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répété prouve que ceux qui le lui font ne l'ont jamais lu je parle de cette promiscuité civile qui

confond partout les deux sexes dans les mêmes

emplois, dans les mêmes travaux, et ne peut » manquer d'engendrer les plus intolérables abus; » je parle de cette subversion des plus doux senti»ments de la nature immolés à un sentiment arti> ficiel qui ne peut subsister que par eux; comme » s'il ne fallait pas une prise naturelle pour former ⚫ des liens de convention, comme si l'amour qu'on › a pour ses proches n'était pas le principe de celui qu'on doit à l'État, comme si ce n'était pas par la petite patrie, qui est la famille, que le cœur s'at» tache à la grande; comme si ce n'était pas le bon fils, le bon mari, le bon père qui fait le bon ci» toyen. »

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Toutefois, il est juste de rappeler ici comment une noble et généreuse pensée a conduit Platon à de si graves erreurs: on sait que les anciens avaient fait de la femme l'esclave et la propriété de l'homme; les plus heureuses vivaient dans une tutelle absolue; la culture de l'intelligence leur était interdite; la société ne permettait qu'aux Aspasie, aux courtisanes d'élite, les nobles occupations de l'esprit ; enfin toute une moitié de la race humaine était retenue dans une éternelle enfance. L'abus de la force étouffe tout commerce affectueux. Les hommes dédaignaient d'associer à leurs peines, à leurs jouissances, à leurs vœux, à leurs entreprises, celles qu'ils tenaient dans la dépendance. La douce et pacifique influence des femmes étant méconnue, on ignorait cet échange d'estime et d'amitié con

fiante, cette communion de pensées, d'intérêts et de sentiments, cette pure intimité qui embellit le foyer domestique et sanctifie la famille. De là ces étranges amours qui souillèrent les mœurs de l'antiquité. Là où la femme n'était point la compagne de son époux, l'amour tel qu'on le conçoit dans nos mœurs, chaste, délicat et respectueux, l'amour ne pouvait exister dans le mariage : l'homme eût cru s'abaisser, en offrant à la mère de ses enfants ce culte passionné de tendresse et de dévouement qui élève et consacre l'union des sexes par le commerce des âmes. C'est l'honneur de Platon d'avoir flétri ces unions monstrueuses et ces brutales amours que chantait sans rougir la poésie grecque et latine. « Amours de matelots, s'écrie-t-il » dans le Phèdre, impurs désirs, privautés infâmes, » où l'homme descend au rang de la bête et ne rougit pas de poursuivre un plaisir contre nature (1). » En protestant contre des lois iniques et des coutumes dégradantes, en relevant la condition des femmes, en réclamant l'émancipation qui leur était due, Platon s'élève au-dessus de son siècle; il inaugure une civilisation plus pure et plus haute. Il a compris que les deux sexes sont égaux et semblables par le discernement du bien et du mal, par l'instinct du devoir, par la responsabilité de la conscience, par l'attente d'un avenir meilleur, par tout ce qui fait la dignité des créatures libres et raisonnables. Son erreur est d'avoir con

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(1) Plat., p. 241, d, e; p 243, c, d; p. 251, a, b, e, d. Cf. Rép., p. 403. a, b, c. Lois, p. 636, b, c, d. Banquet, p. 219, a, b, c, d, e.

clu de l'égalité des droits et des devoirs moraux des deux sexes à l'identité de leurs fonctions sociales. Ce qu'il y a de semblable en eux, c'est seulement la nature morale et la destinée morale, qui sont communes à tous les membres de la famille humaine. Cette unité laisse d'ailleurs subsister la diversité des inclinations et des aptitudes; elle ne détruit pas les distinctions, elle les concilie; et vouloir en déduire, comme Platon, l'identité des fonctions, l'égalité absolue des devoirs civils et politiques pour les deux sexes, c'est tomber dans une confusion dangereuse (1).

Dans cette application bizarre et outrée du principe de l'unité nationale, ce qui doit peut-être étonner plus que tout le reste, ce n'est pas que Platon se soit aveuglé sur la perfection d'un système que la réalité condamne sans doute, mais qui, par une logique apparente, peut séduire l'intelligence; ce n'est pas que cette unité idéale qu'il rêvait lui ait apparu comme un bienfait immense pour l'État; c'est qu'il ait cru cette combinaison praticable. Nous ne parlons pas de la possibilité morale de faire accepter une telle révolution par tout un peuple: Platon va répondre à cette objection, en demandant que la philosophie prenne possession du gouvernement, et obtienne l'assentiment public, non de la force et de la violence, mais de la conviction (2). Il s'agit ici de la possibilité matérielle, des difficultés de l'exécution, des mille ob

(1) Plat., p. 457, a, b, c.

(2) Ibid., p. 473, c, d ; p. 474, a, b.

stacles qui entravent ce plan et qui nous paraissent insurmontables.

Sur ce point, l'histoire peut expliquer, sinon justifier l'erreur de Platon : l'exemple de la constitution de Lycurgue le dispensait de prouver la possibilité de son système : « ce législateur, dit Plu» tarque, avoit mis réellement en être une forme » de gouvernement que nul avant lui n'avoit jamais inventée, et que depuis autre quelconque n'a pu » imiter; et a fait veoir, à ceux qui cuident que la › deffinition du parfaitement sage soit chose imaginée en l'air seulement, et qui ne peult estre ⚫ réellement en ce monde, toute une ville entière » vivant et se gouvernant philosophalement, c'està-dire, selon les préceptes et les règles de parfaite » sapience (1). »

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Nous retrouvons dans Plutarque (2), dans Xénophon (3), dans tous les écrivains anciens qui ont parlé de Sparte, ces institutions hardies que Platon voudrait appliquer à sa République.

Communauté d'exercices pour les deux sexes : Lycurgue voulut que les filles endurcissent leur » corps en s'exercitant à courir, jetter la barre et lancer le dard, à cette fin que le fruit qu'elles » concevroient venant à prendre racine forte en un » corps dispos et robuste, en germast mieux (4).

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Autorité absolue de l'État sur les mariages; coutume barbare d'exposer les enfants disgraciés de

(1) Plutarque, Vie de Lycurgue, traduction d'Amyot, LXV. (2) Vie de Lycurgue.

(3) Constit. de Sparte.

(4) Vie de Lycurgue, XXV.

la nature; communauté des enfants, éducation commune et publique, égalité des biens et partage des terres.

( Ayant estably, dit Plutarque, une si grande › honesteté et si réservée tempérance es mariages, » il n'eut pas moins de soing d'en oster toute vaine » et féminine jalouzie, estimant..... que la raison ⚫ vouloit que l'on permeist à ceulx qui en estoyent dignes, engendrer les enfants en commun (1).

Ne vouloit point que les enfants feussent propres » aux particuliers, ains à la chose publique (2). » S'il leur sembloit laid, contrefait ou flouet, ilz » l'envoyoyent jetter dedans une fondrière, ayans opinion qu'il n'estoit expédient ny pour l'enfant » ny pour la chose publique qu'il vescut. Au demeu› rant, depuis que l'enfant estoit né, le père n'en > estoit plus le maistre pour le pouvoir faire nourrir » à sa volonté (3).

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» Il advisa que pour bannir et chasser hors de sa » ville l'insolence, l'envie, l'avarice, les délices, et › d'avantage, la richesse et la pauvreté, qui sont » encore plus grandes et plus anciennes pestes des › citez et des choses publiques, il n'y avoit point › de moyen plus expédient que de persuader à ses citoyens qu'ils remeissent en commun toutes les › terres, possessions et héritages de leur païs (4). Si, dit-on que, depuis, en retournant un jour des champs, et passant à travers les terres où les bledz

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(1) Vie de Lycurgue, XXIX.

(2) Ibid., XXX.

(3) Ibid., XXXII.

(4) Ibid., XII.

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