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au temps de Cimon et de Thémistocle, grâce à cet héroïque élan de patriotisme et d'union nationale qui sacrifie la cité même au salut de tous, jette le peuple entier sur la flotte, et transporte audacieusement la guerre en Asie. Mais bientôt éclatent les excès désastreux de la démagogie athénienne, l'au dace des factions, l'anarchie, la licence; d'imprudents conseillers égarent la multitude; et après des fautes irréparables, Athènes vaincue voit renverser par Lysandre les murailles de Thémistocle.

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Sparte, au contraire, n'a vaincu sa rivale, et maintenu sa suprématie dans la Grèce, que par l'unité de ses lois; et Descartes en a jugé comme Platon, lorsqu'il dit, au discours de la Méthode : « Si Sparte a été autrefois très-florissante, ce n'a » pas été à cause de la bonté de chacune de ses lois ⚫ en particulier, vu que plusieurs étaient fort » étranges, et même contraires aux bonne mœurs, » mais à cause que n'ayant été inventées que par un seul, elles tendaient toutes à même fin (1). » Cette unité qui avait manqué à la Grèce, Platon la prescrit comme la loi suprême de la politique; et il s'élève énergiquement contre la désunion qui crée plusieurs États dans un seul, par l'antagonisme des intérêts. « D'où vient cette diver»sité de sentiments, sinon de ce que tous les citoyens ne disent pas des mêmes choses: ceci » m'intéresse..... supprimez cette distinction, supposez-les tous également touchés des mêmes choses, l'État ne jouira-t-il pas alors d'une par

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(1) Descartes, Méth., 2o partic.

» faite harmonie? Pourquoi? parce que tous ses » membres ne feront, si je puis parler ainsi, qu'un » seul homme (1). » De même qu'il existe entre l'âme et le corps une si étroite union, que la moindre blessure qui atteint le corps affecte l'âme tout entière, l'État doit se réjouir ou s'affliger de ce qui afflige ou réjouit chacun de ses membres, y prendre part comme s'il le ressentait lui-même : « Il régnera entre nos citoyens un accord inconnu » dans les autres États. Comme chacun aura pour maxime que l'intérêt d'autrui ne diffère pas du sien, ils tendront tous au même but (2). »

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On sent que Platon a les yeux fixés sur la législation de Sparte, sur cette Constitution de Lycurgue dont Plutarque a dit : «En somme, il ac» coustuma ses citoyens à ne vouloir et ne pouvoir jamais vivre seuls, ains estre par manière de dire collez et incorporez les uns avec les autres, et à se trouver toujours ensemble comme les abeilles à l'entour de leurs supérieurs, sortant » hors d'eulx-mesmes presque par un ravissement » d'amour envers leur païs, et de desir d'honneur » pour servir entièrement au bien de la chose publique (3).

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Ce qui fait les grands peuples, c'est l'unité nationale; non cette unité passagère et factice, que le despotisme fait naître de la contrainte, et maintient par la violence, mais cette unité volontaire, que fonde et que protége la liberté (Platon s'en

(1) Plat, p. 462. c, d, e.

(2) Ibid., p. 463 et sqq.

(3) Plutarque, Vie de Lyourgue, traduction d'Amyot, LIV.

est-il assez souvenu?), que cimentent les sentiments généreux, les mâles vertus, les nobles passions: Nous aimons la terre natale où nous avons été nourris, et où reposent des cendres vénérées; aux émotions de la famille, se mêle le souvenir des bienfaits de la commune patrie; la fierté nationale, qui associe la grandeur du pays à l'honneur, à la dignité de chaque citoyen; la sympathie qu'engendre la communauté des mœurs et des croyances; le respect des traditions glorieuses. Se rencontre-t-il dans l'État des esprits étroits, des cœurs égoïstes, incapables de dévouement, et de patriotisme, l'intérêt est là, pour les enchaîner, à défaut de convictions généreuses. Ceux même qui ne sont sensibles qu'à ce qui leur est personnel, s'attachent encore à l'État qui respecte, protége ou favorise leur bien-être : ils comprennent que dans une République bien ordonnée, l'égoïsme absolu serait au moins un. calcul maladroit; que la prospérité privée n'y est pas distincte de la prospérité nationale; que la chose publique ne peut dépérir, sans entraîner dans sa ruine toutes les fortunes particulières.

Jusque-là tout est vrai dans la pensée de Platon. Pourrons-nous en dire autant de ce qui va suivre, et la trame serrée de ce beau système ne semblet-elle pas un moment rompue ?

Platon, sans se dissimuler la défaveur qui l'attend, et les clameurs qu'il va soulever, sans craindre, comme il le dit lui-même, les vagues >> redoutables » qui menacent de l'engloutir, s'engage ici dans une voie imprévue il quitte les principes généraux, pour traiter de l'organisation

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pratique de l'État, et découvre enfin ce qu'il n'osait révéler « Eh quoi! dit Adimante, tu perds

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courage? tu veux nous dérober la plus intéressante partie de cet entretien ? penses-tu donc › nous échapper ? » « Ceci, répond Socrate,

doit trouver encore moins de créance que tout » le reste..... On niera que la chose soit possible; » et fût-il bien démontré qu'elle est possible, on » niera qu'elle soit bonne; voilà ce qui m'empêche » de dire librement ma pensée (1). » Pressé par ses amis, Platon se décide à parler : il avoue que l'unité de l'État n'est pas possible à ses yeux sans le sacrifice de la propriété et de la famille. Cette chimère de l'unité absolue, il en expose le plan tel qu'il l'a conçu; et nous nous trouvons en présence de ce qu'on appelle le Communisme.

Soit qu'on vienne combattre ou défendre cette doctrine, il faut la définir; il faut préciser un terme vague et flottant qui se prête aux interprétations les plus variées, qui peut désigner les systèmes les plus divers, et dont on a tant abusé surtout de nos jours. Il est vrai que nos pères n'avaient pas vu, comme nous, d'étranges utopies, jadis reléguées dans le domaine de la spéculation, descendre dans l'arène politique, et prétendre au gouvernement du pays; aussi voyons-nous la plupart des hommes porter, involontairement, dans ces matières, un esprit prévenu, un jugement passionné, plus de partialité que de justice. On déclare, sans examen, que toute théorie communiste se ré

(1) Plat., p. 450, c, d, e.

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sume en deux points : « Promiscuité des femmes, au profit du libertinage; « partage des biens, » au profit de la paresse. Quand il serait vrai que la stricte logique poussât le communisme vers ces conclusions extrêmes, gardons-nous d'oublier que Platon, par une glorieuse inconséquence, a sauvegardé les grands principes de la morale, flétri le vice et adoré la vertu. L'exagération sert mal une cause que la simple vérité suffit à rendre invincible: pour ne laisser aucun prétexte à l'erreur, il faut l'accueillir, sans préjugés et sans haine; il faut exposer avec une fidélité scrupuleuse ces témérités de l'esprit humain, et respecter les grands esprits, jusque dans leurs erreurs.

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Comme l'a dit Fénelon : « Platon et Lycurgue ne prétendaient point favoriser les passions honteu> ses et brutales; mais ils permettaient le mélange » libre des deux sexes fait avec modestie dans un » certain temps de l'année, afin que les enfants ne » reconnussent point d'autre famille que la patrie, › ni d'autres pères que les conservateurs des lois : » maxime contraire à la sainteté de nos mariages, » maxime cependant fondée, à ce que croyaient » ces législateurs, sur l'amour de la patrie. Ils se trompaient sans doute dans ces conséquences, mais, en se trompant, ils tendaient à cette loi éternelle et immuable que tous doivent sui» vre (1).

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Le communisme a revêtu mille formes. Platon le reconnaît lui-même : « Cette communauté peut

(1) Fénelon, Essai sur le gouvernement civil, chap. II, sub fine.

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