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LA BARONNE

ALMAURY DE MAISTRE.

MADAME,

Permettez-moi de Vous offrir quelques pages dans lesquelles Votre illustre Parent,—le comte Joseph de Maistre, - tient la première place. Quelle que soit l'incertaine valeur de cet écrit, le meilleur de sa destinée sera de rayonner deux fois du nom que Vous portez, et que Vous, MADAME, avez mis aussi profond dans mon cœur qu'il était haut dans ma pensée.

Laissez-moi donc l'écrire au front de ces quatre médaillons, que je Vous dédie,

comme

un témoignage de ma respectueuse et impé rissable amitié.

J'aurais cru peu digne de Vous, MADAME, de Vous dédier un livre moins grave. Chez Vous, est-ce que la femme du monde ne cache pas la penseuse? Mot que j'aime, car il exprime bien la force de l'esprit de l'homme et la grâce molle de la femme, mais chose si rare, que ce mot-là, je crois, n'est pas français. Et puis, j'avais pour moi les analogies! Il me semblait que Vos mains, délicates et puissantes tout à la fois, comme celles de la Muse Antique, siéraient à ce livre quand elles en tourneraient les pages, et que ces sérieuses pages, à leur tour, rendraient, en les captivant, plus sérieux et plus beaux ces yeux où le feu profond de l'Intelligence brille toujours, même à travers les sourires et les larmes du Sentiment.

J.-A. BARBEY D'AUREVILLY.

Paris, janvier 1851.

INTRODUCTION.

QUBL

UELLES que soient les prétentions de la Philosophie, et la force relative des systèmes qu'elle a produits par la tête de ses plus illustres penseurs, elle n'est au fond, quand on y regarde, qu'un grand essai de méthode, incessamment repris par l'intelligence humaine pour arriver à la Vérité. Pressez, en effet, et tordez cette notion de philosophie, et vous verrez s'il en sortira jamais rien de plus, sous une forme ou sous une autre, qu'une pensée de méthode, un moyen d'investigation supérieure, une tentative de haute stratégie intellectuelle. Seulement, il importe de le reconnaître, dans ce vaste remuement d'idées et d'aperçus qui, de génération en génération, cherchent à s'élever jusqu'au niveau d'un procédé rigoureux et scientifique, les méthodes diverses inventées, et même celles que l'histoire de la philosophie tient pour des

conquêtes, - ne conduisent pas plus à la connaissance de la Vérité absolue, que les expériences physiologiques les mieux faites et les plus triomphantes ne conduisent à la connaissance du principe vital. Arrivé à un certain moment de son effort, à un certain point de sa théorie, l'homme s'achoppe et se brise; et par là, il est démontré qu'entre son intelligence et la Vérité, s'ouvre éternellement un abîme sur lequel son activité peut jeter des ponts plus ou moins hardis, mais dont la courbe, si bien lancée qu'elle soit par des mains puissantes, s'interrompt toujours à moitié de sa projection. Le sol de l'histoire n'est-il pas jonché de systèmes rompus au plus inextricable de leurs nœuds?... Comme la Vérité est en elle-même, comme elle a, dirait l'Ecole, une existence ontologique, la pensée ne la crée pas plus, quand elle la conçoit, que l'observation ne crée le phénomène qu'elle constate ou qu'elle étudie. Cependant, s'il la manque dans sa plénitude, l'homme, qui a besoin de vérité pour être ce

qu'il est, la saisit en fragments par une double appréhension de sa volonté et de son esprit ; mais ce n'est point, comme on pourrait le croire, par la virtualité propre de son effort. Au contraire, c'est parce qu'il s'appuie sur autre chose que la force d'individualité qui émerge de ses facultés. Solidarité presque divine avec le principe de son être ! l'homme ne peut toucher à la Vérité s'il n'a déjà été touché par la Vérité. Pour faire le premier pas vers elle, il faut qu'elle soit déjà en lui! Redoublement étrange, implication mystérieuse de la vérité qui est en soi et des aptitudes substantielles de l'homme, on ne voit guère plus avant dans cette profondeur... Créature intelligente et volontaire, mais créature ( mot-là dit tout), l'homme resterait muré dans les ténèbres de ses facultés, sombre Ugolin d'une tour de la Faim plus cruelle que la Tour de la Faim du Poëte, car il mourrait sans enfants pour se nourrir, c'est-à-dire sans pensée, se dévorant lui-même dans l'angoisse d'une paternité impossible, si le Créateur

(ce

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