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un fidèle encore par l'honneur et par les sentiments. Quelle clameur ne s'éleva pas contre lui?... Il nous l'apprend lui-même, lorsque, attaqué par ses anciens amis et souffrant d'une de ces positions fausses qui sont de véritables déchirements pour le cœur, quand on en a, il parle avec tant d'amertume de ces hommes qui voulaient être plus royalistes que le Roi. Mot vulgaire à force d'être fameux! La plus grande partie de la France, devenue douze ans plus tard la France de Juillet, battait des mains en le répétant; mais l'ironie irritée n'en était pas moins une lamentable vérité. Il n'y avait point à en sourire : oui, les Royalistes étaient plus royalistes que le Roi! Ils aimaient si ardemment la Monarchie, qu'en se défiant de la Charte, ils avaient l'instinct juste des amours sincères. Ils pressentaient les événements qui ont suivi. Louis XVIII ne les prévoyait pas, ou, s'il les prévit, il

étouffa cette pensée dans la profondeur de son égoïsme. Il était resté l'homme du XVIIIe siècle. C'était le philosophe qui se souciait moins de la monarchie et de l'intérêt de sa race, que du fauteuil royal, dans lequel il trouvait agréable de mourir commodément roi. D'ailleurs, esclave de son œuvre, il avait pour la Charte, labeur de toute sa vie, cette paternité intellectuelle, qui, comme l'autre, adore les monstres qu'elle a faits. Rien donc n'étonne de Louis XVIII; mais Chateaubriand! qui pourrait signaler par quelle série d'idées il arriva à la conclusion que rien dans ses précédents écrits n'avait annoncée, à savoir que les Monarchies constitutionnelles étaient la forme légitime et nécessaire des Gouvernements de l'avenir?

Or, précisément, il se rencontra que, malgré le talent très-imposant de Chateaubriand dans la discussion sur la Charte, la

conclusion rigoureuse à laquelle il se croyait victorieusement arrivé tombait, théorie, sous le raisonnement, comme plus tard elle devait, institution sans assises, s'écrouler, renversée par les faits. Et tout d'abord, pour ne parler que de la théorie, si l'on veut examiner avec attention la base et le mécanisme des gouvernements constitutionnels, la duperie de ce monde, qui n'est pas encore détrompé, on verra que la fragilité et l'empêchement de cette espèce de gouvernement vient de ce qu'il est absolument contraire à la nature de l'homme et des choses, cette double racine de toute institution qui doit durer. Croire, en effet, que deux pouvoirs, ou trois pouvoirs,pourront s'équilibrer en paix et se limiter avec harmonie, c'est méconnaître l'immuable règle qui proclame que tout pouvoir a pour loi de s'étendre, comme la lumière, et de faire sauter l'obstacle qui le

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comprime, comme la chaleur. Plus le pouvoir sera intelligent et fort, c'est-à-dire plus il sera pouvoir, et moins il souffrira devant lui de pouvoirs rivaux. Dresser donc un pouvoir devant un autre, en dresser trois et faire leur partage, cela est vain, niais et insensé. L'un de ces pouvoirs, le véritable, tuera les deux autres. Avec certains hommes, comme l'histoire en nomme plusieurs avec orgueil, ce ne sera pas même long. Mais dans des circonstances moins favorables et avec des hommes moins puissants, des tiraillements, des conflits, une bataille éternelle : voilà quel sera le gouvernement! En vain objecterait-on l'exemple de l'Angleterre, d'où nous est venue cette furie savante de constitution. L'Angleterre vit encore de ce qui doit la tuer, mais elle en souffre. Son histoire est la meilleure preuve de ce que j'avance. Ouvrez-la, et voyez si ce que je

dis a jamais manqué. A partir de Guillaume III, surtout, Whigs, Torys, Parlement, Chambre des Lords, Royauté, tous ces éléments du pouvoir politique, n'ont-ils pas cherché, sans repos ni trève, à se dominer ensemble ou tour à tour?... Et quand quelque chose de grand s'est produit, en quelque matière que ce fût, cela n'a-til pas été lorsqu'un de ces éléments l'emportait sur les autres? quand il terrassait, quand il tuait, ne fût-ce qu'un instant, tous les autres à son profit? A quoi donc servent les pouvoirs limités et équilibrés, si l'on ne fait rien d'important qu'il n'y en ait un destructif des autres; si l'équilibre rêvé n'est qu'un long combat réalisé; s'il est dans la réalité humaine, que le pouvoir ne puisse se partager sans s'affaiblir, c'est-àdire sans être moins pouvoir ou n'être plus pouvoir ?... Et comment Chateaubriand et tant d'autres esprits ont-ils pris, avec

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