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n'intervenait pas, par un fait de révélation quelconque, au sein de ce travail confus et déchirant qui mène si douloureusement et si imparfaitement à la Vérité sa pauvre créature tout en sueur, tout en larmes et quelquefois tout en sang! Or, il n'y a pas à discuter. Pour prendre seulement part à ce labeur qui, de nécessité, lui échet, l'homme est tenu de se placer dans les conditions de toute intelligibilité, c'est-à-dire de poser Dieu à l'origine de tout raisonnement, de toute notion, de toute idée. Et, en effet, au regard des esprits qui cherchent à s'entendre avec eux-mêmes, Dieu une seconde écarté, le chaos reprend la tête humaine; et l'on ose affirmer que si les monstruosités pouvaient être consé quentes sans cesser d'être des monstruosités, l'inepte insolent, qui nierait ou méconnaîtrait la notion de Dieu, n'aurait pas même le droit de mettre un syllogisme au service de son épouvantable négation.

Ainsi, Dieu toujours et partout, derrière

toute substance et tout phénomène ; Dieu derrière sa création pour en expliquer les deux faces, le monde moral et le monde matériel ! Beaucoup d'esprits livrés à l'étude de la sagesse l'ont entendu de cette façon dans tous les temps. Mais comme, pour des raisons que les Livres Saints expliquent seuls, et dont l'humanité s'est un peu doutée, si l'on en croit les fragments qui nous restent des traditions primitives; comme la passion, l'erreur, l'abus du libre arbitre, peuvent se mêler à tous les actes de la pensée et de la volonté humaine, il a dû nécessairement se rencontrer, et il s'est rencontré deux espèces de Philosophie la philosophie qui part de la conception de Dieu pour arriver à l'homme et aux Sociétés, et la philosophie qui ne veut partir que de la connaissance de l'homme pour s'élever à la notion supérieure de Dieu et des lois, conséquences de son être; la philosophie enfin, qui éclaire les obscurités du Fini par les clartés intelligibles de l'Infini, et celle qui, par des raisonnements auxquels il manque

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toujours des termes, croit pouvoir expliquer le Créateur par la créature, comme si la lumière, qui vient d'én haut, ne descendait pas au lieu de monter, en cela semblable à l'affection qui ne remonte jamais, disent profondément ces créateurs d'une minute, les Pères, en parlant de leurs enfants! Si c'était la place ici de faire l'histoire de la Philosophie, on verrait qu'il n'y eut jamais que ces deux philosophies dans le monde, que ces deux grandes méthodes, que ces deux genres d'efforts de l'esprit humain vers la Vérité, depuis Moïse jusqu'à Aristote, et depuis Platon jusqu'à Hegel.

Or, ces deux philosophies, qui se produisent à toutes les époques de l'esprit humain, n'apparaissent jamais dans une mesure égale, dans un antagonisme régulier. Éternellement face à face dans l'histoire, la Vérité et l'Erreur ne forment point de parallèle. A chaque instant, elles se rencontrent et se brisent... Qui ne le sait? Tantôt c'est la conception de Dieu qui

règne et qui gouverne la pensée philosophique de toute une époque, et tantôt c'est la notion de l'homme, que dirais-je? la puissantialité de l'homme, qui tient tous les esprits asservis dans une métaphysique imbécillement humaine. On peut juger alors de la terrible et égale aptitude de l'humanité pour la vérité ou pour l'erreur, et l'on peut marquer avec des philosophies, comme on marque avec des chiffres la pente osée d'un édifice, ou l'eau montante d'un fleuve sous les arches par lesquelles il s'écoule, les progrès de l'erreur qui monte dans l'intelligence d'un peuple. ou la magnifique inclinaison de ce peuple gravitant vers la vérité. Ainsi, par exemple, au moyen âge, quand le Catholicisme, qui implique la vérité absolue dans ce qu'il suffit à l'homme d'en connaître, était la loi de tous les esprits et de tous les cœurs, la conception de Dieu s'imposait à la réflexion générale et illuminait tous les systèmes de son éclair. L'homme protestait déjà pourtant (mon Dieu, il a commencé de protester dans le Paradis

terrestre!). L'Hérésie répondait à la théologie, à l'orthodoxie, au grand enseignement philosophique de l'Église; l'Hérésie, c'est-à-dire plus ou moins la philosophie qui part de la notion de l'homme, et ne voit et ne conçoit Dieu qu'à travers cette notion étroite et confuse! Oui, l'Hérésie, la Bête aux mille langues, répondait; mais on savait la faire taire... Tout se tenait dans la vie sociale : la Science et le Pouvoir, le Sacerdoce et les Gouvernements. Les Institutions allaient au secours de la Vérité. L'homme défendait Dieu... Dans les temps modernes, dans les temps présents, au contraire, c'est la notion de l'homme qui a vaincu... C'est elle qui s'est emparée de la philosophie, ou pour mieux dire en disant davantage, de l'esprit général du XIXe siècle. Espèce de redoutable mort qui saisit le vif! et qui l'a saisi d'une telle force et d'une si large prise, que si Dieu n'envoie pas de ces grands esprits omnipotents, qui sont comme les thaumaturges de la pensée, et qui la frappent et la changent par les miracles du

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