Images de page
PDF
ePub

de l'éducation seront dignes de la patrie (1). Mais, dira-t-on, notre législateur ne place-t-il pas trop haut le niveau de l'éducation: exiger de chacun, dans la République, cette mâle 'énergie, cette austère vertu, cette raison pénétrante qu'on s'est efforcé de développer dans les futurs défenseurs de la cité, n'est-ce point un rêve impossible à réaliser? Platon a résolu d'avance cette grave difficulté. Il connaît l'inégalité naturelle des aptitudes, il sait que les mêmes semences ne portent pas partout les mêmes fruits; c'est ce qu'il exprime dans une poétique allégorie : « Tous les citoyens sont fils de la terre qu'ils habitent, elle est leur » mère et leur nourrice commune, ils sont tous frères; mais le Dieu qui les a formés a fait en» trer l'or dans la composition de ceux qui sont » propres à gouverner les autres, l'argent dans la » nature des guerriers, le fer et l'airain dans celles » des artisans et des laboureurs (2). » Tel est plus propre aux travaux manuels, tel aux occupations de l'esprit; celui-ci possède un courage héroïque, celui-là une haute intelligence et une rare prudence. Cette diversité naturelle, et l'inégalité qu'elle entraîne, ne produira aucun désordre dans la République, puisque les citoyens exercent chacun des fonctions différentes. Il est des vertus nécessaires pour tous la probité, la justice, la tempérance, conviennent aux premiers comme aux derniers de l'État; mais si les uns sont plus

[ocr errors]

(1) Plat., p. 413, b, c, d et sqq.

(2) Ibid., p. 415, a, b.

braves en face du péril, les autres plus savants dans l'art de gouverner, pourvu que nous choisissions parmi les premiers les défenseurs de notre État, parmi les seconds les gardiens des lois et les magistrats de la République, on pourra dire de l'État tout entier, qu'il est bravement défendu et sagement administré. Ceux qui auront atteint le plus haut degré de l'éducation, veilleront seuls sur le pays. Véritables gardiens de l'État, ils auront la pensée qui dirige; les autres ne seront que leurs instruments, les exécuteurs de leur volonté.

Y aura-t-il pour cela dans l'État une prédestination despotique, des castes infranchissables? Platon déclare expressément le contraire : « Sans doute les > enfants ressemblent le plus souvent aux pères; » mais il pourra se faire qu'un citoyen de la race » d'or mette au monde un fils de la race d'argent, qu'un autre de la race d'argent mette au monde » un fils de la race d'or (1). »

D

[ocr errors]

Dieu ordonne donc aux magistrats de prendre garde, sur toute chose, au métal dont l'âme de chaque enfant est composée. S'ils trouvent dans leurs propres enfants quelque mélange de fer ou d'airain, point de faiblesse; qu'ils les relèguent dans l'état qui leur convient; s'ils voient, au contraire, que d'autres enfants sont d'une nature privilégiée, qu'ils les élèvent à la condition de guerriers, ou à la dignité de magistrats. «Il y , a un oracle qui dit que la république périra

(1) Plat., p. 415, c, d, e.

[ocr errors]

lorsqu'elle sera gouvernée par le fer ou par , l'airain (1). » La plus sûre manière de prévenir ces désordres, c'est de donner à tous nos citoyens une forte et saine éducation.

. Ne l'ont-ils pas déjà reçue? - Je ne voudrais » pas encore l'assurer (2). » Mais du moins nous sommes certains maintenant qu'un bon système d'éducation ( quel que soit d'ailleurs celui qu'on adopte) est indispensable à toutes les classes de la cité, pour fonder sur ses véritables bases le droit civil et le droit politique, c'est-à-dire les relations sociales des citoyens entre eux, et leurs relations avec l'État.

Le matérialiste même n'a pu nier la nécessité de former chaque citoyen aux fonctions qu'il devait remplir. De ce seul point, Platon fait sortir par degrés tous les principes essentiels de sa doctrine: tout citoyen doit apprendre à bien faire ce qu'il fait. Une bonne éducation peut seule atteindre ce but; il est donc nécessaire que l'éducation soit donnée au nom du bien et du juste. Et voilà la vertu, la morale qui commencent à s'introduire dans la République.

Nous disions plus haut: Que signifie, dans un État, le nombre des fonctions sociales? Tout dépend de la manière dont elles sont remplies; et, dans de mauvaises mains, la plus nécessaire devient stérile (3). Nous pouvons dire maintenant : Qu'importe qu'on ait admis dans la cité des professions

(1) Plat., p. 416, a.

(2) Ibid., c.

(3) Voir chap. III, Plat., p. 373 et sqq.

superflues ou même funestes, si l'éducation doit tout corriger (1)? Par elle, en effet, la poursuite du bien se substitue à la recherche de l'utile, et dès lors l'État s'épure et se complète par la seule force des choses : « Par le chien, nous avons bien » réformé sans y prendre garde cet État que nous » accusions il y a quelque temps de regorger de » délices. Nous avons fait sagement (2). »

Que d'objections à élever contre ce rude système d'éducation nationale! que de règles impraticables et quel excès d'austérité! que d'insurmontables difficultés ! que d'exigences tyranniques! La liberté du génie entravée; le droit du père de famille violé; toutes les professions menacées du régime étroit des corporations et des castes; l'État obligé de contraindre les vocations. Les conclusions de Platon n'en sont pas moins inattaquables, parce qu'elles sont indépendantes du plan particulier qu'il esquisse, et des règles spéciales qu'il y propose; parce qu'il ne donne pour incontestables que les traits généraux, les règles fondamentales de la méthode. Il y a là quelque chose de supérieur à tous les systèmes d'éducation, ce sont les principes, les lois immuables sur lesquelles tous ces systèmes s'appuient.

Résumons en quelques mots ces principes: les fouctions sociales manquent leur objet, si elles ne sont bien remplies; elles ne sauraient l'être sans le bienfait de l'éducation. L'éducation n'est rien

(1) Plat., p. 424, a, b. (2) ibid., p. 399, d, e.

si elle n'est bonne; il ne suffit pas même qu'elle ait été bonne et saine: il faut encore qu'elle porte ses fruits, et laisse des résultats durables, à l'abri de la crainte et de la séduction. Elle veut donc être appropriée aux aptitudes naturelles, et l'on doit répartir les fonctions sociales suivant ces mêmes aptitudes.

Quant aux détails de l'éducation qu'il prescrit, Platon ne se dissimule pas qu'il affirme plutôt qu'il ne démontre (1); aussi s'autorise-t-il des opinions reçues et des traditions populaires; il invoque les préjugés établis, les croyances vulgaires, les dieux, les oracles. Pourvu qu'il sauve la méthode, il fait bon marché du mode d'application des préceptes qu'il a posés.

(1) Plat., p. 416, c.

« PrécédentContinuer »