisprudence s'adresseront seule➤ment à des citoyens sains de corps et d'âme (2)....

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» Voici à peu près l'éducation de notre jeunesse

achevée, car il est inutile de parler de la danse, » de la chasse, des combats gymniques et à cheval; » pour tout cela, il suffira de suivre les préceptes » que nous avons établis (3). ›

(1) Plat.. p. 405, a, b, c, d. e.

(2) Ibid., p 410, a, b.

(3) Ibid., p. 412, a, b.

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Indiquons toutefois un point essentiel, que négligent la plupart des hommes d'État. Ils croient devoir séparer l'éducation de la politique, s'inquiètent peu de former des hommes dévoués au pays, et se représentent le gouvernement comme un art qui peut s'apprendre ou s'exercer indépendamment des mœurs et du caractère des citoyens. Ils multiplient les expédients et les artifices, entassent les décrets et les règlements pour maintenir l'ordre et la sécurité dans l'État (1). Tous ces grands politiques, dont on prône l'habileté, sont novices en matière d'éducation. C'est une étrange illusion de croire que tout soit fait, quand les enfants possèdent l'instruction, et de faire bon marché du reste. Lorsqu'on charge les rhéteurs, les sophistes d'élever la jeunesse, ils forment, à leur exemple, des sophistes et des rhéteurs. Nous qui voulons au contraire que l'instruction dépende de l'éducation qui la fait servir au pays, nous apprenons d'abord au citoyen à savoir se consacrer tout entier et se dévouer à sa patrie. Il ne suffit pas, en effet, qu'on possède les qualités qui constituent le bon citoyen, il faut encore qu'on les applique à la chose publique. Le contact des passions et des intérêts de la vie pourrait altérer ou détruire l'œuvre de nos instituteurs; nous ferons en sorte que les principes soient fortement enracinés, qu'ils résistent victorieusement à la séduction comme à la violence, double écueil des convictions les plus fermes. Ceux-là seuls qui auront recueilli le fruit

(1) Plat., p. 426, a, b, c, d, e.

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